Emmanuel Macron cherche-t-il à « faire monter le RN » et Marine Le Pen pour être réélu ?

Emmanuel Macron cherche-t-il à « faire monter le RN » et Marine Le Pen pour être réélu ?

Selon plusieurs membres de l’opposition, Emmanuel Macron occuperait la thématique de l’immigration pour s’assurer un duel face à Marine Le Pen en 2022, et s’assurer ainsi sa réélection. Mais en jouant à l’« apprenti sorcier » ou au pompier pyromane, certains craignent que ce « calcul » fasse avant tout le jeu du RN.
Public Sénat

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Depuis la rentrée de septembre, Emmanuel Macron a décidé de mettre à l’agenda médiatique la question de l’immigration. Une volonté d’exprimer sa fermeté complètement assumée. Son ministre de l’Education nationale a ensuite remis une pièce sur la question du voile. Dernier épisode de cette séquence : le chef de l’Etat a choisi de s’exprimer sur le sujet dans Valeurs actuelles, l’hebdomadaire très droitier, qui parle autant aux électeurs de LR que du RN.

Et l’exécutif ne compte pas s’arrêter là. Lundi soir, une réunion sur le sujet de l’immigration est prévue à Matignon, à 19 heures, avec des parlementaires de la majorité, a appris publicsenat.fr. Des mesures sont à venir dans le cadre du budget.

« Plus le FN est haut, plus Macron peut dire "je suis le rempart" »

Dans l’opposition, certains voient dans ce positionnement un jeu dangereux qui favoriserait le Rassemblement national. Pire, selon certains, le but – inavoué – serait de faire monter sciemment l’extrême droite. Le calcul est simple. Le raisonnement implacable. Emmanuel Macron a tout intérêt à se retrouver à nouveau face à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle pour être réélu. C’est ce qu’affirme un sénateur centriste : « Emmanuel Macron a intérêt à faire monter le Front national. Plus le FN est haut, plus Macron peut dire "je suis le rempart" ». Lors des dernières européennes, La République en Marche avait clairement joué sur ce mano a mano entre les « populistes » et les « progressistes ». Ce parlementaire centriste y voit « une démarche très Mitterrandienne ». François Mitterrand avait été accusé de favoriser la montée du FN, dans les années 80, pour mieux affaiblir la droite.

Du côté de la majorité présidentielle, on ne partage évidemment pas cette analyse du pompier pyromane. Reste que certains croient déjà en la victoire lors de la prochaine élection présidentielle, grâce à un second tour face à Marine Le Pen. « Emmanuel Macron est stratège. En 2022, il est réélu » pensait il y a peu un responsable de la majorité. Le même confiait l’été dernier, non sans une forme de jubilation :

« J’adore le cynisme d’Emmanuel Macron. Il est plus cynique que François Mitterrand »

Pour certains membres de l’opposition, ça ne fait pas de doute. « Emmanuel Macron est un calculateur et un tacticien politique de talent » reconnaît le sénateur LR Roger Karoutchi, habitué des jeux politiciens. L’ancien ministre des Relations avec le Parlement souscrit à l’idée que face à des résultats économiques « en demi-teinte », Emmanuel Macron cherche à « empêcher la droite de remonter par un discours sur l’immigration, le communautarisme, qui donne le sentiment de reprendre des thématiques de droite et en même temps, il se dit "je fais monter le RN, mais en ne prenant pas les mesures nécessaires en m’opposant au texte du Sénat sur le voile dans les sorties scolaires, j’assure ainsi le deuxième tour de la présidentielle" ». Un sondage Elabe pour BFM TV est venu entretenir l’idée de ce duel cette semaine. Si ce sondage n’a aucun sens à deux ans et demi de la présidentielle, il donne Emmanuel Macron et Marine Le Pen loin devant les autres.

S’il ne veut pas parler de « calcul machiavélique », Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, affirme que « pour Emmanuel Macron l’assurance-vie, ou plutôt l’assurance d’être réélu, est d’avoir Marine Le Pen avec lui au second tour. Mais dans quelles conditions ? » Le sénateur PS du Nord « ne peu(t) que constater les faits. Marine Le Pen a fait 21,3% à la présidentielle. Aux européennes, elle fait deux points de plus. La politique d’Emmanuel Macron n’a pas fait abaisser la pression du FN ».

« Il faut traiter non pas le FN, mais les sujets qui font son terreau »

Pour François Patriat, président du groupe LREM du Sénat, le raisonnement d’un Macron Machiavel ne tient pas une seconde. « C’est le cynisme absolu. D’autres Présidents auraient pu l’être, lui pas. Emmanuel Macron n’a pas ce cynisme-là du tout » assure le sénateur de Côte-d’Or.

Mais il faut assumer d’aborder ces sujets, explique-t-il. « Compte tenu du climat aujourd’hui dans le pays, les sujets régaliens, dont la sécurité, le communautarisme, le radicalisme, sont des sujets qui entreront dans la campagne. Et il ne faut pas les éluder aujourd’hui, donc il faut traiter non pas le FN, mais traiter les sujets qui font son terreau » selon François Patriat. Il ajoute :

« Ce n’est pas Emmanuel Macron qui fait monter le FN. C’est l’absence totale d’alternative politique crédible. LR comme le PS sont inaudibles »

« On va finir par faire élire Marine Le Pen »

Mais l’opposition craint qu’en cas de second tour Macron/Le Pen, l’extrême droite soit beaucoup plus haute la prochaine fois. « En 2022, ce ne serait pas 66 % pour Macron mais beaucoup moins. On peut avoir un pays qui se retrouve proche de l’égalité. La lepénisation des esprits, pour reprendre un terme déjà utilisé, est en cours », selon Patrick Kanner, qui ajoute : « Emmanuel Macron n’est peut-être pas un pompier pyromane, mais ça peut être l’arroseur arrosé ».

Roger Karoutchi parle lui plutôt d’« apprenti sorcier. C’est "je m’assure le deuxième tour de la présidentielle et je compte sur le fait que le RN a toujours un plafond de verre donc je suis réélu". Mais ma crainte, c’est que l’exaspération monte, et qu’à force, on va finir par faire élire Marine Le Pen » met en garde Roger Karoutchi.

« Faire face à la montée du fascisme. On en est là. On est en 1936 »

Pour le sénateur communiste des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias, le danger est clairement là. « Il y a une stratégie pour considérer qu’entre lui et Le Pen, il n’y a rien. Mais au second tour, il n’est pas du tout sûr que l’électeur fasse la différence ».

« J’entends de plus en plus que les électeurs de gauche, qui sont allés voter pour lui par devoir en 2017, pour faire barrage à l’extrême droite, risquent de ne plus avoir ce réflexe-là face à un Président qui s’exprime dans Valeurs actuelles. En fait, Emmanuel Macron prépare la voie de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle » pense Pierre Ouzoulias, qui va plus loin : « Le plafond de verre a volé en éclat partout en Europe. Il est grand temps qu’il y ait un front républicain humaniste face à la montée du fascisme. On en est là. On est en 1936 ». Un front républicain qui semble pourtant aujourd’hui bien lointain.

Dans la même thématique

Paris: French Government Weekly Cabinet Meeting
5min

Politique

Pour Bruno Retailleau, les conditions sont réunies pour rester au gouvernement

Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.

Le

Emmanuel Macron cherche-t-il à « faire monter le RN » et Marine Le Pen pour être réélu ?
4min

Politique

Retraites : « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », dénonce Ian Brossat

C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».

Le

Emmanuel Macron cherche-t-il à « faire monter le RN » et Marine Le Pen pour être réélu ?
4min

Politique

« Consternés », « dépités », « enfumage » : après sa rencontre avec François Bayrou, la gauche menace plus que jamais le Premier ministre de censure

Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.

Le