Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Emmanuel Macron, à la recherche de sa gauche perdue
Par Public Sénat
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C’est une question lancinante, qui revient tel un hoquet, depuis des mois. Emmanuel Macron doit-il infléchir sa ligne politique avec des mesures plus sociales ? Après avoir aspiré une partie de l’électorat de droite, doit-il remuscler sa jambe gauche ? Au milieu de la gestion de la crise sanitaire, qui sature le débat public, les dernières mesures du gouvernement semblent dessiner une volonté de montrer que le « en même temps » existe toujours : plan de 3,3 milliards d’euros en faveur des quartiers populaires, nouvelle filière, présentée hier, pour assurer plus de mixité dans la haute fonction publique (lire notre article) et lancement ce vendredi, comme l’avait promis Emmanuel Macron lors d’un entretien à Brut en décembre, d’une plateforme de signalement des discriminations, gérée la Défenseure des droits. Bref, la jambe gauche bouge encore.
Un choix de communication perlée voulue par l’exécutif. « On fera des expressions multiples », confie un haut responsable de la majorité présidentielle. Deux options se présentaient : soit faire un grand plan, mais « l’effet choc dure 24 heures ». Soit jouer sur « l’effet teasing et faire durer ». Option retenue. De quoi occuper le terrain médiatique régulièrement. Des petites touches, façon impressionniste, histoire de changer la perception d’ensemble du tableau. Mais ce plan est fragile car tributaire du sanitaire. « Le problème, c’est qu’il n’y a rien d’autre que le covid qui imprime », lâche le même responsable macroniste.
« Problème d’incarnation »
Le 12 mars dernier, au début de la crise du coronavirus, le chef de l’Etat avait surpris son monde par un discours à forte tonalité de gauche. « Des biens et des services doivent être placés en dehors des lois du marché », avait soutenu Emmanuel Macron, annonçant des « décisions de rupture » à venir. Des espoirs finalement déçus, surtout pour l’aile gauche, quelque peu échaudée.
Près d’un an après, l’exécutif assure ne pas avoir oublié la question sociale. La crise est passée par là. Pour le gouvernement, elle passe par « l’égalité des chances ». « C’est le Président qui a demandé, lors du séminaire de rentrée en janvier, un plan d’action sur l’égalité des chances », explique un dirigeant de la majorité. « Il faut sans cesse renforcer les mesures pour l’égalité des chances et contre les discriminations car elles sont essentielles à l’équilibre de notre politique, le fameux « en même temps », a défendu le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, dans un entretien au Monde.
Mais encore faut-il remarquer les mesures estampillées de gauche. Ce n’est pas toujours le cas. « On a un problème d’incarnation depuis le début du quinquennat. Pénicaud, Borne, ne sont pas des voix fortes », lâche un fidèle du chef de l’Etat. De son côté, l’aile gauche de la majorité présidentielle pousse malgré tout depuis des mois, pour des mesures plus sociales. Dans le JDD, le député LREM Pierre Person, avec 14 de ses collègues, en a remis une couche. Il a appelé l’exécutif à « un effort global et massif » pour l’égalité des chances, demandant la relance du projet de revenu universel d’activité.
« Un pays qui fonctionnarise 20 millions de personnes pendant un an, est-ce un pays de droite ? »
« Beaucoup d’annonces ont été faites. Beaucoup arriveront prochainement », souligne pour sa part Xavier Iacovelli, vice-président du groupe RDPI (LREM) du Sénat et secrétaire général de Territoires de progrès, qui rassemble une partie de l’aile gauche macroniste. Il « pense notamment à la question des enfants placés ou les travailleurs précaires », dossiers sur lesquels il travaille.
Face au procès sur le manque de mesures sociales, la macronie répond depuis longtemps : dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire et prise en charge à 100 % des lunettes pour les plus démunis. « La deuxième jambe de notre projet, axé sur le « protéger », est mise en place depuis 2017 », assure Gabriel Attal. Des critiques qui énervent passablement certains, comme le président du groupe RDPI du Sénat, François Patriat :
Je ne vois pas en quoi aujourd’hui le Président serait obligé de mettre un coup de barre à gauche. Il prend des mesures qu’aucun gouvernement de gauche n’a prises avant lui.
« Ce procès sur la jambe gauche est invalidé par les faits et mensonger. Un pays qui fonctionnarise 20 millions de personnes pendant un an, est-ce un pays de droite ? », demande un autre parlementaire LREM, en référence au chômage partiel largement mis en place face à la crise du covid. Dit encore plus directement – et crûment – par un responsable de la majorité, ça donne : « Notre budget est un putain de budget de gauche ».
« Je pense que le Président marche sur ses deux jambes. C’est à son aile gauche, dont je fais partie, de désormais mettre en avant toutes les mesures d’accompagnement pour les plus fragiles » soutient Xavier Iacovelli. Le sénateur LREM des Hauts-de-Seine évoque les « annonces d’Elisabeth Borne d’une nouvelle aide pour soutenir les jeunes diplômés à la recherche d’un premier emploi, qui pourront conserver une partie de leur bourse d’étude pendant quatre mois » ou le « plan un jeune, une solution ».
« Emmanuel Macron reparle à Julien Dray »
Reste que certains signes montrent la volonté d’ajuster les choses. « Emmanuel Macron a commencé à reprendre langue – ce n’est pas pour rien – avec quelques amis de gauche qui l’entouraient à l’époque de la présidentielle de 2017. Je pense à Julien Dray, avec qui il reparle » affirme sur le plateau de Public Sénat Yves Derai, rédacteur en chef de Forbes France. Regardez :
Voir quelques barons noirs pour préparer une élection, ça n’engage à rien et ça ne fait pas de mal. « Il commence à y avoir de nouveau des visiteurs du soir de gauche, avec qui il discute et qui l’ont alerté sur les questions écologiques, sociales et d’égalité des chances. Ce sont des questions qui touchent le peuple de gauche » ajoute Yves Derai.
« On a une fragilité sur le sujet des étudiants »
Au-delà de la gauche, c’est aussi la question de la jeunesse et des étudiants, en précarité et en détresse pour certains, qui est sur la table. « On a une fragilité sur le sujet. On a un angle mort, ce sont les étudiants qui avaient un petit job avec contrat précaire. On ne les traite pas » reconnaît un membre du premier cercle macroniste. Emmanuel Macron a bien saisi le problème et s’est déplacé sur le thème des étudiants le 21 janvier, à l’université de Paris-Saclay. Il y a affirmé qu’ils pourraient retourner en cours un jour par semaine et a annoncé la généralisation de deux repas par jour à 1 euro. Sans oublier le « chèque psy ». Mais sûrement pas suffisant. « Avec la crise qui continue, on refera une allocation exceptionnelle. C’est dans l’air. Je ne vois pas comment faire sans une aide ponctuelle », lâche un responsable de La République En Marche.
Derrière le sujet de la jeunesse, c’est la campagne de 2022 qui se dessine en filigrane. Un fidèle évoque plus largement « la société du care » comme thème à creuser pour les mois à venir. « 2022 se jouera sur la question de l’avenir et sur l’idée de renouveler ce qu’on a porté en 2017 : l’émancipation individuelle » dit-il. « La priorité de 2022 ne doit pas être l’identité ou la sécurité. Ce doit être la reconstruction, le fait de se relancer, de prendre soin, avec la problématique très actuelle du "care" », confirme un député LREM qui plaide pour des mesures plus écolos et sociales. Mais le même soulève une difficulté : « Quand on prend toutes les petites phrases d’Emmanuel Macron, c’est difficile de porter un projet sur l’attention aux autres… »
« Le Président pense qu’il faut continuer à faire travailler la poutre »
La crainte qui monte chez les soutiens d’Emmanuel Macron, à 14 mois de la présidentielle, est que les électeurs de gauche, qui ont voté pour lui en 2017, fassent cruellement défaut en cas de second tour face à Marine Le Pen en 2022. Un risque qu’admet un proche du chef de l’Etat :
Il y a un électorat qui considère que Macron/Le Pen, c’est la même chose. Donc il y a un sujet.
La macronie ne doit pas marcher sur une seule jambe, au risque de tomber. « Il ne faut pas négliger le socle social-démocrate », continue le même proche, « mais le Président pense qu’il faut continuer à faire travailler la poutre ». Autrement dit, l’analyse du coup de barre à gauche ne semble pas partagé par Emmanuel Macron, qui entend continuer à siphonner la droite. Sous couvert d’anonymat, un député LREM fait d’ailleurs du chef de l’Etat son candidat : « La stratégie de la macronie, c’est que l’électorat de gauche n’irait pas voter Le Pen. Donc on parle à la droite. Aujourd’hui, l’électeur de gauche ne reviendra pas. Et l’électeur de droite sera confronté à une primaire au premier tour entre Emmanuel Macron et Xavier Bertrand. Avec le risque de se retrouver très bas ». Une vision que tempère cependant Xavier Iacovelli : « Je ne pense pas que les électeurs de gauche bouderont un rendez-vous pour le second tour face au risque du RN. C’est un électorat responsable ».
Un dirigeant de la majorité note une autre « difficulté pour 2022. Car le dépassement politique, c’est l’ADN politique du chef de l’Etat. Or généralement, un Président fait du dépassement politique son thème de deuxième campagne ». Il voit ainsi l’une de ses cartes déjà jouée. La martingale du « en même temps » ne peut pas fonctionner deux fois. Pour Emmanuel Macron, l’un des enjeux du scrutin de 2022 sera aussi de ne pas se laisser prendre à son propre piège.