Egalité hommes femmes : « J’ai postulé à 27 reprises pour un poste supérieur, sans succès »

Egalité hommes femmes : « J’ai postulé à 27 reprises pour un poste supérieur, sans succès »

Le principe d’égalité salariale entre les hommes et les femmes est entré dans la loi en 1972. Pourtant, près de 50 ans plus tard, la situation dans les entreprises est toujours alarmante. Cette semaine dans Dialogue citoyen, Rebecca Fitoussi reçoit le témoignage d’une femme victime de discrimination salariale. Après de longues années de procédures, la justice lui a donné gain de cause, mais elle se retrouve maintenant sans emploi. Un témoignage édifiant.
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Par Nils Buchsbaum

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Anita Pujo a 57 ans et vit à Bordeaux. Pendant 29 ans elle a occupé un poste de cadre dans un grand groupe bancaire français. « Cette entreprise communique sur un modèle coopératif et sur des valeurs de responsabilité sociétale et d’humanisme. C’est important de préciser cela pour voir le décalage qu’il y a entre le discours et la réalité », déclare-t-elle, avant de détailler le calvaire qui a été le sien.

« J’ai postulé à 27 reprises pour un poste de catégorie supérieure, sans succès. Je me suis rendu compte que des hommes nouvellement entrés dans l’entreprise, sans expérience, sans plus de diplômes que moi, obtenaient les postes. » En consultant les bilans sociaux de son entreprise et en participant à des commissions sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, elle constate qu’elle est moins bien payée que ses collègues masculins. Elle formalise alors, auprès de son employeur, une demande d’ajustement de son salaire sur celui des hommes de même catégorie qu’elle. « J’ai fait ces démarches pendant 6 ans. Je n’ai obtenu que des aumônes. Mon employeur me proposait 1 000 euros d’augmentation sur mon salaire annuel. J’ai engagé ensuite une procédure et le juge m’a accordé 1 200 euros par mois c’est-à-dire que l’écart de salaire était de 1 200 euros par mois. Dans mon entreprise on était dans des écarts de salaire entre 16 et 31 % avec un homme qui exerce le même métier que moi ».

Cette bataille juridique a été dure et usante. « Dès lors que j’ai assigné, j’ai subi des pressions de plus en plus fortes et ces pressions se sont transformées en harcèlement, ce qui m’a conduit à un arrêt de travail. Lorsque j’ai pu reprendre, mon employeur m’a proposé un autre emploi mais on m’a en fait, mise au placard. Il m’a confié une mission qui a duré deux ans et demi, je n’avais quasiment aucune activité et le peu d’activité que j’avais à effectuer aurait pu être confié à collégien. »
 

« Dans l’entreprise tout le monde sait qu’il y a des inégalités, mais les collègues ont peur d’être embêtés par la direction s’ils montrent un soutien trop visible ».

« J’ai eu des soutiens, mais cachés » confie-t-elle. Dans l’entreprise tout le monde sait qu’il y a des inégalités mais les collègues ont peur d’être affectés s’ils montrent un soutien trop visible. » Anita Pujo raconte l’histoire d’autres personnes qui étaient, elles aussi, victimes de ne pas pouvoir revendiquer leurs droits sans peur d’être lésées : « Des femmes venaient me voir, je leur montrais le bilan social de l’entreprise et je leur disais voici où tu te situes, voici ce que gagnent les hommes de ta catégorie, voilà donc ce que tu peux demander. Elles me disaient « non je ne vais pas demander ce salaire parce que si j’ai le poste c’est déjà bien et je ne veux surtout pas d’ennuis. »

 

« Il ne faut pas se contenter du droit du travail. Il faut créer une juridiction dédiée au droit des femmes »

André Gattolin, sénateur de la République en Marche, des Hauts-de-Seine, est effaré par le témoignage d’Anita Pujo. Pour lui, tout reste à faire même si des mesures législatives ont été prises et certains progrès commencent à être visibles : « En 2018, il y a eu la création de l’index de l’égalité professionnelle qui se base sur des normes internationales. Cela commence à porter ses fruits puisque l’on constate des évolutions et surtout on entre maintenant dans des logiques où l’on peut sanctionner des entreprises. Il y a eu plus de 12 000 contrôles réalisés et 300 sanctions exercées. Il faut maintenant rendre publics ces éléments. »

Si des salariés ont parfois l’énergie, la hardiesse et les soutiens moraux et financiers pour dénoncer les entreprises qui contreviennent à la loi, la plupart d’entre eux renoncent devant l’immensité et la difficulté de la tâche. Anita Pujo, elle, n’y a pas vraiment pensé avant d’entamer un combat juridique qui a été très éprouvant. « Je comprends que les femmes n’osent pas se battre, ça a été tellement violent pour moi, j’ai reçu des menaces, et les longues années de procédures m’ont coûté mon poste et ont dégradé ma santé ». Selon elle, il faudrait donner plus de pouvoir à l’inspection du travail et permettre aux salariées de la saisir sans aller devant un tribunal, et pourquoi pas de créer une juridiction spéciale.


André Gattolin pense d’ailleurs que « ce n’est pas tout que des entreprises remplissent de statistiques, il s’agit de nommer, dénoncer et entrer dans des procédures de sanction. Cette responsabilité ne doit pas reposer sur les personnes. Ce sont les pouvoirs publics qui doivent dénoncer les entreprises qui ne respectent pas la loi. »

Mais Anita Pujo déclare qu’il faudrait être encore plus ambitieux d’un point de vue juridique : « Il ne faut pas se contenter du droit du travail. Il faut créer une juridiction dédiée au droit des femmes ». Selon elle, cela permettrait de couvrir l’ensemble de la problématique qui touche les femmes au travail, mais aussi dans le reste de la société.

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