Quatre jours après avoir ordonné une enquête administrative sur trois magistrats du parquet national financier, Éric-Dupond-Moretti a annoncé qu’il proposait la nomination d’une femme non-magistrate à la tête de l’École nationale de la magistrature (ENM) : Maitre Nathalie Roret, actuelle vice-bâtonnière du barreau de Paris. Une première pour cette institution crée en 1958.
Avocate pénaliste, elle a prêté serment en 1989 et est membre du comité d'éthique du Barreau de Paris depuis 2015 et vice-bâtonnière depuis 2020.
« La richesse de son parcours (...) son engagement aux côtés des justiciables, notamment dans le domaine de la médiation, sont le garant des qualités qu'elle exprimera à la tête de cette école », a-t-il indiqué lors d’une conférence de presse, place Vendôme.
« Je ne renonce certainement pas à ouvrir davantage cette école »
Le garde des Sceaux a confirmé qu’il n’aurait « pas le temps d'opérer une refonte totale » de l'ENM. Une institution qu’il voulait voir disparaître, il y a peu. « Mais je ne renonce certainement pas à ouvrir davantage cette école. L'ouverture c'est d'abord rompre avec des traditions surannées, c'est rompre avec la tentation du vase clos et de l'entre-soi, c'est vouloir réfléchir et débattre autrement qu'entre pairs » a-t-il fait valoir. En juin dernier, à l’époque avocat, Éric Dupond-Moretti indiquait qu’il était « urgent de créer une École nationale de justice qui soit commune aux avocats et magistrats ». Sans aller jusqu’à une refonte totale de l’ENM, charge à la prochaine de directrice « de mettre en œuvre avec le conseil d'administration ces nouvelles orientations ».
« Nous ne considérons pas que la justice appartienne aux magistrats ou aux avocats mais aux justiciables. L’ENM est une école qui fonctionne plutôt bien où le profil des étudiants est plus varié que les autres grandes écoles. Je ne suis pas sûr que la formation initiale soit le bon endroit pour opérer le rapprochement entre magistrats et avocats. Ce qui empêche le dialogue, ce serait plutôt les conditions de travail des magistrats » souligne Nils Monsarrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature (SM).
« Un avocat pénaliste qui devient garde des Sceaux et nomme une avocate pénaliste... On nous accuse de corporatisme, j'ai envie de répondre : pareil » a réagi Cécile Mamelin de l’Union syndicale des magistrats (USM).
« Veillons à ne pas substituer une pseudo-corporation par une autre pseudo-corporation »
« Cette nomination ne contribue pas à apaiser les esprits. Veillons à ne pas substituer une pseudo-corporation par une autre pseudo-corporation » estime le vice-président socialiste de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur. Pour le sénateur centriste, Yves Détraigne, seul magistrat de formation de la Haute assemblée, « ce n’est pas un évènement extraordinaire mais si ça peut permettre d’ouvrir l’ENM qui comme d’autres grandes écoles, travaille dans l’entre-soi, c’est une bonne chose ».
D’aucuns pourraient néanmoins voir dans cette proposition de nomination de Nathalie Roret, une nouvelle « déclaration de guerre » envers les magistrats. Les termes utilisés par l’USM pour qualifier la nomination, d’Éric Dupond-Moretti, place Vendôme.
« La diversion à la tentative de déstabilisation du parquet national financier »
Au sein du Syndicat national de la magistrature, on y voit plutôt une « diversion ». « Cette proposition de nomination est inédite. C’est une mesure symbolique mais qui ne va pas forcément changer le fonctionnement de l’ENM. L’ENM est une école technique, si Éric Dupond-Moretti veut en faire une école politique, il faudrait plus de transparence dans la nomination. Pourquoi pas avec des auditions devant l’Assemblée nationale et le Sénat comme pour les membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Ce qui nous interroge, c’est surtout le timing de cette annonce, quelques jours après sa tentative de déstabilisation du parquet national financier » relève Nils Monsarrat.
L’enquête administrative, ouverte vendredi dernier, vise l’ancienne cheffe du PNF, Éliane Houlette et deux de ses subordonnées. Elle fait suite à un rapport de l’Inspection générale de justice (IGJ) commandée par l'ancienne garde des Sceaux Nicole Belloubet, sur une enquête polémique du PNF. Pendant 6 ans, les magistrats du parquet national financier ont cherché à identifier qui pouvait informer l’ancien chef d’État, Nicolas Sarkozy, qu’il était sur écoute. Pour ce faire, ils vont éplucher des relevés téléphoniques de plusieurs avocats, parmi lesquels Éric Dupond-Moretti. Ce dernier avait porté plainte avant de se rétracter à son entrée au gouvernement. Le rapport de l’Inspection générale de justice (IGJ) n’a pas relevé de « dysfonctionnement majeur » dans l’enquête du PNF. Raison pour laquelle, cette enquête administrative ouverte par le garde des Sceaux, s’apparente pour les syndicats, « à un conflit d’intérêts ».
« Une belle tentative de diversion pour un ministre en plein conflit d’intérêts, qui demande de sanctionner des magistrats contre lesquels l’inspection n’avait pourtant rien trouvé à redire sur le plan disciplinaire » a tweeté, ce lundi l’USM.