La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Ecole à domicile : le Sénat s’oppose à l’autorisation préalable souhaitée par le gouvernement
Par Public Sénat
Publié le
Déclaration versus autorisation. Le débat autour de l’instruction en famille a duré plus de trois heures ce mardi au Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le séparatisme. Le gouvernement prévoit dans son texte de mettre en place un régime d’autorisation préalable du rectorat si une famille souhaite avoir recours à l’enseignement à domicile. La majorité sénatoriale de droite et du centre a préféré maintenir le principe actuel d’une déclaration. Elle a donc supprimé en commission l’article 21 du projet de loi, suppression confirmée en séance aujourd’hui. Les sénateurs ont cependant renforcé les contrôles de cette instruction en famille. En augmentation, elle concerne aujourd’hui environ 60.000 enfants.
« Remise en cause de la liberté d’enseignement »
« L’encadrement du recours à l’instruction en famille remet en cause, de notre point de vue, la liberté d’enseignement, qui repose sur l’école publique, l’école privée sous ou hors contrat et l’instruction en famille », a défendu le rapporteur LR Stéphane Piednoir, qui s’interroge « sur le lien véritable entre séparatisme et instruction en famille. Le ministère n’a mené aucune étude véritable ». Le rapporteur « conçoit » cependant « qu’il faille apporter quelques compléments, tout en préservant le régime déclaratif ».
Certains amendements renforçant le contrôle ont donc été adoptés, comme un délai limite pour faire la déclaration, ou sur l’engagement des familles à pratiquer l’instruction majoritairement en français. Ce qui a étonné le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer : « On peut prendre ces amendements comme une validation de la première version de l’article 21 » a-t-il lancé, « c’est un hommage posthume provisoire à l’article 21 ». Provisoire, car les députés pourront le réintroduire ensuite. « Vous êtes en train de faire un régime d’autorisation a posteriori », ajoute le sénateur PCF Pierre Ouzoulias. « Nous restons dans un régime de déclaration », rétorque le sénateur LR Max Brisson, mais « nous sommes aussi dans une logique de contrôle, car nous sommes responsables ».
« L’instruction en famille n’est pas en procès au travers de ce projet de loi », assure Jean-Michel Blanquer
Jean-Michel Blanquer a tenté de défendre l’esprit de la mesure, telle qu’adoptée à l’Assemblée nationale. « L’instruction à domicile, l’instruction en famille, n’est pas en procès au travers de ce projet de loi. Tout au contraire, comme beaucoup de libertés, elle se trouve précisée par la loi », a soutenu le ministre. Dénonçant les « caricatures », il l’assure : « Nous n’avons jamais eu l’objectif d’en finir avec l’instruction en famille. C’est pourtant ce que font l’Allemagne, la Suède ou l’Espagne ».
Il entend être dans le « dialogue » avec « le monde des familles, que nous avons écouté et qui s’est beaucoup mobilisé ». D’où un « élargissement des exceptions » permises dans le texte. Mais « ce que nous visons, c’est l’instruction en famille dévoyée, qui sert le séparatisme ». Le ministre ajoute :
Il y a la bonne et la mauvaise instruction en famille.
« Oui, l’instruction en famille pose un problème et pose un problème de séparatisme, pas seulement au titre du radicalisme islamiste, mais aussi des sectes », insiste le ministre de l’Education nationale.
« Nous savons qu’il y a plus de 60 000 enfants instruits en famille, nous savons que ce chiffre a explosé depuis 10 ans, nous savons qu’il explose, comme par hasard, dans les territoires où il y a du séparatisme », ajoute encore le ministre Jean-Michel Blanquer, qui dénonce le double jeu de la droite : « On fait semblant de ne pas voir ça pour satisfaire d’autres groupes qui font semblant d’être atteints par cette loi alors qu’ils ne le seront pas. Et on fait une sorte de calcul politique autour de ça ».
« Vous privez de liberté une grande partie des familles »
A droite au centre, c’est une autre musique. « Oui il y a des dévoiements à l’instruction en famille » mais avec l’article 21, « vous privez de liberté une grande partie des familles » et « vous faites le jeu des islamistes », estime Nathalie Delattre, sénatrice du groupe RDSE. L’école à la maison peut aussi se justifier « pour des raisons de santé, de handicap ou pour les enfants autistes qui ne peuvent intégrer l’école publique, faute de classe adaptée », ajoute Colette Mélot, sénatrice du groupe Les Indépendants.
« Je ne voudrais pas que des enfants de la République aillent à l’école coranique au lieu de recevoir un enseignement mais c’est à vous de proposer les moyens pour éviter cet excès sans pour autant remettre en cause une liberté fondamentale », a exhorté le sénateur LR Philippe Bas, qui « pense que la liberté d’enseigner en famille est gravement atteinte par ce texte ». Regardez :
« L’article 21 vient de la volonté du Président qui avait dit qu’il fallait supprimer l’instruction à domicile », lors du discours des Mureaux, en octobre 2020, rappelle Bruno Retailleau, président du groupe LR. Lors de ce discours, le chef de l’Etat avait dit vouloir limiter « strictement » ce mode d’instruction. Pour Bruno Retailleau, « cet article est mal né » et « mal ciblé », comme tout le projet de loi, « trop accommodant quand il faut être ferme », mais « liberticide quand il s’agit d’atteindre aux libertés sans que la justification ne soit donnée ».
« L’indignation de la majorité sénatoriale qui est à géométrie variable »
A l’inverse, la sénatrice du groupe RDPI (LREM), Nadège Havet, souligne que « 5000 enfants seraient aujourd’hui hors de nos radars. C’est inacceptable ». Elle s’étonne du « deux poids deux mesures » de la droite sénatoriale, après « le durcissement » du texte la semaine dernière. Le socialiste Eric Kerrouche raille aussi « l’indignation de la majorité sénatoriale qui est à géométrie variable ». Il ajoute :
Il n’est pas possible de construire la Nation sur des séparatismes, quels qu’ils soient : le séparatisme religieux, mais aussi social ou le séparatisme par élitisme, soit le fait de se mettre à part pour rester entre soi, avec son propre système de valeur.
David Assouline, lui aussi sénateur PS, s’étonne que la droite se mobilise plus « sur les drapeaux algériens dans les mariages » que sur ce sujet, « c’est presque un moment de vérité sur ce qui motive les uns et les autres ».
La communiste Cécile Cukierman souligne également l’injustice pour les parents qui « n’ont pas d’autre solution car ils doivent travailler et ne peuvent s’arrêter six mois ou un an pour faire l’école ». « L’instruction dans les familles ne favorise pas la socialisation de l’enfant, l’apprentissage de la citoyenneté », ajoute le socialiste Jacques-Bernard Magner.
« Ce que j’entends là, est complètement débile ! »
« On ne peut pas caricaturer ce côté de l’hémicycle, en disant qu’on va être laxistes sur le séparatisme et l’islamisme radical. Ce que j’entends là est complètement débile ! » réplique la sénatrice LR Laure Darcos. Ce que n’a pas apprécié Olivier Rietmann, rare sénateur LR à défendre le régime d’autorisation voulu par le gouvernement. « Je me demandais si je ne devenais pas un peu débile. Et je me suis demandé à quel moment j’ai parlé d’interdire l’instruction en famille », a ironisé Olivier Rietmann. « On parle de PMA sans père, mais quid de l’enfant sans camarade ? » demande le sénateur LR de Haute-Saône, qui défend la nécessité « de l’école de la République, qui m’a sauvé, par rapport à ma situation familiale spéciale ».
Malgré un certain dialogue de sourd, Jean-Michel Blanquer a encore tenté de convaincre de l’utilité de ce texte, non sans répliquer aux attaques, notamment celle du LR Olivier Paccaud, qui voit dans la mesure « une punition collective » injuste. « Moi, je vous parlerai de copie hors sujet et il y a plein de moments où on est hors sujet » lance le ministre, qui demande : « Arrêtons de faire semblant que nous visons à côté de la cible. Je n’ai cessé de dire que ce n’était pas le cas ».