Après des débats marathon et parfois intenses, la semaine dernière, le Sénat a adopté solennellement ce mardi 21 mai l’ensemble du projet de loi pour « une école de la confiance » par 213 voix, 95 contre et 38 abstentions.
Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a défendu son texte, notamment la mesure qu’il juge la plus importante, l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans. Il a dû parfois faire face à l’opposition du Sénat, mais le ministre a su aussi s’appuyer sur la Haute assemblée pour revoir certains points polémiques de son texte, comme la fusion écoles/collège.
Après l’annonce du résultat ce mardi, le ministre a rendu « hommage » au Sénat, suscitant l’ovation des sénateurs. « Les travaux ont été riches et dignes », « il y a clairement eu un enrichissement de ce texte » a salué Jean-Michel Blanquer. « J’ai toujours été un fervent partisan de la Haute assemblée, de l’existence du bicamérisme. (…) N’oubliez pas que je suis un professeur de droit constitutionnel au départ. C’est une conviction profonde. Il m’est arrivé de défendre cette idée et je la défendrai encore plus après la semaine que je viens de vivre » a ajouté le ministre de l’Education nationale, devant des sénateurs qui n’en attendez pas tant (voir la première vidéo).
Députés et sénateurs vont maintenant tenter de trouver un texte commun lors d’une commission mixte paritaire. En cas d’échec, les députés auront le dernier mot.
Ecole obligatoire dès l’âge de 3 ans
C’est la mesure phare du projet de loi de Jean-Michel Blanquer : l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans, au lieu de 6 ans actuellement. Dans les faits, « plus de 97% » des enfants sont déjà scolarisés à 3 ans. Le chiffre monte à « 99,9% à 4 ans. La société a fait son choix » a souligné le rapporteur LR du texte au Sénat, Max Brisson, qui a défendu la mesure. Le Sénat l’a voté à l’unanimité, bien que certains y voient plus une mesure symbolique. Ce à quoi le ministre a répondu que « 25.000 enfants (qui seront concernés par l’obligation), ce n’est pas quantité négligeable. (…) Même un enfant, ce serait important ». Pour Jean-Michel Blanquer, cette école à 3 ans est à placer dans une « filiation historique », au rang des grands textes sur l’école de Jules Ferry. Face aux craintes des sénateurs, il assure que les communes seront compensées pour le surplus de dépenses occasionné.
Obligation de la scolarité dès l’âge de 3 ans : « Un très grand progrès social » selon Jean-Michel Blanquer
Les sénateurs ont juste adopté le principe de dérogation à l’obligation d’assiduité en petite section de maternelle. Ce qui peut permettre aux enfants qui ne déjeunent pas à la cantine de rester faire la sieste à la maison. Ils ont aussi prévu que la compensation prendra en compte la prise en charge des dépenses des maternelles que certaines collectivités avaient déjà consenties pour les établissements privés sous contrat. Certains y voient un cadeau aux écoles privées.
Le Sénat vole au secours des jardins d’enfants, structures alternatives à la maternelle
Ce sont les dommages collatéraux de l’abaissement à 3 ans de l’école obligatoire. Les jardins d’enfants vont en effet faire les frais du projet de loi Blanquer et disparaître. Le Sénat est venu à leur secours, en leur donnant une dérogation sans limite (voir la vidéo avec le rapporteur Max Brisson). Sûrement en vain. Le ministre pourrait revenir sur cette modification grâce aux députés, qui ont le dernier mot. Il assure pourtant reconnaître les qualités de ces structures alternatives à la maternelle pour les enfants de 2 à 6 ans. Elles concernent 10.000 enfants. On les trouve essentiellement à Paris (2000 enfants) et dans le Bas-Rhin. Jean-Michel Blanquer leur donne 3 ans pour se transformer en école maternelle privée, voire publique, ou en crèche.
Max Brisson, sénateur LR : « Nous avons du mal à comprendre que les jardins d’enfants soient rayés d’un trait de plume »
Suppression de la fusion écoles/collège, sans l’opposition de Blanquer
C’est l’un des points les plus polémiques du texte : le rapprochement entre les écoles primaires et le collège d’un même secteur, sous l’égide « d'établissements publics des savoirs fondamentaux » (EPSF). Une disposition absente du texte gouvernemental d’origine, mais introduite par voie d’amendement à l’Assemblée. Elle reprend l’idée de l’école du socle, qui vise à créer une continuité pédagogique entre la primaire et le collège. Mais elle n’a fait l’objet ni d’une étude d’impact, ni d’un avis du Conseil d’Etat. Ses opposants craignent que ces rapprochements et mutualisations entraînent la disparition de certaines écoles rurales. Au contraire, le ministre en fait une réponse au problème de « masse critique », en raison de faibles effectifs, que peuvent connaître les écoles rurales.
Le Sénat supprime la fusion écoles-collège
Après la suppression de la réforme en commission, les sénateurs semblaient prêts à adopter un amendement LR, soutenu par le rapporteur du texte, rétablissant ces fusions mais avec des garanties : accord des collectivités locales concernées et de la communauté éducative. En séance, Jean-Michel Blanquer a plaidé le « malentendu » et reconnu qu’il fallait encore « du temps, de la maturation » pour lancer la concertation sur ce projet. Les sénateurs ont finalement conservé la suppression de la mesure, qui arrange bien le ministre…
Directeurs d’école renforcés
Les sénateurs ont décidé, contre l’avis du ministre, de donner une autorité hiérarchique aux directeurs d’école. Ils ont ainsi un rôle dans l’évaluation des enseignants, en lien avec l’inspection d’académie.
Port du voile interdit pour les accompagnatrices dans les sorties scolaires
C’est une vieille marotte de la droite… à laquelle Jean-Michel Blanqueur n’est pas insensible. La majorité sénatoriale a adopté un amendement interdisant le port de tout signe religieux ostentatoire pour les accompagnants, lors des sorties scolaires. Le mot n’apparaît pas dans le texte, mais les sénateurs LR visent ici les mères qui portent le voile lors de ces sorties. Il s’agit de « combler un vide juridique » et de rappeler « l'obligation de neutralité religieuse à l'école » a expliqué la sénatrice LR du Val-d’Oise, Jacqueline Eustache-Brinio, qui a défendu l’amendement (voir vidéo ci-dessous). Dénonçant de « vieilles obsessions » de la droite, plusieurs sénateurs de gauche ont dénoncé une mesure qui risque de « stigmatiser » et rendre impossible les sorties dans certains quartiers.
Sorties scolaires : le Sénat vote pour l’interdiction du port du voile pour les mères accompagnatrices
Le ministre de l’Education nationale s’est opposé à l’amendement LR – qui sera un point dur pour la commission mixte paritaire où députés et sénateurs tentent de trouver un texte commun – tout en se montrant sensible au sujet. Jean-Michel Blanquer souligne que la mesure « contreviendrait à un avis récent du Conseil d’Etat et poserait tout un tas de problèmes pratiques, qui iraient à l’encontre du développement des sorties scolaires ». Pour le ministre, prendre cette décision serait même « contre-productif » (voir vidéo ci-dessous). Il assure vouloir faire « tout ce qui est dans (son) pouvoir (…) pour que sur le terrain, nous ayons des sorties scolaires avec des parents qui n’ont pas de signe ostentatoire ». Il renvoie la responsabilité sur les directeurs d’école, à qui il « recommande » d’avoir « le plus possible de situations où il n’y a pas de signe ostentatoire. Ça doit être vrai de la part des élèves, ça doit être vrai, le plus possible, de la part des parents ».
Le ministre Blanquer opposé à l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices lors des sorties scolaires
Absentéisme scolaire : la droite sénatoriale vote pour la suspension des allocations familiales
C’est une autre mesure marquée à droite et ajoutée par les sénateurs. La suspension des allocations familiales, afin de lutter contre l’absentéisme répété et non justifié d’un élève. Un amendement centriste prévoit cependant que la retenue des allocations « doit rester une possibilité et non une pratique systématique ». Jean-Michel Blanquer s’est opposé à la mesure tout en estimant « tout à fait recevable » l’idée de « responsabilité au travers d’un contrat ». Il renvoie à « la réflexion sur les violences scolaires, qui aboutira à des mesures de responsabilisations entre les parents et l’école, pour avoir une application pour la rentrée prochaine ». Poussant un coup de gueule contre l’amendement de la droite, la sénatrice PS Samia Ghali a elle dénoncé une mesure « dangereuse ».
Absentéisme scolaire : la droite sénatoriale vote pour la suspension des allocations familiales
« Exemplarité » des professeurs : Blanquer plaide le « malentendu » et se range à la rédaction du Sénat
C’est l’un des sujets qui a mis le feu aux poudres dans le milieu enseignant. Le projet de loi affirme, dans son texte d’origine, que « l’exemplarité » nécessaire des professeurs « contribue à l'établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l'éducation ». Les intéressés y ont vu une marque de défiance voire une volonté d’encadrer leur liberté d’expression. Pour y répondre, les sénateurs ont insisté sur l’importance de l’autorité du professeur et son respect. Le ministre a plaidé, là aussi, le « malentendu » et assuré de son « respect profond des professeurs. (…) Cet article ne vise absolument pas à accentuer le devoir de réserve du professeur ». Il souligne que la suite du texte souligne « le respect des élèves et de leur famille à l'égard des professeurs ». Comme sur le rapprochement écoles/collège, Jean-Michel Blanquer se range à la version du Sénat : « Je reconnais bien volontiers que la re-rédaction par les Sénat apporte une amélioration ».
« Exemplarité » des professeurs : Blanquer plaide le « malentendu »