Avec Ségolène Royal quelques minutes avant, c’était l’autre audition de la commission d’enquête du Sénat sur les concessions d’autoroutes la plus attendue. Celle de Dominique de Villepin, premier ministre en 2005 au moment de la privatisation des autoroutes, synonyme de profits juteux pour les sociétés concessionnaires. Ou plutôt de la vente des dernières parts de l’Etat détenues dans ces sociétés. Une précision qu’a tenue à apporter Dominique de Villepin, souvent accusé d’avoir bradé les autoroutes au profit du privé.
« A la fin des concessions, l’Etat récupérera une infrastructure en très bon état »
« Nous n’avons pas décidé la privatisation des autoroutes » lance l’ancien premier ministre de Jacques Chirac. Déclaration qui peut surprendre, mais dans les faits, « elles font partie du domaine public. L’Etat en est toujours propriétaire, contrairement à ce qu’on dit. A la fin des concessions, (…) l’Etat récupérera une infrastructure en très bon état ».
L’ancien premier ministre souligne par ailleurs que cette décision n’est que l’aboutissement d’un mouvement plus ancien. « Cette décision s’inscrit dans une histoire longue, marquée par le tournant de 2001, avec l’ouverture du marché autoroutier » et la nécessité de respecter le « droit européen ». Il explique se retrouver alors en quelque sorte pieds et poings liés par l’Europe, contraint de « se conformer aux exigences de la Commission européenne, qui était favorable à l’ouverture à la concurrence ». Ouverture cependant décidée par les gouvernements des Etats membres.
« C’était une cagnotte virtuelle »
Dominique de Villepin rappelle quelques repaires : en 1965, premiers péages et concessions. Dans les années 70, « création de sociétés totalement privées ». Et donc 2001, « transformation des sociétés d’économie mixte en sociétés anonymes de droit commun ». En résumé, « en 2005, j’ai mené à son terme le processus de cession » explique-t-il. Mais « l’Etat reste gardien des intérêts publics » et reste « régulateur ».
Dominique de Villepin insiste, cherchant à se défaire de l’image qu’on lui colle depuis des années sur les autoroutes : « Mon gouvernement n’a pas bradé les bijoux de famille, pas plus qu’il n’a tué la poule aux œufs d’or, bien au contraire ». Il fait référence ici aux dividendes autoroutiers perçus par l’Etat, qui s’élèvent alors à « 332 millions d’euros » par an, et aurait pu continuer à rapporter à l’Etat. Mais « il n’y avait pas de cagnotte. C’était une cagnotte virtuelle » pour lui.
« Il y a eu une exigence d’une politique qui est celle de la rigueur »
Jérôme Bascher, sénateur LR de l’Oise, demande si en définitive, le gouvernement n’avait pas pris à l’époque une « décision purement budgétaire ». D’autant que l’ancien ministre des Transports, Gilles de Robien, qui était opposé à la privatisation, a raconté à la commission d’enquête les pressions exercées par Bercy. « Gilles de Robien fait état de deux rencontres avec Bercy. Ne nous trompons pas, ce sont des rencontres habituelles » dit l’ancien premier ministre.
Pour Dominique de Villepin, « il faut se replacer dans le contexte de l’époque », pour comprendre sa décision, prise en accord avec Jacques Chirac. « Il y a eu une exigence d’une politique qui est celle de la rigueur », avec une volonté de diminuer la dette de l’Etat, reconnaît-il. Sur les 14,8 milliards rapportés par les cessions, 11 milliards sont portés au désendettement de l’Etat. Ce qui ne représentait cependant qu’1% du total de la dette, mais « c’était la première baisse depuis le gouvernement Barre ». En parallèle, Dominique de Villepin revendique une « vision » stratégique, car 4 milliards d’euros ont été investis pour financer de nouvelles infrastructures, notamment quatre lignes à grande vitesse, vers Montpellier, Rennes ou le tronçon Rhin-Rhône. Au final, la décision était donc en bonne partie budgétaire, mais pas seulement.
« Le lot qui revenait à Vinci » concédé « sans concurrence » souligne Vincent Delahaye
Vincent Delahaye, rapporteur Union centriste de la commission d’enquête, s’interroge sur « le lot qui revenait à Vinci », concédé « sans concurrence » alors que « c’était le plus important ». « L’offre était moins élevée, par rapport au prix minimum fixé ». Il y voit « un petit problème de procédure… » Et de demander s’il n’aurait pas été globalement « souhaitable de remettre à jour les contrats, avant de mettre en vente. Elisabeth Borne (lors de son audition, ndlr) les a qualifiés de "monstres"… »
Concernant Vinci, Dominique de Villepin assure qu’on était « dans la procédure définie par l’appel d’offres », « sous le contrôle des commissions indépendantes ». « La procédure était dans les clous » certifie l’ancien locataire de Matignon. Quant aux contrats, Dominique de Villepin reconnaît que « nous aurions pu, et peut-être aurait-il fallu le faire, revoir le cahier des charges, revoir les contrats eux-mêmes ». Mais « quand nous héritons de la situation, en 2005/2006, c’est presque trop tard ». Les monstres étaient hors de contrôle. Mais les Docteurs Frankenstein successifs ont tendance à se renvoyer la balle. Pour lui, « en 2015, l’Etat n’a pas fait son boulot », quand des avenants avantageux ont été signés, quand Ségolène Royal et Emmanuel Macron étaient ministres. L’ancienne ministre socialiste explique pour sa part ne pas avoir « suivi les négociations ». « J’ai signé, et je n’ai pas eu la curiosité de regarder le contenu, je l’ai découvert par la presse » assure Ségolène Royal… (voir la vidéo).
Pour l’avenir, l’ancien élu de droite exclut de renationaliser les autoroutes, « idée sympathique mais ubuesque ». Il conseille plutôt de prendre « toutes les garanties », quand il faudra renégocier des contrats, au terme de ceux en cours. Il faudra « reprendre la main sur la durée » pour exclure les contrats trop longs, et « en cas de rentabilité excessive », pouvoir là aussi « reprendre la main ». Pour l’heure, les « monstres » restent en liberté.