Discrimination positive ou égalité républicaine? La question de l'émergence d'une élite issue des banlieues, largement sous-représentées dans les sphères du pouvoir, continue de diviser.
En annonçant mardi ses très attendues mesures pour les quartiers défavorisés, Emmanuel Macron va livrer son verdict sur une des propositions choc de Jean-Louis Borloo dans son rapport sur la banlieue, remis au gouvernement fin avril: créer une "Académie des leaders".
Cette "nouvelle grande école" au concours "aussi sélectif" que l'ENA est présentée comme une réponse à la "trop grande homogénéité de ces diplômés" et le "caractère formaté" des formations. Elle s'adresserait "dans un premier temps" aux jeunes issus des quartiers prioritaires afin de tenter de corriger un profond déséquilibre.
Selon l'Observatoire national de la Politique de la Ville, les élèves issus des quartiers prioritaires ne représentaient en 2015 que 3,2% des effectifs des classes préparatoires aux grandes écoles en métropole.
Cette proposition de discrimination positive qui ne dit pas son nom selon Malek Boutih, ancien député PS de l'Essonne et ex-président de SOS Racisme, relève d'un "choix politique extrêmement profond et inquiétant". Face aux inégalités, "c'est le modèle républicain qu'il faut défendre", assure celui qui refuse la "charité politique".
"Certains ont à gravir l'Everest quand d'autres grimpent une colline, mais il ne faut pas combler les inégalités avec des chemins différents", notamment en créant des "sous-grandes écoles", affirme-t-il, préférant saluer le modèle mis en place par Sciences Po Paris.
En 2001, constatant le "manque d'ouverture sociale et culturelle" du recrutement des grandes écoles, l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris a lancé des partenariats permettant à des lycéens de zones d'éducation prioritaire (ZEP) d'intégrer l'école via un recrutement spécifique.
Si, à son lancement, le concept avait dû faire face à une levée de boucliers dans un pays où tout ce qui touche de près ou de loin à la discrimination positive est explosif, d'autres établissements se sont, depuis, lancés dans des programmes dits "égalité des chances" ou "cordée de la réussite".
A Sciences Po, les plus de 1.700 étudiants admis par cette procédure - et qui suivent le même cursus que les autres - ont connu, selon l'Institut, une insertion professionnelle "en tous points semblable" à celles des étudiants intégrés par la voie classique.
- "Hypocrisie républicaine" -
Un "succès" qui reste toutefois minoritaire. Depuis vingt ans, estime le sociologue Thomas Kirszbaum "tous les cinq ans, on a des plans pour diversifier la fonction publique, qui ne sont soit pas appliqués, soit pas adaptés et encore moins évalués".
"Il faut s'interroger sur les concours de la fonction publique, sur les stéréotypes de ceux qui examinent les candidats, sur la place qui est faite à l'oral et à la +culture générale+, cette culture légitime de l'élite, à ces mécanismes qui permettent aux élites de s'auto-reproduire et de s'auto-sélectionner", avance-t-il.
Contrairement à l'"affirmative action" américaine, les dispositifs de discrimination positive "à la française" comme celui mis en place par Sciences Po se basent sur l'appartenance territoriale ou socio-économique, note-t-il aussi. "On met un voile pudique sur les inégalités qui sont de type racial ou ethnique", ajoute-t-il, soulignant "l'hypocrisie républicaine" d'un pays où "toute la politique anti-discrimination est pensée comme la réparation de torts individuels, ce qui empêche de regarder la situation des groupes qu'on appelle ailleurs des minorités".
Doyen de l'École d'affaires publiques de Sciences Po, principal pourvoyeur de candidats à l'ENA, Yann Algan estime lui "absolument vital" de "mélanger" dans la diversité les futurs acteurs des politiques publiques et leur apprendre à "coopérer", dès leurs études. "Il faut qu'ils soient formés ensemble", insiste-t-il.
"Si vraiment on veut faire de la question des inégalités d'accès aux positions de pouvoir un enjeu de politique publique, il faudrait commencer par mesurer les choses", conclut pour sa part Thomas Kirszbaum. "Mais comme on ne dispose pas d'appareil statistique pour mesurer les inégalités ethno-raciales, on n'a peu de moyens d'avoir une vision juste de la réalité des inégalités, et de se doter d'instruments de correction".