Didier Migaud prêt à élargir les règles de transparence aux magistrats et membres du Conseil constitutionnel

Didier Migaud prêt à élargir les règles de transparence aux magistrats et membres du Conseil constitutionnel

Les commissions des lois du Parlement ont validé la nomination de Didier Migaud à la tête de la Haute autorité pour la transparence. Sur les lobbys, il est opposé à la publication des agendas des parlementaires. La transparence, « ça n'est pas du voyeurisme » selon l’ex-socialiste. Mais il est favorable à l’idée de soumettre les magistrats aux déclarations d’intérêts.
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La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) va bientôt retrouver un nouveau président. Didier Migaud a passé sans difficulté son grand oral devant le Parlement. Les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat ont validé la nomination, proposée par Emmanuel Macron le 15 janvier, du président de la Cour des comptes à la tête de l’autorité née de l’affaire Cahuzac. Un vote sans ambiguïté : 45 pour, 4 contre et 6 bulletins blancs. Il fallait que les 3/5 des membres des deux commissions votent contre pour s’y opposer. Il faudra encore que le chef de l’Etat prenne un décret pour officialiser sa nomination.

Il était temps. Depuis le 15 décembre, la HATVP était une institution sans tête. Jean-Louis Nadal, dont les fonctions prenaient fin à cette date, n’avait pas été remplacé immédiatement par Emmanuel Macron. « La procédure n’a pas été très rapide et ne nous a pas épargnés une vacance de la présidence de cette haute autorité, qui aura duré plus d’un mois » a fait remarquer Philippe Bas, président LR de la commission des lois du Sénat.

75 dossiers transmis à la justice et 12 condamnations depuis 2013

Depuis sa création en décembre 2013, la HATVP a montré son importance. Les parlementaires, mais aussi les ministres, sont obligés de faire des déclarations d’intérêts et de patrimoine. Un oubli peut coûter cher, juridiquement ou politiquement. L’ancien Haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, poussé à la démission pour ses omissions, en sait quelque chose. Au Parlement, plusieurs députés et sénateurs ont vu leur cas transmis au parquet.

Au total, depuis sa création, la Haute autorité a transmis 75 dossiers à la justice dont 12 ont abouti à des condamnations. Une cinquantaine d'enquêtes sont toujours en cours et quelques cas ont abouti à un classement. « Plus de 15.800 responsables publics ont déposé des déclarations de patrimoine et d’intérêts », traités par « 55 agents », a expliqué Didier Migaud. « C’est la preuve de la probité des élus, car ça représente moins de 1% des dossiers contrôlés » a insisté le futur président de la HATVP.

Défendant les valeurs la HATVP, « l’indépendance, le contradictoire et la collégialité », l’ancien socialiste a rappelé qu’« il n’y a pas de contrôle crédible sans indépendance. Ses décisions (de la Haute autorité) doivent être prises sans influence du pouvoir politique ». Didier Migaud ajoute : « Cet impératif s’accompagne d’un certain courage : dire ce qui ne va pas. (…) Et le courage de ne pas céder à tentation de ne pas noircir le tableau. Il faut aussi dire quand cela va bien, diffuser les bonnes pratiques ».

« Tous ceux qui exercent une activité publique de responsabilité doivent pouvoir remplir une déclaration d’intérêt et de patrimoine »

Interrogé par le socialiste Jean-Pierre Sueur pour savoir « si les neuf membres du Conseil constitutionnel doivent être tenus de déclarer auprès de la HATVP une déclaration de patrimoine et d’intérêt », Didier Migaud s’y est montré favorable. « Je trouve que tous ceux qui exercent une activité publique de responsabilité doivent pouvoir remplir une déclaration d’intérêt et de patrimoine » estime le futur président de la HATVP (voir la vidéo). Message envoyé à son ancien camarade socialiste, Laurent Fabius, qui préside l’institution de la rue de Montpensier.

« Je crois que c’était prévu dans la loi. (...) Les magistrats, que ce soit les magistrats de l’ordre judiciaire, les magistrats financiers ou du Conseil d’Etat, n’ont pas été concernés par cette mesure. Honnêtement, il n’y pas de raison. Que les déclarations d’intérêts et de patrimoine puissent être déposées à la HATVP, au même titre que d’autres responsabilités au niveau de l’Etat, je n’y vois bien sûr strictement aucun inconvénient. Mais le législateur, c’est vous… » ajoute Didier Migaud. Autrement dit, cela dépend de la loi votée in fine par les parlementaires, que le président de la Haute autorité ne fait qu’appliquer.

Manque de « moyens »

Autre sujet majeur : l’encadrement du lobbying. Depuis la loi Sapin II, les représentants d’intérêt doivent s’inscrire dans un répertoire auprès de la HATVP et déclarer leurs actions. Ils sont aujourd’hui 2.000 inscrits avec « plus de 15.000 actions ». Des sanctions pénales sont prévues pour ceux qui ne s’y plient pas. En 2021, le répertoire sera étendu aux collectivités locales, ce qui pose la question des moyens de l’autorité. Elle va très vite se poser, car la HTVP a récupéré les missions de la commission de déontologie de la fonction publique, et « pour l’instant, les moyens n’ont pas suivi. Je trouve ça anormal » affirme Didier Migaud.

S’il a rappelé l’importance de cette transparence pour « que les citoyens comprennent bien comment se fabrique la loi, qui intervient dans quel sens », Didier Migaud souligne cependant que « la transparence est un moyen, et pas une fin en soi ». Un peu plus tôt, devant les députés, il s’est ainsi opposé au principe de la publicité des agendas des députés. La transparence, « ça n'est pas du voyeurisme » a-t-il lancé. Il n’en voit pas « l'utilité » car « la Haute autorité n'a pas vocation à contrôler l'activité quotidienne des parlementaires ». C’était une proposition des députés LREM qui, dans les faits, a été peu mise en pratique par le groupe. Mais Didier Migaud se dit favorable à une transparence accrue sur les « échanges, et contacts pris entre élus et représentants d'intérêts ».

« Les allers/retours entre public et privé, ça peut être utile » selon Didier Migaud

Auditionnée à son tour par la commission, la professeure de droit public, Anne Levade, l’une des deux nouvelles personnalités proposées par Gérard Larcher pour siéger à la HATVP, partage le même point de vue sur les agendas. Elle est allée plus loin, en s’opposant aussi à la transparence sur l’origines des amendements, pourtant mise en place petit à petit. « Identifier, dans une forme de sourcing, tous ceux qui auront été associés à la rédaction d’un amendement, ne me semble pas être de nature à expliciter le travail intellectuel qui conduit à un amendement » a soutenu. Par ailleurs, sur le « rétropantouflage », qui consiste à faire des allers/retours entre le public et le privé, avec les risques de conflits d’intérêts qui vont avec, elle est là aussi prudente. « En soi, il ne s’agit pas de condamner le pantouflage ou retropantouflage par principe, mais d’apprécier au cas par cas » soutient celle qui présidait la primaire de la droite, en 2016. Sa nomination, au regard de cette expérience pour les LR, « laisse sans voix » la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie.

Didier Migaud partage le point de vue d’Anne Levade sur ce point du retropantouflage. A ses yeux, il ne s’agit de « ne pas empêcher les allers/retours – ça peut être utile – mais de faire en sorte que le cadre soit bien respecté et que les conflits d’intérêts puissent être au maximum évités ».

Déclarations d’intérêts : « S’il y a quelques assouplissements qui peuvent être proposés, c’est à regarder »

Didier Migaud entend aussi « laisser une place au droit à l’erreur ». Et n’est pas hostile à revoir les règles de déclarations. « S’il y a quelques assouplissements qui peuvent être proposés, c’est à regarder » dit Didier Migaud, en réponse à une question de Philippe Bas, qui évoque les informations que peut transmettre l’administration fiscale, mais « il ne faut pas que ça ait pour conséquence moins de transparence » prévient l’ex-socialiste.

S’il faut attendre de voir en pratique comment Didier Migaud mènera la HATVP, on peut voir dans ses auditions quelques signaux pouvant être interprétés comme une volonté de ne pas trop charger la barque en matière de transparence. Les associations comme Transparency international ou Anticor sauront, si besoin, rappeler au nouveau président de l’autorité la nécessité en la matière.

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