Jean-Louis Nadal avait incarné la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) depuis sa création, en 2013, sous François Hollande. Charge à Didier Migaud, qui lui a succédé depuis février 2020 à la tête de l’autorité créée suite à l’affaire Cahuzac, de prendre le relais. Il a présenté pour la première fois, ce jeudi 9 juillet, le rapport annuel de la HATVP.
Cette autorité administrative indépendante a vu ses missions grossir. Depuis le 1er février, elle s’est vue confier une partie des missions de la Commission de déontologie de la fonction publique. A charge à elle, maintenant, de contrôler la déontologie d’une partie des responsables et agents publics, comme les membres de cabinet ministériel, les directeurs d’administration centrale ou les directeurs généraux des services des collectivités, en cas de mobilité entre les secteurs public et privé. Soit « plus de 15.000 personnes » à contrôler, souligne Didier Migaud. Quatre personnes ont renforcé les troupes, vu la masse énorme de travail. « Mais il y a encore des marges de manœuvre possibles, sans être dans une logique de toujours plus. Je n’oublie pas mes anciennes fonctions pendant 10 ans », sourit l’ancien président de la Cour des comptes.
23 cas transmis à la justice sur 5.360 déclarations
Selon le bilan 2019 de la HATVP, on constate que les cas graves restent une minorité, sur les 5.360 déclarations de patrimoine et d’intérêts reçues. La Haute autorité a fait dans 22% des cas un rappel aux obligations déclaratives. Dans 4% des cas, elle a sollicité une modification de la déclaration. Et 23 dossiers ont été transmis à la justice en 2019. Si Didier Migaud ne donne pas le nombre précis de députés et de sénateurs concernés, on sait que 3 dossiers concernent l’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), qui s’ajoute aux 15 dossiers transmis en 2018 au Parquet national financier sur l’IRFM.
Si les débuts n’ont pas toujours été faciles – certains parlementaires avaient qualifié la HATVP de « Gestapo » sur leur première déclaration… – la logique de la nécessité et des vertus de la transparence, en démocratie, rentrent petit à petit dans les mœurs. Indispensable, face au désintérêt croissant des Français pour la politique.
Eric Dupond-Moretti avait qualifié la HATVP de « truc populiste »
Mais il reste encore des efforts à faire. La HATVP « augmente la pression » sur les représentants d’intérêt qui ne se sont toujours pas inscrits au registre, n’excluant pas des « contrôles » et « injonction ». Il en reste aussi quelques-uns à convaincre. A commencer par… le nouveau ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. Au regard de ses déclarations passées, on peut douter qu’il soit un fervent défenseur de la transparence et du travail de la Haute autorité. « Cette affaire, c'est la première œuvre de la HATVP, cette espèce de truc populiste. Ça fait des mois qu'ils ne foutaient rien, il fallait bien qu'ils sortent quelque chose », attaquait en 2015 l'avocat, au moment du procès de l'ancienne ministre Yamina Benguigui, qui n’avait pas tout déclaré à la Haute autorité. Au moment de l’affaire Griveaux, Eric Dupond-Moretti affirmait tranquillement n'aimer « ni la transparence, ni l'autorité », estimant que « la volonté effrénée de transparence » peut conduire à « la dictature ».
« Je ne partage pas du tout ce point de vue exprimé par l’avocat Dupond-Moretti » répond aujourd’hui Didier Migaud, semblant espérer que le nouveau costume de celui qu’on surnomme « acquittator » le fera changer d’avis. « Le terme populiste est infamant », « la transparence, ce n’est pas du voyeurisme, c’est utile », insiste le président de la HATVP, « convaincu que le nouveau ministre sera convaincu » de la nécessité de la transparence. Didier Migaud ajoute :
J’aurai l’occasion de le rencontrer et de lui expliquer que sa vision n’est pas la bonne.
Un président de la Haute autorité de la transparence de la vie publique qui a, pour le coup, forcément transmis à Emmanuel Macron son avis sur le nouveau garde des Sceaux, avant sa nomination. Avant chaque nouveau gouvernement, les noms pressentis sont en effet testés auprès de la HATVP. Il n’est pas impossible que l’un d’eux ait été rayé de la feuille de match du gouvernement Castex en raison de problèmes. « Je confirme que le Président » a « demandé des informations au président de la HATVP sur des personnes » affirme Didier Migaud, « et nous avons apporté des éléments d’information ». Mais impossible d’en savoir plus. Quant aux nouveaux ministres, ils devront, comme les autres, faire leurs déclarations dans les deux mois.
Didier Migaud « favorable au report » d’un an du registre des lobbys pour les élus locaux
A l’avenir, une nouvelle tâche va s’ajouter pour la Haute autorité, avec la création d’un registre des lobbys au niveau des élus locaux. Mais lors de l’examen au Sénat d’un texte très « fourre-tout » lié à la crise sanitaire, les sénateurs ont repoussé de deux ans la création de ce registre, en 2023, contre l’avis du gouvernement. En commission mixte paritaire, la mesure a finalement été conservée mais ramenée à un report d’un an. Ce n’est pas pour déplaire à Didier Migaud, « favorable à ce report ». La HATVP risquait d’être « complètement noyée, submergée », reconnaît son président, si le répertoire était ouvert dès 2021, comme initialement prévu. Il ne s’agit pas de « retarder encore la volonté du législateur, mais nous voulons être prêts » dit-il. Il faut dire que le nombre de représentants d’intérêt concernés passerait « de 2.000 à plus de 19.000 », ce qui au passage laisse songeur quant au poids des lobbys sur les élus locaux…
Pour mieux travailler, la HATVP fait quelques propositions, comme la possibilité d’obtenir directement des informations auprès des banques et établissements financiers, l’idée de doter l’autorité d’un pouvoir de sanction par des amendes, la publication des rencontres entre responsables publics et lobbys, qui permettrait d’y voir plus clair sur la fabrique de la loi, ou encore la possibilité de publier sur le site de la HATVP les déclarations de patrimoine des députés et sénateurs, à la manière de leur déclaration d’intérêts ou des déclarations des ministres. Après une bataille sur ce sujet lors de l’élaboration de la loi de 2013, ces déclarations de patrimoine ne sont consultables qu’en préfecture et leur divulgation est interdire, passible d’une amende de 45.000. Vues ces conditions strictes, en 2019, on ne compte que 18 consultations. Autre idée : créer un guide du conflit d’intérêts. Comme s’il y avait vraiment besoin de rappeler ce qui peut constituer un conflit d’intérêts. S’il y a des progrès, la transparence reste un long chemin.