Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Deux ans de Macron : les présidents de groupe du Sénat font le bilan
Par Public Sénat
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C’était il y a pile deux ans. Emmanuel Macron devenait le huitième président de la Ve République. Inconnu du grand public trois ans avant, le jeune Président a réussi le tour de force d’emporter une élection promise à la droite, avant l’éclatement de l’affaire Fillon. Bien qu’issu du sérail, l’ancien banquier d’affaires a su profiter d’une volonté forte de renouvellement, enclenchant avec son parti En marche un mouvement de recomposition politique dont il en tire les fruits, les autres en font les frais. Un magnifique hold-up démocratique (voir aussi le sujet vidéo de Jonathan Dupriez).
Transparence, ordonnances sur le code du travail, suppression de l’ISF et des cotisations chômage et maladie, réforme de la SNCF, Parcoursup : le gouvernement enchaîne les réformes. La résistance est parfois là, mais l’exécutif n’en a cure. Les corps intermédiaires sont mis de côté. Il va le regretter. Un peu tard. Aujourd’hui, il tente de les remettre dans la boucle.
Juillet 2018. La France remporte la Coupe du Monde. La baraka continue pour le chef de l’Etat. C’était avant que n’éclate l’affaire Benalla. L’Elysée donne l’impression qu’il cherche plus à protéger cet encombrant chargé de mission qu’à sanctionner ses fautes du 1er mai. Le Sénat lance sa commission d’enquête, faisant durer le feuilleton des mois. Mais le pire pour Emmanuel Macron est à venir : la crise des gilets jaunes. Le pouvoir n’a rien vu venir. Il est fragilisé, avant de lâcher 10 milliards d’euros de mesures et un grand débat.
Deux ans après, rien ne va plus, ou presque. La belle mécanique de la start-up nation, à coup de bottom-up et de réformes disruptives, a fait long feu. La faute aussi à des erreurs personnelles de communication, les petites phrases d’Emmanuel Macron sapant et occultant ses propres réformes. Le même tente d’ouvrir aujourd’hui un acte II de son quinquennat. Pour ne pas finir comme ses prédécesseurs.
Depuis deux ans, l’opposition a aussi accusé l’exécutif de malmener le Parlement, qu’il veut réformer. Le Sénat, dirigé par la droite, se retrouve sous Emmanuel Macron avec un rôle clef. Il joue à plein son rôle de contre-pouvoir. Nous avons demandé à ses principaux présidents de groupe leur bilan des deux ans d’Emmanuel Macron.
Bruno Retailleau, président du groupe LR : « Deux ans après, la France est profondément divisée »
« Il y a deux ans la France allait mal. La seule question qu’il faut se poser, c’est deux ans après, va-t-elle mieux ? La réponse est non. Car la France est profondément divisée. Emmanuel Macron a voulu sortir du clivage droite-gauche mais il a revitalisé un clivage beaucoup plus conflictuel entre le haut et le bas, entre le peuple et les élites ».
« Le bilan est aussi une politique qui est perçue comme profondément injuste mais ne produit pas de résultat. La croissance a baissé. On était à 2,3% il y a deux ans, elle est à 1,4% en 2019. (…) Le bilan est négatif. Aujourd’hui, la politique menée par Macron ne produit pas de résultat ».
« Il n’a pas été au rendez-vous de ses promesses. Je pense qu’il avait de formidables atouts, sa jeunesse, son enthousiasme, le fait d’avoir un espace européen où Angela Merkel était un peu en bout de course. (…) Mais il a gâché ses atouts par une attitude souvent trop arrogante. Et il a fait de toutes petites réformes, qui ne sont pas du tout à la hauteur. (…) Il faut avoir un langage de vérité et il ne l’a pas eu, lors de sa conférence de presse. (…) Il met les grands sujets sur la table mais aussitôt il les glisse sous le tapis ».
Patrick Kanner, président du groupe PS : « Les Français pensaient élire le 7 mai un nouveau Mendès-France. Ils se sont réveillés avec un nouveau Valéry Giscard-d'Estaing »
« Le mot qui me vient à l’esprit c’est désillusion. Beaucoup pouvaient être séduits par la personnalité de Monsieur Macron avec le temps de la campagne, son programme. Et il y a maintenant la terrible réalité des chiffres. Le pays ne va pas bien, la croissance est médiocre, on recreuse les déficits. On est parfois sur une logique punitive à l’encontre du plus grand nombre de nos concitoyens. (…) Et on demande moins d’efforts à ceux qui ont plus de richesses. Ceux qui vont mieux sont les riches. Le président des très riches, une expression utilisée par François Hollande, n’est pas galvaudée ».
« Les Français pensaient élire le 7 mai un nouveau Mendès-France. Ils se sont réveillés le lendemain avec un nouveau Valéry Giscard-d'Estaing. C’est une politique de centre-droit, mais avec le mot droit de plus en plus fort. Il faut qu’il l’assume. Mais le ni droite ni gauche, a montré très vite ses limites ».
Hervé Marseille, président du groupe Union centrise : « Son ambition réformatrice s’est heurtée à l’absence de concertation des corps intermédiaires »
« Il avait affiché des objectifs ambitieux. Je pense que beaucoup de Français pouvaient souscrire à cette ambition réformatrice. Force est de constater qu’elle s’est heurtée à la méthode qu’il a employée. C’est-à-dire la verticalité, l’absence de concertation des corps intermédiaires, les syndicats, mais aussi le Parlement. On voit aujourd’hui qu’il a changé cette méthode, qu’il exprime davantage de considération à l’égard des élus, des syndicats. Et le grand débat a été important pour révéler ce besoin de concertation et de dialogue. J’espère que le pli est pris. (…) Mon souhait, c’est qu’il réussisse. Car s’il réussit, c’est la France qui réussit ».
François Patriat, président du groupe LREM : « Le gouvernement a mis en place les réformes à un rythme accéléré, parfois trop »
« Depuis deux ans, ce gouvernement a mis en place les réformes que le chef de l’Etat avait proposées dans la campagne électorale. Nous l’avons fait à un rythme accéléré, parfois trop. Donc les Français n’ont pas toujours suivi ce rythme. Et les réformes ont été oubliées dès lors qu’elles ont été votées. Je pense à la réforme de la SNCF, agroalimentaire, sur l’apprentissage, le texte sur la probité. Voilà autant de textes qui marqueront l’histoire de ce pays. En même temps, nous devons peut-être essayer de prendre le temps d’une pause pour faire ce bilan. Ce jour anniversaire devrait le permettre. Pour regarder le chemin parcouru et la volonté du gouvernement de poursuivre ses réformes afin de transformer ce pays et mettre le pays en état de marche ».
« Il y a sans doute eu des maladresses, mais surtout une opposition globale dans ce pays qui n’a pas accepté l’élection d’Emmanuel Macron. (…) Aujourd’hui les oppositions se coagulent ».
« Je ne prends pas l’affaire Benalla comme départ des difficultés. Je la prends pour ce qu’elle est. C’est une dérive personnelle grave, mais qui n’entache en rien la politique du gouvernement ».
« L’année qui vient et le début 2020 vont porter sur les retraites, l’Unedic et les réformes institutionnelles. (…) On arrivera aux 3 ans en ayant fait l’essentiel des grandes réformes ».
Eliane Assassi, présidente du groupe CRCE (à majorité communiste) : « Casse des services publics et cadeau aux plus riches »
« Il y a un profond décalage entre les annonces du candidat Macron et du président de la République Macron. On est dans la désillusion. Il n’y a pas beaucoup de politiques concrètement en faveur des populations de notre pays. La preuve : beaucoup sont dans la rue depuis le 17 novembre dernier. Au bout d’un an et demi, la colère a éclaté ».
« Sur l’école, les retraités, la fonction publique, ce sont des politiques qui tendent à déstructurer notre pays, en particulier en cassant les services publics. Il y a un cadeau fait aux plus riches. C’est un bilan particulièrement négatif ».
« On a un problème dans le pays : quelle est la doctrine des forces de l’ordre ? On s’aperçoit au fil des semaines que la façon dont sont dirigées les forces de l’ordre n’est pas la bonne. On est dans le tout répressif. Face à des policiers éreintés, fatigués, énervés, les politiques sont dans l'incapacité à faire en sorte que les manifestations se déroulent dans de bonnes conditions ».