Réformer vite, c’est le souhait de nombreux gouvernements. Pour s’affranchir de certaines ‘lenteurs’ du Parlement, l’exécutif peut légiférer par ordonnances, appliquer rapidement son programme. Prévue à l’article 38 de la Constitution, cette méthode permet à l’exécutif d’enjamber le Parlement et d’intervenir de manière limitée, pour un temps donné, et à condition d’obtenir son autorisation au préalable dans le domaine législatif. Cette « autorisation préalable » est accordée par le vote d’une « loi d’habilitation ».
Toutefois, pour éviter que les ordonnances n’échappent à tout contrôle du Parlement, les ordonnances doivent être ratifiées par le Parlement dans un délai fixé au moment de l’habilitation. Selon la Constitution, passé ce délai, « les ordonnances deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. »
Le Sénat par l’intermédiaire d’un groupe de travail consacré à « la modernisation des méthodes de travail du Sénat », s’est penché sur le recours aux ordonnances par le gouvernement. Le comité a livré ses conclusions dans une analyse, disponible sur le site du Sénat.
Une « intensification » du recours à l’ordonnance depuis 2007
Le nombre total d’ordonnances publiées a doublé entre 2007 et 2022 (773), par rapport à la période entre 1984 et 2007. Au cours de cette phase, le nombre d’ordonnances publiées s’élève à 321. Les auteurs du rapport sénatorial soulignent une multiplication par 3 de la moyenne annuelle d’ordonnances publiées, « passant de 14,3 ordonnances publiées chaque année entre 1984 et 2007, à 51,3 sur la période 2007-2022. »
Au cours des 15 dernières années, Emmanuel Macron est le président ayant le plus recouru à cette méthode. L’actuel chef de l’Etat a publié 350 ordonnances, soit 70 par an lors de son premier quinquennat. Ce chiffre est de 271 ordonnances pour son prédécesseur. François Hollande a presque doublé le nombre d’ordonnances publiées par rapport au quinquennat de Nicolas Sarkozy (152). Le rapport constate que l’ordonnance est devenue le principal mécanisme d’adoption de la loi : « sur l’ensemble de la période couverte, [2007-2022 ; ndlr] […], 50 % des textes intervenant dans le domaine législatif sont des ordonnances. » Ce pourcentage atteint même 72 % au cours de l’année 2020. Pour rappel, la première loi d’urgence sanitaire avait conduit à 57 habilitations à légiférer par ordonnances portant sur des pans entiers du droit et sur des sujets touchant des millions de Français : décaler le second tour des municipales ou décider de mesures économiques d’urgence.
Légiférer par ordonnances, un gain de temps ?
Généralement cantonnés à des domaines précis comme la transposition de textes ou de directives européennes, les sujets traités et abordés par les ordonnances ont évolué sur la période étudiée par le groupe de travail sénatorial. « Les anciens domaines […] ont fortement diminué […] pour ne représenter le sujet principal que d’une ordonnance sur quatre. » Présenté comme un moyen rapide d’appliquer un programme gouvernemental en s’affranchissant « d’obstacles » parlementaires, « les délais nécessaires pour légiférer par ordonnances seraient en moyenne plus longs que ceux nécessaires pour adopter une loi. » Il fallait en moyenne 250 jours pour adopter une loi au parlement au cours de la session 2020-2021 contre 466 jours pour la publication d’une ordonnance.
Une raréfaction de la ratification des ordonnances
Les auteurs de ce rapport ont également analysé le contrôle parlementaire sur les ordonnances depuis 2007. La révision constitutionnelle de 2008 exige une ratification explicite des ordonnances, souvent au cours d’un projet de loi de ratification, un texte déposé devant les parlementaires « dans le délai prescrit par la loi d’habilitation. » Le rapport constate une baisse constante du taux de ratification depuis 2007. Sous Nicolas Sarkozy, la ratification des ordonnances publiées s’élève à 79,6 %, contre 61,3 % durant le mandat de François Hollande. Ce chiffre est ensuite divisé par trois sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Le taux de ratification atteint les 20,3 %.