Décrets sur le fichage : les sénateurs socialistes veulent une audition de Gérald Darmanin et de la CNIL

Décrets sur le fichage : les sénateurs socialistes veulent une audition de Gérald Darmanin et de la CNIL

Les sénateurs du groupe socialiste demandent que la commission des lois auditionne le ministre de l’Intérieur mais aussi la présidente de la Commission nationale informatique et libertés, après la révision de trois décrets qui élargit le spectre des informations collectées dans les fichiers de police relative à la sécurité intérieure.
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Opinions politiques, appartenances syndicales ou convictions religieuses voire philosophiques. Ou encore habitudes de vie, déplacements, pratiques sportives ou activités sur les réseaux sociaux. Depuis le 4 décembre, date de l’entrée en vigueur de trois décrets réactualisés, ces nouvelles données sensibles peuvent être désormais incluses dans certains fichiers gérés par la police, la gendarmerie ou le renseignement territorial, qui liste des individus qui constituent une menace pour la « sécurité publique » ou encore la « sûreté de l’Etat ». Là où auparavant ces fichiers ne se contentaient d’inscrire que des activités.

Les fichiers en question sont celui de la Prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP), celui de la Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP) ou celui intitulé Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP). Des personnes morales, comme les associations, pourront par ailleurs désormais susceptibles d’y être inscrites.

Après avoir interpellé publiquement le gouvernement lors des questions d’actualité (QAG), le 9 décembre, le groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat a demandé deux jours plus tard que la commission des lois auditionne le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) Marie-Laure Denis sur ces trois décrets. Etant donné la matière sensible abordée par les décrets, ils veulent leur demander des « explications ». « Il est difficile d’avoir un débat de fond avec Gérald Darmanin. En commission, ce sera utile et cela permettra d’avoir des réponses précises », justifie la sénatrice PS de Paris, Marie-Pierre de La Gontrie.

Lors des dernières QAG, le ministre s’était défendu en expliquant que le gouvernement ne faisait que tirer les conclusions des dispositions du règlement général sur la protection des données (RGPD), ratifié par le Parlement en 2018, ou qu’il avait fait évoluer les textes réglementaires, après des remarques de la CNIL. Selon Gérald Darmanin, la réécriture a également été rendue nécessaire par « l’évolution de la menace ».

« Le problème de ces fichiers, c’est la qualité de l’information qui est entrée, la capacité du contrôle »

Quand les nouvelles modalités de fichage sont sorties de l’ombre avec la publication au Journal officiel, des inquiétudes se sont fait entendre dans des associations de protection des libertés comme la Quadrature du Net, mais aussi au Parlement. Pour la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie, l’épisode rappelle de mauvais souvenirs et une polémique vieille de seulement douze ans. « Ce qu’on reproche à ces trois décrets, c’est d’être les enfants d’Edvige. » Edvige, ou Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale, un projet de fichier de police qui n’a finalement pas vu le jour en 2008, au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, face au tollé qu’il a suscité. « Les griefs que l’on avait faits à Edvige à l’époque, on les retrouve ici. Tout ce pan relatif à la vie privée, et surtout le passage des pratiques à celles des convictions », détaille la sénatrice de Paris. Comme le montrent les archives des questions écrites des sénateurs, Edvige avait même suscité des inquiétudes jusque dans les rangs de la majorité UMP. Le sénateur Bernard Fournier avait notamment souligné sur la nécessité « de ne pas basculer » dans le « renseignement politique ».

De manière plus large, Marie-Pierre de La Gontrie pose la question de ces fichiers et de leur opacité. « Le problème de ces fichiers, c’est la qualité de l’information qui est entrée, la capacité du contrôle, de la vérification et du nettoyage des fichiers ». La sénatrice, qui suit cette problématique depuis de nombreuses années, affirme par exemple que l’ancien Système de traitement des infractions constatées (STIC), très consulté pour le recrutement de professions dans le domaine de la sécurité, avait été pointé du doigt épinglé dans sa gestion. En 2012, la CNIL avait estimé que 40 % des fiches qui ont fait l’objet d’un contrôle par son intermédiaire avaient donné lieu à des rectifications d’une information « déterminante ».

Les socialistes ne sont pas les seuls à s’être élevés contre les trois nouveaux décrets. Le président du groupe écologiste au Sénat, Guillaume Gontard, a ainsi tweeté : « Scandaleux ! Tranquillement, par décret, le gouvernement élargit trois fichiers policiers en intégrant les opinions politiques, syndicales, religion, santé, habitudes de vie… Dérive supplémentaire vers un état liberticide ».

Si la CNIL a constaté que le gouvernement « régularisait » certaines pratiques déjà mises en œuvre, elle a surtout souligné que la rédaction de certaines catégories de données était « particulièrement large ». Le 10 décembre, Gérald Darmanin s’est engagé à « préciser » les textes réglementaires, tout en assurant qu’il ne fallait pas « y voir une sorte de Big Brother ».

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