De Pénicaud à Delevoye, la longue journée rabibochage de Philippe
Aux côtés de Muriel Pénicaud dans les Alpes-de-Haute-Provence, puis de Jean-Paul Delevoye dans la soirée à Pau pour débattre du sujet...
Par Jérémy MAROT
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Aux côtés de Muriel Pénicaud dans les Alpes-de-Haute-Provence, puis de Jean-Paul Delevoye dans la soirée à Pau pour débattre du sujet inflammable des retraites, Edouard Philippe a affiché jeudi son entente avec son équipe, malgré de récentes divergences publiques qui ont brouillé le message gouvernemental.
Oublier les accrocs et notes dissonantes: dans un climat social de plus en plus tendu, marqué jeudi par des manifestations de personnels hospitaliers, le chef du gouvernement a voulu projeter une image d'unité.
Première étape: montrer que la connexion est désormais rétablie avec Muriel Pénicaud, après des mois de tensions en tous genres, entre désaccords de fond, fuites dans la presse et piques distillées en coulisses. Dernier avatar de ce feuilleton, une exonération sociale sur l'emploi à domicile pour les seniors, que la ministre du Travail voulait supprimer avant de subir un désaveu d'Edouard Philippe devant l'Assemblée.
Presque deux mois plus tard, les deux ont échangé côte à côte jeudi après-midi avec des apprentis et des étudiants en alternance des Alpes-de-Haute-Provence, dans un centre spécialisé dans les métiers de la transition écologique, guidés par le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, élu du département.
A cette occasion, le Premier ministre a loué les résultats de la réforme menée par Mme Pénicaud, assurant que l'apprentissage était "l'arme de destruction massive contre le chômage, la voie royale vers l'emploi, avec l'alternance". Citant à plusieurs reprises la ministre du Travail, Edouard Philippe a notamment souligné le nombre d'apprentis record (458.000) atteint cette année.
- Caractères opposés -
Dans la soirée, il s'est agi de montrer que le climat était aussi assaini avec le haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye, lors d'une consultation citoyenne à Pau sur la future réforme.
Le Premier ministre Edouard Philippe (d) et la ministre du Travail Muriel Penicaud à Paris, le 18 juin 2019
AFP/Archives
La relation entre MM. Philippe et Develoye, aux caractères très opposés entre la raideur du premier et la bonhomie parfois insaisissable du second, est de longue date branchée sur courant alternatif. On se souvient encore avec acidité rue de Varenne d'une sortie en avril de l'ancien ministre de Jacques Chirac contre les "cons de Matignon", savamment distillée dans le Canard enchaîné.
Les talents de manoeuvrier de M. Delevoye, capable d'agiter des menaces de démission, d'utiliser la presse ou de jouer avec les syndicats pour obtenir des arbitrages favorables, ont aussi irrité le chef du gouvernement. Jusqu'à cette interview de M. Delevoye au Parisien la semaine passée dans laquelle il jugeait "impossible" de réserver le nouveau régime universel de retraites aux seuls nouveaux entrants sur le marché du travail.
Une possibilité pourtant contenue dans le rapport du haut-commissaire et qu'Emmanuel Macron comme Edouard Philippe avaient mise sur la table pour favoriser la transition de certains régimes spéciaux. "Je pense que parce qu'on a le temps" de faire la réforme, "il faut prendre le temps de la transition" et "ne pas prendre les gens par surprise", a encore plaidé le Premier ministre jeudi, en annonçant que les partenaires sociaux seraient reçus à Matignon la semaine du 25 novembre.
- Pas de "divorce" -
Alors que l'exécutif "veut donner une impression d'ouverture" avant une grande journée de mobilisation le 5 décembre, le fait que M. Delevoye ferme cette porte a été jugée particulièrement contre-productif, selon un conseiller de l'exécutif.
Jeudi soir, le Premier ministre et le haut-commissaire ont déminé le terrain en récusant toute brouille: "On n'était pas fâché", a insisté M. Philippe. "Pour qu'il y ait réconciliation, il faut qu'il y ait divorce", a abondé M. Delevoye, tout en revendiquant sa "liberté d'expression".
"Il y aura toujours des discussions. Méfiez vous d'un gouvernement où il n'y a plus de discussions", a conclu le Premier ministre.
Le haut-commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye remet son rapport au Premier ministre Edouard Philippe le 18 juillet 2019, en présence de la ministre de la Santé Agnès Buzyn
AFP
Cette grande journée rabibochage a aussi permis à Edouard Philippe de rencontrer dans la matinée à Marseille le président de la région Paca Renaud Muselier, qui vient de prendre les rênes de l'Association des régions de France, avec laquelle le dialogue est houleux sur plusieurs dossiers (décentralisation, apprentissage, fiscalité...).
"On a beaucoup parlé entre deux vieux amis", a salué M. Muselier, assurant que les deux hommes avaient "balayé" ensemble "toutes sortes de sujets".
Et à Pau, M. Philippe a souligné aussi sa réconciliation avec François Bayrou, qui l'a reçu pour un entretien aussi "républicain qu'amical" à la mairie. Les deux hommes ont semble-t-il trouvé depuis quelques mois la bonne fréquence, après une longue période de défiance.
Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.
Alors que le premier ministre a demandé aux partis de se positionner par rapport à l’exécutif selon trois choix, les partis de gauche ne souhaitent pas rentrer pas dans le jeu de François Bayrou. Ils attendent des signaux qui pourraient les amener à ne pas censurer. Mais ils ne les voient toujours pas…
C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».
Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.