Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Covid-19 : les sénateurs font le bilan, au moment où la France dépasse les 80.000 morts
Par Public Sénat
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Faire un bilan, alors que la crise n’est pas terminée. Exercice difficile. Mais en lançant sa commission d’enquête sur la gestion de la crise du covid-19, au printemps dernier, les sénateurs n’imaginaient peut-être pas qu’un an après, la crise serait toujours aussi aiguë dans le pays. En décembre dernier, il en est ressorti un épais rapport qui dénonce avec force les multiples manquements des gouvernements passés comme de l’actuel (lire ici).
« Il est évident que nous n’étions pas prêts »
Ce mercredi, c’est en séance, dans l’hémicycle du Sénat, que les sénateurs ont remué de nouveau le couteau dans la plaie, cette fois devant le ministre de la Santé, Olivier Véran. Ce débat a lieu au moment où la France vient de passer mardi la barre symbolique des « 80.000 victimes. C’est le nombre provisoire de victimes de cette épidémie et c’est à eux que je pense », a rendu hommage le sénateur Emmanuel Capus, du groupe Les Indépendants. Mardi, 724 morts de plus ont été comptabilisés, en comptant les décès dans les Ehpad (le chiffre est de 439 pour les hôpitaux).
Tester, tracer, isoler. « Sur les trois pans de la pandémie, les moyens et la constance ont fait défaut », a rappelé le président de la commission d’enquête, le sénateur LR Alain Milon, pour qui le gouvernement n’a pas été à la hauteur sur ce triptyque. Le déploiement des tests a été « hésitant et laborieux », « sur le traçage, nous n’avons pas été meilleurs », sans parler « de l’échec de l’application StopCovid, qui est collectif ». Quant à l’isolement des malades et personnes contacts, pour laquelle Alain Milon avait défendu une vision plus contraignante, elle reste en suspens selon le sénateur. « Il est évident que nous n’étions pas prêts » face à une telle épidémie, résume Alain Milon.
« Absence d’anticipation et de culture de la gestion de crise au ministère de la Santé »
Sylvie Vermeillet, sénatrice du groupe centriste et corapporteure de la commission d’enquête, note l’« absence d’anticipation et de culture de la gestion de crise au ministère de la Santé. Il y a eu un délai d’un mois entre l’alerte de la ministre Buzyn, le 25 décembre 2019, et les informations qui lui sont communiquées le 24 janvier sur l’état des stocks de masques ».
« Nous avions un défaut d’anticipation, qui fait que la réponse est souvent uniforme, verticale, décidée d’en haut », regrette le sénateur du groupe PS, Bernard Jomier, également corapporteur. Le sénateur de Paris pointe une « réponse uniforme d’arrêt de toute activité », comme « sur la culture ». « L’adaptation (pour vivre avec le virus), n’est toujours pas faite, même si elle commence à être annoncée » pour ce secteur à l’arrêt, estime Bernard Jomier (lire aussi ici sur le sujet). Il appelle à « territorialiser les réponses », alors qu’« il y a des villages bretons qui depuis un an n’ont pas vu un cas de covid qui sont soumis aux mêmes restrictions » (lire ici sur le sujet). Une adaptation globale qui semble d’autant plus nécessaire, surtout si « peut-être, nous rentrerons demain, ou après-demain, dans une phase chronique » du virus, avance ce médecin de profession. Autrement dit, un virus qui serait là pour longtemps, des années.
« Les conclusions du rapport sont accablantes »
« Ce rapport porte sur une des crises les plus graves et ses conclusions sont accablantes », a attaqué la sénatrice du groupe écologiste, Raymonde Poncet Monge, qui revient sur l’énorme loupé du début de l’épidémie : les masques. Elle rappelle la révélation du rapport sur le sujet. « Les choix de la direction générale de la santé ont empêché la reconstitution du stock stratégique de masques qui ont cruellement manqué pendant plusieurs mois. Information qui a été dissimulée à l’opinion sur pression politique », en l’occurrence celle de Jérôme Salomon, encore aujourd’hui directeur général de la santé.
Si le faible niveau des stocks de masques remonte en bonne partie à des décisions prises sous François Hollande, et déjà entamées sous Nicolas Sarkozy, la commission d’enquête du Sénat a mis en lumière le rôle récent du DGS en la matière. Le rapport charge clairement Jérôme Salomon. Bien qu’alerté en 2018, il a choisi de ne pas reconstituer ces stocks, sans en informer l’ex-ministre Agnès Buzyn. Il a aussi fait « modifier a posteriori les conclusions d’un rapport d’expert » qui aurait contredit sa décision (lire notre article pour plus de détails).
La sénatrice communiste Laurence Cohen a insisté de son côté sur les économies réalisées à l’hôpital, « afin de répondre aux exigences de réductions du déficit public » (voir la vidéo ci-dessus). Pour la sénatrice PCF du Val-de-Marne, ça ne fait pas de doute :
La logique de réduction des dépenses publiques et des personnels de santé a démontré ses limites. Car le coût de renouvellement du stock de masques était bien inférieur au coût du confinement que nous avons subi.
« Je ne crois pas être devant une Cour de justice à répondre d’accusations au nom de mon Directeur général de la santé », s’agace Olivier Véran
Le ministre de la Santé Olivier Véran a tenté de remettre les choses en perspective. « Nous vivons une épreuve collective majeure, inconnue de notre génération, qui n’épargne personne et demande des efforts, même des sacrifices ». Il insiste sur l’idée de crise, pour mieux relativiser, ou plutôt mieux appréhender la compréhension des événements. Le gouvernement a ainsi dû faire face à « une crise, un événement qui surgit, qui prend de court, nous dépasse d’abord et auquel nous nous adaptons ensuite ». Il ajoute :
Aujourd’hui, nous avons repris une forme de contrôle relatif. La vaccination est un espoir formidable. Mais des variants apparaissent déjà, […] ils peuvent mettre à mal notre stratégie.
Autrement dit, « la ligne d’arrivée n’a pas été franchie ». Mais en attendant, il assure agir « dans l’intérêt général, qui a été (sa) seule boussole ». Relancé par le centriste Vincent Delahaye sur les « fautes de la GDS », « la dissimulation », « l’impréparation » et « la manipulation », et malgré cela, « aucune responsabilité », c’est-à-dire aucune sanction, le ministre de la Santé a peu apprécié. « Je ne crois pas être devant une Cour de justice à répondre d’accusations au nom de mon Directeur général de la santé. […] J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer plusieurs fois qu’il avait toute ma confiance », répond Olivier Véran, alors que le risque judiciaire est là. Une centaine de plaintes a été déposée contre plusieurs membres du gouvernement. En juillet dernier, une information judiciaire a été ouverte. Elle sera traitée par la Cour de justice de la République (CJR).
« Nous ne tirerons des leçons de la crise qu’à condition d’accepter le débat », a conclu Alain Milon, qui a répondu à son tour aux propos du ministre de la Santé. « Le contrôle de l’action du gouvernement ne se fait pas uniquement devant les tribunaux. La commission d’enquête n’a jamais appelé à traduire quiconque devant la CJR » a rappelé le président de la commission, « elle a appelé à changer le mode de fonctionnement. Une véritable agence sanitaire ne voit pas ses conclusions modifiées par le directeur d’une administration centrale ».