Officiellement, la commission des Lois du Sénat, présidée par Philippe Bas (LR), souhaite interroger Nicole Belloubet sur les critères qui guident actuellement le gouvernement dans la réorganisation des tribunaux de première instance. « Il importe que les critères retenus pour ce faire relèvent de seules considérations de bonne administration de la justice et prennent en compte l’accessibilité de la justice et sa proximité pour le justiciable », ont mis en garde les sénateurs dans un communiqué. Une phrase lourde de sous-entendus.
La convocation de la ministre, ce 30 octobre, à partir de 12h30, intervient après la divulgation dans le Canard enchaîné, il y a tout juste une semaine, d’un document rédigé au sein du ministère de la Justice. Cette note, adressée au Premier ministre, laisse peu de doutes sur le fait que les suppressions prévues de postes de juges d’instruction pourraient être conditionnées par des considérations électorales. La réforme judiciaire, adoptée par le Parlement en février, prévoit de faire évoluer la répartition des tribunaux de première instance pour 2020, notamment en organisant des regroupements quand les juges d’instruction traitent moins de 50 dossiers par an.
Une note qui appelle les juridictions « à différer » les annonces
Selon l’hebdomadaire satirique, la note confidentielle comporte un tableau de 72 tribunaux concernés par la réforme, assortis des derniers résultats électoraux de la République en marche, ainsi que la couleur des députés et des maires locaux, et demande une réunion avec un conseiller de Matignon et des « experts » du parti sur les élections. À moins de six mois des municipales, la prudence est donc de mise dans les secteurs où le parti présidentiel pourrait l’emporter. Dans ces villes qualifiées de « cibles électorales », les juridictions sont même priées de « différer » les annonces.
Dans ces villes moyennes, la note a évidemment suscité l’indignation des élus, de droite ou de gauche, mais aussi des syndicats de magistrat. Interrogée le 29 octobre à l’Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement, Nicole Belloubet a confirmé l’existence de cette note, en précisant toutefois que ce n’était pas l’œuvre des services de la Chancellerie, mais qu'il s'agissait d'un « mail de cabinet à cabinet ». Dans une défense un peu laborieuse, la garde des Sceaux a précisé que le gouvernement, dans la mise en œuvre de la réforme, devait tenir compte pour les territoires concernés de « l’impact géographique, l’impact sociopolitique, l’impact économique ».
Ces révélations ont jeté un trouble au Sénat. Et l'audition risque d’être directe. Le vice-président (PS), de la commission, Jean-Pierre Sueur ne mâchait pas ses mots mercredi dernier, parlant d’une note « scandaleuse et intolérable ». Le socialiste prévoit d’ailleurs d’interpeller la ministre également en séance, cet après-midi, pendant les questions d’actualité.