Dans un contexte de manifestations mettant en cause des violences au cours d’interventions des forces de l’ordre, ou témoignant de comportements discriminatoires, le rapport 2019 du Défenseur des droits, présenté ce 8 juin, a une résonance particulière. Jacques Toubon aborde notamment la question des contrôles d’identité abusifs et discriminatoires. Son rapport d’activité, qui insiste sur la « crise de confiance » qui s’est installée entre la population et la police et gendarmerie, appelle notamment à « objectiver » le choix des personnes contrôlées et surtout d’en établir un « traçage », afin de contrôler les circonstances. Dans une enquête menée en 2016, le Défenseur des droits avait calculé que 16 % de la population avait été déjà contrôlée, et que 80 % des 18-24 ans qui avaient fait l’objet d’un contrôle étaient « perçus comme noirs et arabes ou maghrébins ».
Dès lors, comment établir cette traçabilité, qui permettrait de « restaurer la confiance », selon Jacques Toubon ? La question peut faire écho à la délivrance d’un récépissé après un contrôle, une promesse abandonnée par François Hollande durant son quinquennat. Pour le sénateur socialiste Jacques Bigot, cette idée est « techniquement impossible ». « Cela suppose qu’à chaque moment, les policiers fassent un rapport : cela me paraît compliqué. Ce n’est pas parce que l’on mettrait en place des récépissés que l’on aura moins de contrôles au faciès. La question de fond, c’est vraiment la formation à la déontologie, le suivi de la déontologie », explique cet ancien avocat.
François Grosdidier appelle à généraliser d’urgence l’usage des caméras piétons
Chez Les Républicains, François Grosdidier se dit « opposé », depuis « toujours », à cette solution du récépissé. « La police croule sous la paperasserie, il ne faut pas en rajouter », met en garde l’auteur d’un rapport en 2018 sur le malaise des forces de sécurité intérieure. Pour ramener la « paix et la justice », le sénateur LR appelle le gouvernement à généraliser au plus vite les caméras piétons, qui auraient permis, selon lui, « d’éviter bien des problèmes », si cela avait été entrepris largement. « Cela objectivise le débat et donne des éléments tangibles au magistrat. » À ce titre, le sénateur de Moselle s’insurge de la proposition de loi déposée par ses collègues députés LR, notamment Éric Ciotti, d’interdire la diffusion d’images de policiers. « C’est très maladroit et contreproductif cette initiative », regrette-t-il.
« Très attaché aux libertés publiques », le sénateur (Union centriste), Philippe Bonnecarrère s’inquiète d’un « esprit de défiance » qui se manifesterait « de principe » à l’égard des forces de sécurité. « Nous sommes tous attentifs à ce que la police exerce son action dans les conditions les plus respectueuses de nos libertés, mais de grâce, ne tombons pas dans une sorte de surenchère où la défiance vis-à-vis de la police serait le préalable », appelle-t-il, sans être opposé à un mécanisme de type récépissé.
Un point que soulève également le socialiste Jacques Bigot. « On ne prendra pas le problème à bras-le-corps si on est dans cette suspicion permanente […] La démarche doit venir des policiers. Les contrôles se font à deux, si un des agents est dans l’excès, l’autre doit être capable de dire que cela ne va pas. »
Le groupe communiste compte redéposer sa proposition pour « lutter contre les contrôles d’identité abusifs »
En 2016, à l’occasion d’une proposition de loi débattue puis rejeté en séance au Sénat, les communistes avaient tenté d’expérimenter ce système, mais surtout de préciser dans le Code de procédure pénale, à l’article 78-2, qu’un contrôle d’identité devait se fonder sur des « motifs objectifs et individualisés ». « Malheureusement, la situation d’aujourd’hui démontre que nous avions raison », réagit la présidente du groupe, Éliane Assassi. La sénatrice de Seine-Saint-Denis envisage même de redéposer prochainement au Sénat leur proposition de loi, « à l’aune des colères qui s’expriment aujourd’hui ».
Après plusieurs mois de réflexions, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner s’est exprimé ce lundi pour annoncer ses « mesures fortes » en faveur d’une « exemplarité » des forces de l’ordre. Affichant une « tolérance zéro contre le racisme chez les forces de l’ordre », le ministre a également refusé que les « agissements » de certains « jettent l’opprobre » sur l’ensemble des services.
Christophe Castaner va envoyer des instructions aux services de police
Reconnaissant que les contrôles sont « parfois perçus comme ciblés », Christophe Castaner a promis que son ministère mettrait en œuvre des actions pour qu’ils ne soient jamais « le paravent des discriminations ». La formation, initiale ou continue, sera renforcée, et des « instructions » seront envoyées à la police et la gendarmerie nationale afin de rappeler le cadre des interventions, mais aussi l’obligation du port du RIO, le matricule des forces de l’ordre.
Promettant de retirer les contrôles d’identité comme critère d’activité des commissariats, Christophe Castaner s’engage également à ce que l’usage des caméras piétons soit « renforcé » lors des contrôles d’identité. Cette « bonne solution », qui « crée de la mémoire, est un « outil de protection » aussi bien pour les citoyens que pour les policiers selon lui. La communiste Éliane Assassi doute que ce type de caméra permettre de répondre aux problèmes. « Chacun sait que ce sont les policiers qui les déclenchent, ça ne se fait pas à chaque contrôle », soulève-t-elle.
« Le moment n’est pas propice pour faire des propositions », note Philippe Bonnecarrère
Interrogé par la presse sur l’opportunité ou non d’introduire un récépissé, Christophe Castaner a rappelé que la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) avait émis en son temps des « réserves », notamment sur la constitution d’un fichier des personnes contrôlées que cette méthode présupposerait. « Il faut évidemment prendre cela en compte », a insisté le ministre.
Si la parole du ministère était attendue, après plusieurs jours de manifestation – c’est le cas du groupe communiste du Sénat par exemple – d’autres estiment que le moment n’était pas « propice », ni apaisé. « Prendre la parole à cet instant précis vient alimenter un mécanisme de défiance », regrette pour sa part le centriste Philippe Bonnecarrère.