Constitution : les sénateurs sont-ils prêts à lâcher sur le non-cumul des mandats dans le temps ?

Constitution : les sénateurs sont-ils prêts à lâcher sur le non-cumul des mandats dans le temps ?

Alors que Gérard Larcher a fait du non-cumul dans le temps un point de blocage avec l’exécutif dans la réforme des institutions, voulue par Emmanuel Macron, certains sénateurs LR n’en font plus aujourd’hui une ligne rouge. Ils préfèrent se concentrer sur la représentation des territoires.
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La réforme constitutionnelle entre dans le dur. Le premier ministre Edouard Philippe a terminé ses entretiens avec les présidents des groupes politiques et des assemblées. Gérard Larcher, à la tête du Sénat, dont Emmanuel Macron a besoin s’il veut faire adopter sa réforme par voix parlementaire, n’a rien dit à la sortie. Le président du groupe LR, Bruno Retailleau, a lui souligné après son entretien les nombreux désaccords. Il a rappelé que la majorité sénatoriale était particulièrement attachée à la bonne représentation des territoires, dans le cadre de la baisse du nombre de parlementaires. Il dénonce aussi une réforme qui affaiblirait le pouvoir législatif au profit de l’exécutif « tout-puissant ».

« La vraie ligne rouge, ce sont les territoires »

En revanche, étonnamment, pas un mot sur le non-cumul dans le temps limité à trois mandats successifs. On comprend  que pour le sénateur, ce n’est pas le problème numéro 1. Gérard Larcher en a pourtant fait l’une de ses lignes rouges. En présentant les propositions du Sénat sur la réforme, fin janvier, il en a clairement rejeté l’idée.

En réalité, certains sénateurs LR s’interrogent et ne partagent pas aujourd’hui la fermeté du président du Sénat sur ce point. Faut-il lutter sur le non-cumul, d’autant plus que le sujet serait peu porteur dans l’opinion ? « Combattre le non-cumul, ce n’est pas simple à expliquer. C’est un combat difficile » admet un pilier du groupe, pour qui « la vraie ligne rouge, ce sont les territoires. C’est notre priorité ». Autrement dit, il vaut mieux se battre sur l’essentiel, comme conserver un nombre suffisant de sénateurs pour bien représenter tous les départements.

« L’annonce de mesures applicables que dans 20 ans, c’est du virtuel »

Lors du congrès de l’Association des maires de France, Emmanuel Macron avait déjà mis de l’eau dans son vin. Il avait affirmé que le non-cumul ne serait pas rétroactif et avait rappelé que les maires des communes de moins de 3.500 habitants en seraient exclus. Pour les maires et sénateurs, cela veut dire une application à partir de 2038 et 2037 pour les députés… De quoi faire changer d’avis ? Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine, attend de voir le texte qui sortira du Conseil des ministres. Mais si la rétroactivité se confirme, il souligne que la mesure n’aurait plus de sens. « Si c’est applicable dans les 4 ans, il y a un combat actuel. Mais si c’est pour nous dire que ce n’est applicable qu’en 2038 ou 2041 pour les sénateurs élus à partir de 2023, qui sera alors Président ? C’est évident que l’annonce de mesures applicables que dans 20 ans, c’est du virtuel » souligne le sénateur. Roger Karoutchi ajoute :

« Ce n’est pas une ligne rouge si, par définition, on reporte l’application dans 20 ans. Il y aura eu combien de réformes de la Constitution d’ici là ? Quelle mesure n’est pas susceptible d’être à nouveau supprimée ou remplacée ? Personne ne sait si ce sera appliqué ».

Certains préféreraient faire la distinction selon les types d’élus, comme la sénatrice LR Catherine Procaccia. « Sur le non-cumul des mandats, ma position totalement personnelle est que limiter les mandats dans le temps des parlementaires ne me choque pas. Mais limiter le mandat des maires et élus locaux me paraît totalement contraire à la démocratie. Mais je partage l’inquiétude par rapport à la représentation des territoires » explique l’élue du Val-de-Marne.

« Ce n’est pas un point central du texte »

Alain Joyandet continue de penser de son côté que « ce n’est pas normal de limiter les mandats dans le temps. Les électeurs doivent choisir leurs élus ». Le sénateur LR pointe le seuil des 3.500 habitants, qu’il juge absurde : « Et pour les villes de 6.000 habitants ? Pourquoi pas un seuil de 10.000 ? Une fois de plus, ce sont les départements ruraux qui vont être embêtés. C’est comme les 80 km/h. Foutons la paix aux gens ! » Si le non-cumul s’applique en 2038, « raison de plus pour dire que c’est un leurre pour ne pas parler d’autres choses. Est-ce que ça a du sens de faire une réforme pour dans 20 ans ? C’est de l’affichage » ajoute le sénateur de la Haute-Saône.

Cependant, malgré tous ses défauts, le non-cumul dans le temps « n’est pas un point central du texte », s’il s’applique dans un futur lointain, selon l’ancien secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy. Au-delà du principe, il reconnaît que « politiquement, on ne pourrait pas s’opposer globalement à une réforme parce qu’il y a cette disposition, effectivement ». Il ajoute : « C’est clair que s’il n’y avait plus que ça, je ne comprends pas qu’on puisse dire qu’on ne vote pas. C’est vraiment un codicille. Mais ça reflète un état d’esprit », qu’Alain Joyandet dénonce.

Tous les sénateurs n’ont pas fini de pourfendre le non-cumul

Tous les sénateurs n’ont pas fini, en réalité, de pourfendre le non-cumul. A commencer par Philippe Bas, président LR de la commission des lois du Sénat. Du point de vue du droit, il conteste formellement le choix du gouvernement de passer par une loi organique pour le non-cumul dans le temps. « Le non-cumul est un sujet constitutionnel. Car il s’agit d’une inéligibilité (voir notre article sur le sujet, ndlr). Et le Conseil constitutionnel s’est prononcé de la manière la plus ferme pour dire qu’on ne pouvait créer de nouvelle inéligibilité que dans des cas exceptionnels, qui n’entrent pas dans ce cadre. Du coup, il faut une modification la Constitution. La liberté d’un citoyen de se présenter est au cœur de la démocratie » avance le sénateur de la Manche.

Par ailleurs, Philippe Bas pointe « la dimension pratique très faible » du non-cumul dans le temps. « Songeons à la portée de cette mesure et regardons combien de mandats font les parlementaires en moyenne. C’est un peu plus de deux mandats. Mais ce n’est pas trois… Il suffit de regarder les choses. Entre l’Assemblée de 2017 et de 2012, voyez le renouvellement. Ça, plus les départs naturels, ça a fait beaucoup de mouvement. Au Sénat, depuis 2014, nous avons 62% de nouveaux sénateurs. Quant au nombre de sénateurs et de députés qui ont fait plus de trois mandats, là aussi c’est un nombre très limité. Au Sénat, il n’y a que 7 sénateurs qui ont entamé leur quatrième mandat » met-il en avant. Et 12, si on prend en compte les interruptions. Pour Philippe Bas, l’exécutif « est en train de faire une forme de gesticulation  politique autour de symboles ».

Il pointe aussi la conséquence du non-cumul dans le temps : se priver de personnalités d’expérience. « Ce dispositif aurait éliminé de la vie politique Raymond Poincaré, Georges Clemenceau, Léon Blum, François Mitterrand, Jacques Chirac... Autant d’éléments qui doivent rendre très prudent par rapport à cette question ».

« Ne pas faire des concessions unilatérales »

Quant au caractère rétroactif, « cette éventualité est raisonnable » reconnaît Philippe Bas. Mais à ses yeux, cela n’arrange rien au fond. « L’exécutif fait valoir, pour parler comme ma grand-mère, que "ce n’est pas si pire". Mais une mesure qui se trouverait vidée de toute substance immédiate, est ce que cela répondra au besoin de nourrir l’antiparlementarisme ? » ironise l’ancien secrétaire général de l’Elysée sous Jacques Chirac.

On voit que si certains sénateurs LR ne font plus maintenant du non-cumul le premier des combats, tous ne sont pas prêts encore à lâcher. Pour l’heure, on comprend qu’il serait aussi « bien imprudent pour les sénateurs de faire des concessions unilatérales avant d’avoir le texte en Conseil des ministres » analyse un sénateur. Si compromis il y aura, ce sera sur un tout.

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