Par-dessus son masque, les regards exaspérés de David Assouline au moment de certaines réponses de Maxime Saada ont parfaitement imagé les échanges tendus entre les deux hommes. Le premier, rapporteur (PS) de la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias, a auditionné avec ses collègues, ce vendredi 28 janvier, le second, président du directoire de Canal plus. Après un propos introductif où Maxime Saada a rappelé la situation du marché – « une course au gigantisme », un renforcement « de l’hégémonie culturelle américaine » - et la stratégie du groupe Canal plus - qui « s’est réinventé totalement depuis 2016 » après avoir accusé 452 millions de pertes sur 2014-2015 -, les échanges se sont surtout centrés sur la chaîne Cnews.
« Chaîne d’opinion ou pas chaîne d’opinion ? », a interrogé le sénateur David Assouline, évoquant « le choix des débatteurs, des thématiques, des éditoriaux », ou « des invités qui n’avaient pas leur place sur les plateaux de télévision parce que le négationnisme et les théories racistes n’avaient pas leur place sur les plateaux de télévision ».
« Un gestionnaire, pas un idéologue »
« Pour moi, ce n’est pas une chaîne d’opinion », a répondu Maxime Saada, lui rappelant, au passage, ses propos disant qu’il ne regardait pas Cnews. Le président du directoire Canal s’est présenté « comme un gestionnaire, pas un idéologue ». Il a décrit un marché très dense, et surtout une mauvaise situation économique de la chaîne, qui enregistrait un déficit de 33 millions d’euros en 2016. Pour résorber ce trou, Maxime Saada a évoqué une stratégie de différenciation de ses concurrentes : « On ne va pas pouvoir faire du breaking news aussi clairement que ne le fait BFM, on part donc dans une logique de durée d’écoute pour que les téléspectateurs restent davantage, pour générer du revenu publicitaire. On part sur une notion de débat, qui est la réalité du positionnement éditorial, où toutes les opinions ont vocation à s’exprimer ».
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Les échanges ont aussi tourné autour du temps de parole dédié à chaque candidat, alors que la campagne présidentielle est lancée. « On ne peut pas reprocher au CSA (devenu Arcom) de ne pas s’occuper de Cnews, avec des innovations assez régulières comme des miss en demeure préventive sur le temps de parole, avant que les périodes ne soient écoulées. C’est une première », a ironisé Maxime Saada, listant ensuite les temps de parole accordés à chaque candidat sur la première quinzaine de janvier : Valérie Pécresse arrive devant Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, puis Éric Zemmour.
Zemmour « est un journaliste qui fonctionne à l’antenne »
Le cas de ce dernier est mentionné. « Il y a eu systématiquement contradiction en face de Zemmour », assure le président du directoire de Canal plus. Les sénateurs s’interrogent sur le recrutement du polémiste sur la chaîne, notamment du rôle de Vincent Bolloré dans celle-ci. Maxime Saada : « Vincent Bolloré a suggéré : « vous devriez regarde Zemmour ». Ce n’est pas idiot. Zemmour fait 20 % d’audience pendant cinq ans avec Ruquier sur France Télévisions, il est sur Paris Première et RTL pendant dix ans. C’est un journaliste qui fonctionne à l’antenne, on est à la recherche de nouveauté pour la différenciation. Et de notre point de vue, ça lui a donné raison. » Il exclut toute « intervention systématique » de Vincent Bolloré dans les choix réalisés. Ce dont s’était d’ailleurs défendu ce dernier, plus tôt dans le mois, devant la commission. Le patron de Canal plus affirme qu’en 18 ans dans le groupe, il n’a « jamais appelé un journaliste pour lui dire ce qui doit ou ne pas dire à l’antenne ».
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Pendant l’audition, Maxime Saada a fait remarquer à plusieurs reprises que « le marché est moins concentré que dans le passé. Canal plus contribue largement au pluralisme car le groupe est aussi distributeur de chaînes, près de 230 en France, dont toutes les chaînes d’information. Je ne vois pas la thématique de concentration poser problème pour ce qui est du marché français ». Selon lui, le risque est surtout de rendre « plus complexe encore le développement de nos fleurons français à l’étranger ». Fleuron dont le groupe Canal fait partie.