Clemenceau et la guerre : le « Père la victoire » a-t-il perdu la victoire ?

Clemenceau et la guerre : le « Père la victoire » a-t-il perdu la victoire ?

À l’occasion du centenaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale, Georges Clemenceau, l’homme qui fut le « Père la victoire » et redonna espoir aux troupes à la fin de la Grande Guerre est dans tous les esprits. Ce grand fauve de la politique reste aujourd’hui une référence qui dépasse même le clivage gauche - droite. Pourtant, après-guerre, il se retrouve disgracié et surnommé « Perd-la-victoire » pour son rôle lors des négociations du Traité de Versailles. Explications.
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Par Marie Oestreich

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« C’est vraiment en temps d’orage et de guerre que les personnages ressortent »

Clemenceau résonne dans les esprits comme une personnalité hors du commun : d’abord républicain de combat de par son parcours politique et le tempérament résistant qu’il tenait de son père, il devient « Le père la victoire » grâce à son implication contre « la fatigue des peuples » et des combattants à la fin de la Grande Guerre qui mena à l’armistice du 11 novembre 1918. Pour Jacques Mézard, ancien ministre et membre du Mouvement Radical, « Clemenceau a incarné de manière exceptionnelle cet attachement à la nation, cette capacité de rassembler le pays en danger ».

"Clemenceau a incarné de manière exceptionnelle cet attachement à la nation" #UMED
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Le « Tigre », n’hésita pas à se rendre dans les tranchées pour motiver ses troupes. Combattant mais aussi journaliste hyperactif, qui écrivit pas moins de 700 articles au moment de l’affaire Dreyfus, il mit en place une communication de guerre en se déplaçant dans des zones si proches du front que même certains officiers supérieurs ne s’y aventuraient pas. Ces rencontres avec les combattants seront relayées dans la presse, dont la presse illustrée. Comme l’historien et auteur du Monde selon Clemenceau Jean Garrigues le rappelle, « les Français voyaient les photographies du Tigre dans les tranchées, destinées à stimuler l’effort de guerre, et c’est une manière moderne de faire de la politique. »

Clemenceau et les poilus
Photographie extraite du documentaire "Clemenceau, retours sur un destin" de Jean Artarit et Robert Genoud

Pourtant, avant la Seconde Guerre mondiale, Clemenceau « n’a pas sa place comme référent mémoriel » d’après Jean Garrigues. Retour sur les raisons de cette disgrâce.

Pourquoi le « Père la victoire » devient le « perd la victoire »

Très critiqué après-guerre pour son rôle lors du règlement de la paix et ses négociations lors du Traité de Versailles, l’homme politique se retrouvera quelque peu disgracié. En cause, le traité de paix qui enlève tout à l’Allemagne sauf sa puissance politique et qui frayera un large chemin au revanchisme allemand et au nazisme. Pour l’historien Jean-Yves le Naour « Le 11 novembre 1918, on l’appelle le « père la victoire », mais à partir de 1919 il va y avoir cette autre formule : « le perd la victoire », le traité de Versailles a été une déception pour beaucoup de Français parce que c’est un compromis. Évidemment il a fallu discuter avec les Américains, et avec les Anglais qui ont des intérêts tout à fait divergents. Donc à la fin, cette paix de Versailles, qui est vue comme la paix de Clemenceau, déçoit à la fois à gauche et à droite : elle est trop dure ou elle est trop molle. ». Même si Clemenceau a défendu le point de vue que « l’Allemagne paiera », et l’objectif d’empêcher la puissance militaire allemande de se refaire, il s’est avéré que les négociations auxquelles il a participé ont été un échec car il n’a pas su résister aux pressions des Alliés. À titre d’exemple, il se pliera aux volontés de l’anglais Lloyd George et de l’américain Wilson sur plusieurs sujets : la Société des Nations, l’étendue de l’occupation de la Ruhr, et le sort des provinces de l’empire ottoman.

Clemenceau : du "père la victoire" au "perd la victoire" #UMED
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En définitive, au moment où la Seconde Guerre mondiale se prépare, dans les consciences collectives : « Finalement, la guerre précédente n’a servi à rien », et portant cette responsabilité, Georges Clemenceau se retrouve mis à mal.

Pourtant, comme le rappelle Jean-Yves le Naour, « Clemenceau, quand il s’est présenté devant le Sénat pour la ratification du traité de Versailles a dit : Ce traité sera ce que vous en ferez, la paix sera ce que vous en ferez », et a donc mis en garde sur les conséquences potentielles de la mise en place de ce texte.

Jean-Pierre Chevènement : « Ce n’est pas la faute de Clemenceau »

Concernant les éléments de nuance, le point de vue de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre et ancien sénateur, est clair : « le procès fait à Clemenceau est injuste, parce que le traité de Versailles a une grande faiblesse : les États-Unis ne soutiennent plus le traité de Versailles, et ne le signent pas. […] Wilson est battu en 1920 par un inconnu et par conséquent l’élément d’équilibre qui était le soutien des États-Unis nous fera défaut en 1930. Ce n’est donc pas la faute de Clemenceau, c’est la faute d’évènements qui le dépassent de loin. », et cela constitue « quasiment une trahison » pour Jacques Mézard. Dans cette lignée, en 1926, Georges Clemenceau ne manquera pas de critiquer la politique des États-Unis lors de sa dernière intervention politique qui n’est autre qu’une lettre ouverte au président Coolidge par laquelle il demande aux États-Unis de mieux prendre en compte les intérêts de la France.

Ce qui amène Clemenceau à être vivement critiqué, c’est aussi sa position politique. Ouvertement très à droite, il défendra « l’individualisme » et le réalisme politique face par exemple au député de gauche, Jean Jaurès, qui prône une réforme profonde de la société. L’animosité de la part de la gauche, ne date pas de la guerre, et prend racine au tout début du XXe siècle. Si Jean Garrigues souligne que « Les socialistes ont joué le jeu de l’union sacrée tout au début de la guerre », à partir de 1917, la politique de Clemenceau « contre ceux qu’il appelle les défaitistes, et parmi eux il y a les socialistes, qui prônent une solution négociée et qui sont pacifistes, et se réunissent régulièrement avec d’autres socialistes européens pendant cette période. » a accentué le clivage : « Il y a donc effectivement une animosité très forte des socialistes par rapport à Clemenceau dans la période de l’après-guerre. ».

Pour Clemenceau, les socialistes sont des "défaitistes" pendant la guerre #UMED
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L’opposition du socialisme avec l’idéal républicain de Clemenceau a donc beaucoup joué sur sa réputation, mais Jean-Pierre Chevènement nuance : « C’est incontestablement un homme qui ne transige pas avec les principes républicains dont il est l’hériter par son père […] On a tiré de cela qu’il était opposé au socialisme, au collectivisme, à ce fameux débat avec Jaurès, mais en réalité la thèse de Clemenceau était très simple : c’est qu’on ne pouvait pas faire avancer les idées du progrès social si elles n’étaient pas prises en compte par les individus eux-mêmes. Il était contre tout ce qui était caporalisation, et je ne pense pas qu’il y ait lieu d’opposer le socialisme à l’idéal républicain de Clemenceau », point de vue que Guillaume Bigot, essayiste et membre des Orwelliens partage : « C’est un personnage intransigeant pour le meilleur et pour le pire et ce n’est pas un homme de compromis.» et d'ajouter « C’est vraiment en temps d’orage, en temps de guerre, que les personnages sortent, mais quand le calme plat revient, autant les congédier ». D’ailleurs, Clemenceau l’admettra lui-même lors du discours de Verdun le 14 juillet 1919 : « Il est plus facile de faire la guerre que la paix ».

 

Retrouvez Un monde en docs, samedi 10 novembre à 21h et dimanche 11 novembre à 10h sur Public Sénat.

 

Pour aller plus loin : Clemenceau : un destin, de Jean Artarit aux éditions CVRH

 

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