Chaos à Washington : « Aucune démocratie n’est à l’abri », jugent les sénateurs

Chaos à Washington : « Aucune démocratie n’est à l’abri », jugent les sénateurs

Les sénateurs, à l’image de l’ensemble de la classe politique française, dénoncent l’incroyable invasion à Washington du Capitole par les partisans de Trump.
Public Sénat

Par Tam Tran Huy et Quentin Calmet

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Alors que le calme est revenu à Washington et que la victoire de Joe Biden a été validée par le Congrès, l’Amérique et le monde restent sous le choc. En France, les sénateurs condamnent unanimement l’intrusion violente des partisans de Donald Trump au Capitole et pointent la responsabilité de celui qui reste président des Etats-Unis encore deux semaines.

 

« Donald Trump devra rendre des comptes »

Donald Trump, après les événements du Capitole, a promis une « transition ordonnée ». Le président des Etats-Unis dans le même message sur Twitter, continue à affirmer son désaccord avec le résultat de l’élection. Une attitude en droite ligne avec sa contestation frontale du vote depuis le mois de novembre. Après des propos encore belliqueux et un appel à manifester devant le Capitole, ses partisans sont entrés de force dans le Parlement américain pour empêcher le Sénat et la Chambre des représentants de certifier le résultat.

Pour Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, sur BFMTV ce jeudi matin « Donald Trump devra rendre des comptes », « les paroles peuvent tuer. La responsabilité de Donald Trump est accablante. ».

François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat, pointe lui aussi « la responsabilité morale et politique » de Donald Trump. « Au-delà de l’exemple américain, les responsables politiques qui tiennent des propos excessifs et mensongers portent une responsabilité immense quant aux conséquences de ces propos, notamment vis-à-vis de la frange fanatique de leurs militants. »

Même son de cloche chez le président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon : « La fin de mandat de Trump se termine en tête à queue : c’est dramatique pour l’image qu’il donne, cette manière de magnifier les extrêmes, de parler de fraude gigantesque alors que tous les résultats de l’élection ont été confirmés par les institutions. Donald Trump en répondra de manière politique ; à titre personnel, je pense que pénalement, il peut être mis en cause. »

Le président du groupe socialiste au Sénat Patrick Kanner juge lui aussi « Donald Trump responsable d’une tendance séditieuse, factieuse, qui devrait rappeler aux Etats-Unis les pires moments de la guerre de Sécession. Ce pays souffre, la démocratie est fragilisée dans la plus grande démocratie du monde. »

 

« Aucune démocratie n’est à l’abri »

Au-delà, les sénateurs soulignent la dimension symbolique d’un tel événement. « C’est le symbole de cette démocratie américaine sur un piédestal qui d’un seul coup montre sa grande fragilité. » pour Hélène Conway-Mouret, sénatrice (PS) des Français de l’étranger et ancienne ministre qui avertit : « Cette grande minorité trumpiste ne va pas se contenter d’être une minorité silencieuse, je pense qu’on rentre dans un bouleversement de la démocratie américaine. ».

 

"On rentre dans un bouleversement de la démocratie américaine" pour Hélène Conway Mouret
04:24

Le président de la commission de la défense et des affaires étrangères y voit un avertissement pour toutes les démocraties et notamment pour la France : « Cela m’interroge beaucoup sur le danger que courent nos démocraties, cela montre qu’avec des gens qui savent manipuler les foules les médias, les réseaux, aucune démocratie n’est à l’abri. On voit avec le mouvement des Gilets Jaunes en France que ce genre de violence n’est plus exceptionnel, cette tentation de s’en prendre aux pouvoirs publics. Je fais le parallèle avec les Gilets Jaunes qui voulaient marcher sur l’Elysée, l’Assemblée nationale, le Sénat… C’est un danger qui est lié aussi au fait que de plus en plus de dirigeants s’adressent directement au peuple, c’est le cas de Trump qui voulait passer par-dessus les institutions. Toute chose égale par ailleurs, j’observe en France cette méthode qui consiste à passer par des comités citoyens (NDLR : sur le climat, sur la vaccination), ce qui affaiblit le Parlement. »

 

Pour l’ancien président de la commission des lois Philippe Bas, ces événements doivent susciter un sursaut français. Lui aussi fait le parallèle avec le mouvement des Gilets Jaunes et avec l’affaiblissement de la démocratie en France. « Le sentiment que j’ai, c’est que notre culture démocratique est en train de s’appauvrir de manière très accélérée. Il y a de plus en plus d’individus chauffés à blanc qui s’arrogent le droit de parler au nom du peuple. Des groupes qui s’autoproclament seuls représentants authentiques. On a eu en France le mouvement des Gilets Jaunes… Je fais aussi le parallèle avec les black blocs, avec tous ceux qui prétendent parler au nom du peuple à la place de ceux qui ont été élus au suffrage universel, un suffrage constitutif de notre démocratie. »

Rappelant l’histoire qui lie la France et les Etats-Unis, Patrick Kanner estime, lui, que « ce qui se passe aux Etats-Unis nous impacte automatiquement. » A l’instar de Christian Cambon, il juge « qu’aucune démocratie aujourd’hui n’est à l’abri de ce type de débordement. Il y a des mouvements populistes de plus en plus nombreux, des mouvements complotistes de plus en plus nombreux, il y a des forces centrifuges, notamment en matière religieuse, qui veulent mettre à bas l’Etat de droit. Tout ceci cumulé doit nous mener à une très grande vigilance.

 

Chaos à Washington: "Aucune démocratie n'est à l'abri", selon Patrick Kanner
03:28

Apporter des réponses à une partie de l’opinion publique en sécession

Alors que faire dans cette crise démocratique ? Pour Philippe Bas, deux réponses doivent être apportées à cette opinion publique en sécession à l’égard des institutions : « D’abord, il faut leur dire qu’ils contestent le pire des régimes à l’exception de tous les autres, pour reprendre la phrase de Churchill, ils ne peuvent pas avoir la liberté et la démocratie sans le suffrage universel et l’élection de représentants. La deuxième chose, c’est qu’il faut entendre le message qui s’adresse aux institutions de la part de tous ceux qui sont les oubliés des politiques publiques, il faut faire renaître une politique qui réponde aux besoins des plus vulnérables et de façon efficace. »

Pour François-Noël Buffet, ces événements doivent aussi sonner comme un avertissement dans le débat public : « C’est un point de référence sur ce qu’il faut arrêter de faire, il faut plus de responsabilité dans le débat politique. Je peux combattre le gouvernement sur le plan des idées sans pour autant le considérer comme voyou. Il ne faut pas instiller le doute sur son honnêteté, sans quoi cela peut mener à des situations de crise très graves, voire des guerres civiles. C’est une grande leçon que nous devons retenir. »

 

Vers un bouleversement de la vie politique américaine ?

 

La vie politique américaine est-elle en train d’être bouleversée ? C’est la thèse d’Hélène Conway-Mouret qui voit dans ces événements un tournant « Pendant deux siècles, on a eu un système bipartisan, avec une alternance entre Républicains et Démocrates et dans ce balancier, une démocratie qui s’est affirmée, qui s’est consolidée. Et là, je pense que nous sommes à un tournant : on l’a vu chez les Démocrates avec un virage vers la gauche… Et du côté des Républicains, on va avoir à faire à un éclatement de ce parti parce que si on en revient à Tocqueville, nous avons une démocratie aujourd’hui qui doit faire une place à sa minorité, mais je ne pense pas que les Américains qui ont voté pour les Républicains sont en mesure d’être représentés par ceux-là. Je pense qu’il y a un fossé entre ces représentants institutionnels (il faut avoir une fortune conséquente aux Etats-Unis pour devenir sénateur) et ce peuple américain qui a démontré sa pauvreté, sa précarité et le rejet de cette élite.

 

Philippe Bas souligne lui la différence d’attitude entre Al Gore il y a vingt ans et Donald Trump aujourd’hui. « Il y a des années-lumière entre la réaction d’Al Gore, lorsqu’il était opposé à George Bush Junior alors qu’il y avait un contentieux en Floride et la situation présente : à l’époque, il avait refusé de contester les résultats car il disait que la Constitution, aussi imparfaite soit-elle, devait être respectée. On a l’impression que c’est la préhistoire, mais c’était il y a seulement 20 ans. »

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