« Ceux qui posent les règles, il ne s’agit pas de les mettre à l’abri », dénonce Philippe Bas, après le vote des députés

« Ceux qui posent les règles, il ne s’agit pas de les mettre à l’abri », dénonce Philippe Bas, après le vote des députés

Les députés, en commission des Lois, ont supprimé la modification sénatoriale sur l’assouplissement du régime de la responsabilité pénale des décideurs publics et privés pendant l’état d’urgence sanitaire. Le président LR de la commission des Lois du Sénat veut croire que leur réécriture s’est faite « involontairement ».
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L’idée du Sénat avait déplu au gouvernement, Edouard Philippe l’a répété aux questions d’actualité, ce 6 mars. Le Premier ministre a redit toute son opposition à une « atténuation » de la responsabilité pénale des maires, fonctionnaires, responsables administratifs ou du secteur privé, en cas de faute non intentionnelle qui conduirait à des contaminations au Covid-19 pendant l’état d’urgence sanitaire. C’était l’un des grands principes de l’article 1 du projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, tel que l’avait réécrit le Sénat.

Au même moment où le gouvernement répondait aux questions des sénateurs, la navette parlementaire était à l’œuvre. Deux amendements ont été adoptés en commission des Lois à l’Assemblée nationale, l’un soutenu par la République en marche, l’autre par le Modem. Ils ont supprimé les dérogations introduites par les sénateurs, préférant préciser que les éventuelles fautes des responsables publics ou privés, en cas de catastrophe sanitaire, devraient être appréciées en fonction « de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits ».

« Quand un maire, un chef d’atelier respecte les obligations particulières de prudence [...] je ne vois pas pourquoi on lui ferait courir un risque pénal », explique Philippe Bas

Cette réécriture envoie un mauvais signal aux acteurs sur le terrain, de l’avis de Philippe Bas, le président LR de la commission des Lois au Sénat, qui avait été rapporteur sur le projet de loi. « Quand un maire, un chef d’atelier, un directeur d’école, respecte les obligations particulières de prudence qui sont prévues par les lois et les règlements qui ont été mis en place pour lutter contre le Covid-19, je ne vois pas pourquoi on lui ferait courir un risque pénal. En revanche, ceux qui posent les règles, il ne s’agit pas de les mettre à l’abri. Je crains – et c’est une analyse juridique partagée par beaucoup de juristes – que l’amendement qui vient d’être adopté par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, ne respecte pas ces conditions », a déploré au micro de Public Sénat, Philippe Bas.

Dans la modification que le sénateur avait fait adopter, les détenteurs d’un pouvoir de police administrative prévu dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (Premier ministre, ministre de la Santé, préfets), auraient pu être inquiétés pénalement pour des « imprudences » ou des « négligences » qui auraient conduit à des contamination de Covid-19. Ce qui n’aurait pas été possible pour le reste des décideurs, comme les maires ou chefs d’entreprise. Ces derniers auraient pu voir leur responsabilité engagée seulement s’ils avaient commis des faits « intentionnellement », ou en « violation manifestement délibérée » d’une loi.

Philippe Bas reste confiant pour la commission mixte paritaire

« Je suis convaincu que c’est involontairement. Je n’imagine pas que quiconque voudrait protéger ceux qui sont les décideurs et non pas ceux qui vont appliquer sur le terrain les mesures de déconfinement », a ajouté Philippe Bas, de manière diplomatique. « Optimiste », le sénateur de la Manche espère néanmoins convaincre les députés de réécrire à nouveau l’article 1 en fin de semaine, quand la commission mixte paritaire se réunira. « Le débat permet de faire progresser une vision partagée de l’intérêt général », a-t-il conclu.

« Il ne faut pas que les responsables politiques donnent l’impression qu’ils veulent se dédouaner de leurs responsabilités », rétorque Nicole Belloubet

Interrogée également sur Public Sénat, la garde des Sceaux a expliqué, quant à elle, en quoi le texte du Sénat pouvait poser problème. « Il ne faut pas que les responsables politiques donnent l’impression qu’ils veulent se dédouaner de leurs responsabilités. Donc l’écriture doit être ciselée », a-t-elle affirmé. Les sénateurs ont, de leur côté, toujours répété que leur dispositif ne concernait pas seulement les maires, mais qu’il s’appliquait aux « décideurs » en général, jusqu’au directeur associatif, en passant par le directeur d’école, ou encore le cadre d’entreprise.

Lors des débats au Sénat le 4 mai, Nicole Belloubet avait en outre pointé une autre faille dans le texte du Sénat. Le nouveau cadre de responsabilité pénale se serait appliqué pour la seule période de l’état d’urgence sanitaire. Pour elle, il y aurait « rupture d’égalité » entre les justiciables, selon que les faits incriminés aient lieu à l’intérieur ou à l’extérieur de cette période.

Tenir compte de la réalité des connaissances scientifiques, comme le préconisent les députés, a le mérite de préciser davantage le cadre juridique actuel, selon elle. « Cet amendement vient préciser la jurisprudence actuelle en matière de responsabilité. »

La Cour de justice de la République va se « retrouver repoussée dans le cadre de cet amendement », dénonce Patrick Kanner

Au Sénat, la disparition du meccano « équilibré » ne contrarie pas seulement Philippe Bas. Selon le président du groupe socialiste, Patrick Kanner, le vote en commission à l’Assemblée nationale va « dédouaner ceux qui décident et qui demandent aux autres d’appliquer ». « Je crois que manifestement la Cour de justice de la République, qui peut-être sera saisie de la gestion de la crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui, pourra peut-être se retrouver repoussée dans le cadre de cet amendement », a-t-il ajouté.

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