« Il est quand même édifiant de constater que le Président de la République n’a rien trouvé à dire sur près de deux siècles de l’Histoire de la France, alors qu’il y a cinq jours il faisait des gammes sur Napoléon Bonaparte. Donc on a le droit d’avoir les fascinations qu’on veut, ceci étant, même quand on a le culte des héros, c’est une époque qui ne manque pas de figures héroïques ».
Prononcée par Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux, rapporteure en 1998 de la proposition de loi reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité adoptée en 2001 et dont on célébrait les 20 ans aujourd’hui, cette déclaration au vitriol illustre les interrogations qu’a causées la – courte – cérémonie commémorant l’abolition de l’esclavage et de la traite, célébrée ce lundi 10 mai au jardin du Luxembourg. Et plus précisément le malaise qu’a entraîné le silence d’Emmanuel Macron, pourtant présent, mais qui a préféré ne pas s’exprimer, contrairement à ses prédécesseurs. Causant ainsi la colère de Christiane Taubira, quittant subitement les locaux de la chaîne télévisée La Première, où elle était en duplex.
« Une humanité amputée »
Pourtant, cette année, la cérémonie du 10 mai, date à laquelle est célébrée depuis 2006 l’abolition de l’esclavage, revêtait une symbolique particulière. Elle marquait les 20 ans de la « loi Taubira », adoptée en 2001 à l’unanimité par l’Assemblée Nationale et le Sénat, et qui reconnaît l’esclavage et la traite comme crimes contre l’humanité, tout en prévoyant d’y accorder une place importante dans les programmes scolaires.
La commémoration de ce lundi a donc avant tout donné une place importante aux élèves, et plus précisément aux lauréats du concours La flamme de l’égalité. Ce dernier, qui connaissait cette année sa sixième édition, vise à récompenser plusieurs créations développées dans des établissements scolaires français de l’hexagone et d’Outre-mer, autour d’un thème commun, celui de cette année étant « Esclavage et traites, des crimes contre l’humanité ».
Aux pupitres se sont donc succédé deux élèves, scolarisés dans un lycée professionnel d’Aix-en-Provence et auteurs d’un slam portant sur le drame de l’île de Tromelin, là où, en 1761, 80 esclaves furent abandonnés sur cette parcelle insulaire de l’océan Indien, seulement recouverte de sable. Avant eux, ce sont deux jeunes écolières d’un établissement girondin qui ont présenté un extrait de leur court-métrage réalisé avec leur institutrice, intitulé « une humanité amputée ».
Et pour marquer les 20 ans de l’adoption de la loi Taubira, un extrait du discours prononcé à l’Assemblée Nationale en février 1999 par l’ancienne garde des Sceaux a été lu par la comédienne guyanaise Yasmina Ho-You-Fat.
Au milieu de ces prises de paroles fortes, l’absence de celle du chef de l’État s’est d’autant plus fait remarquer que ce dernier s’est contenté de déposer deux gerbes de fleurs, avec Gérard Larcher, au pied du mémorial Le cri, l’Écrit, statue illustrant une chaîne s’érigeant du sol, dont le dernier anneau brisé témoigne de l’affranchissement de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Le président était pourtant venu accompagné de cinq ministres, dont Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin, témoignant de la grande transversalité du sujet et rendant son silence encore plus surprenant.
« Le silence est d’une grande violence »
« Je suis consternée. Et je trouve que le silence du Président de la République est d’une grande violence. […] Le Président est la représentation de la cohésion nationale. Donc si le Président ne s’exprime pas alors qu’il s’exprime pour dire ce qui était Napoléon Bonaparte, ça a un sens, et je ne préfère même pas imaginer quel sens cela peut avoir » s’est émue Marijosé Alie, artiste martiniquaise, présente sur le plateau de Public Sénat et France Télévisions pour retransmettre la cérémonie.
Car c’est en partie la temporalité dans laquelle s’inscrit cette absence de prise de parole qui a gêné les historiens invités à analyser la cérémonie après sa retransmission. Emmanuel Macron avait ainsi fait le choix, le 5 mai, pour le bicentenaire de la mort de Napoléon, de déposer une gerbe sur son tombeau aux Invalides, pour ensuite évoquer l’Empereur dans un discours prononcé à l’Institut de France. Mais c’est pourtant le même Bonaparte qui en 1802 avait rétabli l’esclavage, pourtant aboli une première fois en 1794 par les Révolutionnaires de la Convention.
Et face à la position défendue par Emmanuel Macron, qui avait mis en garde contre un possible « procès anachronique » à l’égard de l’Empereur, François Durpaire, historien et également présent sur le plateau de Public Sénat, a tenu à rappeler que c’est bien les positions de Bonaparte qui étaient anachroniques, ce dernier ayant rétabli l’esclavage en se basant sur la « fainéantise des esclaves ».
Abolition de l'esclavage : Gérard Larcher réagit à la non prise de parole d'Emmanuel Macron
Le président du Sénat Gérard Larcher, interviewé par Public Sénat sur l’absence de prise de parole présidentielle, est apparu lui plus sur la réserve, estimant que « les plus beaux des discours c’étaient les chants, c’étaient les textes lus, et je crois que c’était la meilleure manière de se souvenir ».