Brexit : une négociation à haut risque

Brexit : une négociation à haut risque

L’heure du divorce a sonné. Après des mois d’atermoiement, Theresa May a enfin notifié l’activation de l’article 50 au conseil européen, et ouvre la voie au Brexit, la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne, après 44 ans de vie commune. Visiblement ému, Donald Tusk a soufflé « Vous nous manquez déjà » en brandissant la lettre signée de Theresa May lors d’une conférence de presse : « Il n'y a aucune raison de faire comme si c'était une journée heureuse, ni à Bruxelles ni à Londres », a ajouté le président du conseil européen.Ce 29 mars ouvre donc officiellement la période de deux ans prévue par les traités européens pour négocier la « sortie » d’un pays de la communauté.
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Par Nora Hamadi

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L’heure du divorce a sonné. Après des mois d’atermoiement, Theresa May a enfin notifié l’activation de l’article 50 au conseil européen, et ouvre la voie au Brexit, la sortie du Royaume Uni de l’union européenne, après 44 ans de vie commune.

 Visiblement ému, Donald Tusk a soufflé « Vous nous manquez déjà » en brandissant la lettre signée de Teresa May lors d’une conférence de presse : « Il n'y a aucune raison de faire comme si c'était une journée heureuse, ni à Bruxelles ni à Londres », a ajouté le président du conseil européen.

Ce 29 mars ouvre donc officiellement la période de deux ans prévue par les traités européens pour négocier la « sortie » d’un pays de la communauté.

 

C’est peu dire si l’exercice est à haut risque.

Face à une première ministre britannique inflexible, fine négociatrice, qui prône un « hard brexit », un brexit dur, soit une sortie nette et franche du pays du marché unique, afin de contrôler l’immigration ; de l’union douanière ; de la Cour de justice de l’Union ; et la conclusion d’un traité de libre échange avec l’Union européenne ; les 27 états membres devront, contrairement à leurs habitudes, se montrer unis et soudés.

 

Dès les résultats du référendum proclamés, le 24 juin dernier, l’exercice d’unité ne fut pas aisé pour les chefs d’Etats et de gouvernement. Fait inédit, ils ont réussi à faire front commun face la Grande Bretagne en refusant toute négociation préalable à la notification de l’article 50 qui active la sortie d’un pays de l’UE, et en refusant tout accès au marché unique européen sans l’acceptation préalable des fondements de ce marché : liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux, des services.

 

« Keep calm and negociate »

 

« Dans ces négociations, l'Union agira dans un esprit d'unité et préservera ses intérêts » a fait savoir le Conseil européen.  « Notre première priorité sera de réduire au maximum les incertitudes que la décision du Royaume-Uni fait peser sur nos citoyens, nos entreprises et nos États membres. Par conséquent, nous commencerons par nous concentrer sur l'ensemble des arrangements essentiels pour un retrait ordonné. »

Afin de déterminer les contours du mandat de négociation, un sommet extraordinaire des chefs d’Etats et de gouvernement est convoqué le 29 avril prochain, entre les deux tours de l’élection présidentielle. Le dernier pour François Hollande.

 

Face à David Davis, ministre en charge du Brexit, les Européens ont missionné Michel Barnier, ex commissaire européen français aux marché intérieur et aux services, et fin connaisseur des arcanes bruxelloises et de la City, qu’il a tenté maintes fois de réguler.  Le savoyard, honni des Britanniques durant son mandat, qui le considérait comme « l’homme le plus dangereux d’Europe », travaille depuis maintenant plusieurs mois sur les contours de cette négociation, qu’il souhaite « respectueuse et transparente » et qui devront être bouclée en octobre 2018 pour respecter les délais prévus par les traités. « Keep Calm and negociate » avait il conclu, flegmatique, dans une adresse à la presse européenne en décembre dernier, en référence à la pop culture londonienne.

 

Un accord qui s’annonce difficile

 

Mais la tache s’annonce rude pour le négociateur en chef. L’objectif de ces deux années est de négocier les conditions du divorce et les points de discordes sont nombreux. Londres voudrait négocier en parallèle les conditions de la relation future, et notamment un accord de libre échange, une demande refusée par Bruxelles, arguant du fait qu’avant de négocier l’après, « on décide qui garde la maison et le chien » selon un diplomate de haut rang. La facture astronomique de cette séparation (entre 40 et 60 milliards d’euros) risque aussi de brouiller les discussions. Engagée dans un budget pluriannuel qui court de 2014 à 2020, les Européens refusent catégoriquement de payer la part restant due par Londres, qui sortirait en 2018.

« Nous devons solder les comptes, ni plus ni moins », a fait valoir Michel Barnier. « Le gouvernement ne reconnait pas les montants parfois très importants qui ont circulé à Bruxelles » a rejeté ce mercredi Philip Hammond, ministre des finances, tablant plutôt sur un cout de 3 milliards d’euros.

Enfin, le statut des plus de 3 millions d’européens vivant au Royaume Uni sera également à dessiner, tout comme celui des 1,2 million de Britanniques présents sur le sol européen. Une priorité pour Theresa May et pour les 27. 

A l’issue des négociations, le parlement britannique devra être consulté, mais ne pourra revoir les textes. S’il rejette l’accord, alors la sortie se fera sans accord.

 

 

Si aucun accord ne permet de dessiner une sortie dans la douceur, et le futur des relations commerciales notamment entre l’Union européenne et le Royaume Uni, alors la rupture sera nette et franche, et risque bien d’être douloureuse pour les Anglais. Seuls les accords commerciaux  négociés sous l’égide de l’Organisation Mondiale du Commerce seront en vigueur, avec barrières et taxes douanières, ce qui risquent de provoquer un net ralentissement de l’économie britannique, puisque la moitié de ses échanges se font… avec l’Union européenne.

« Il y aura forcément un accord » a déclaré François Hollande « et au pire, un accord a minima » sur les échanges commerciaux et les barrières douanières. Mais « ça va être long, très lourd », a-t-il prédit.

 

Vers une dislocation du Royaume-Uni ?

 

Autre inconnue, l’avenir de l’Union Jack. Depuis le résultat du referendum britannique, les volontés indépendantistes se sont réveillées en Ecosse et en Irlande, qui ont toutes deux voté massivement pour le maintien dans l’Union européenne (62% et 55%)

Nicola Sturgeon, première ministre écossaise a d’ores et déjà fait voter ce mardi 28 mars, par son parlement le principe d’une consultation de ses concitoyens sur l’indépendance de l’Ecosse, afin de pouvoir, à terme, négocier son adhésion à l’Union européenne. Un referendum qui devra été accepté par le parlement britannique. La question de la frontière entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande se pose déjà. Le nord est inclus dans la négociation du Brexit, puisque rattaché au Royaume Uni, le sud est indépendant. Rétablir une frontière entre les deux Irlande pourrait rouvrir les plaies à peine refermées par les accords de Belfast signés en 1998, qui mirent un terme à trente années de guerres sanglantes, et rouvrir la question de l’unification des deux Irlande.

 

 Au moment de commencer les négociations pour quitter l’Union européenne, nous devrions nous rassembler plutôt que de nous diviser », a déclaré Theresa May. Un vœu pieux.

 

Dans la difficile équation du Brexit, le risque de la dissolution pure et simple du Royaume Uni et de l’Union jack risque bien de peser lourd pour l’avenir des Britanniques.

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