C’est un vote qui restera. Le Sénat a adopté l’ensemble du projet de loi de bioéthique mardi 4 février. Un vote dans un hémicycle plein, avec 326 sénateurs présents, et particulièrement serré : 154 pour, 144 contre et 45 abstentions (après deux rectifications de vote). Ce texte porte l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, une promesse d’Emmanuel Macron. Il n’est pas encore définitivement adopté. La procédure normale étant en vigueur, députés et sénateurs examineront à nouveau le texte pour une seconde lecture.
« Ligne de crête »
La majorité sénatoriale de droite et du centre s’est montrée particulièrement divisée sur ce projet de loi, en particulier sur la question de la PMA. Si ce nouveau droit pour toutes les femmes a été adopté, les sénateurs ont limité son remboursement par la Sécu aux cas d’infertilité, excluant ainsi les couples de femmes. Comme à l’Assemblée, les hommes transgenres (c’est-à-dire les femmes ayant changé d’état civil mais ayant gardé leur appareil reproducteur) restent exclus de la mesure.
« Depuis deux semaines, nous avons cheminé ensemble sur cette ligne de crête qui sépare le possible du souhaitable » a réagi, après l’annonce des résultats, la ministre de la Santé Agnès Buzyn. « Malgré les divergences sur les modalités » sur la PMA, « je me réjouis que cette assemblée reconnaisse la famille dans ce qu’elle a de pluriel, divers et de riche » a salué la ministre.
Verre à moitié vide ou à moitié plein
Ce texte, c’est le verre à moitié vide, ou à moitié plein, c’est selon. Et personne n’est totalement satisfait, d’où un vote compliqué et serré. Au final, les modifications apportées au texte sont nombreuses. Après un débat soutenu, le Sénat a dit « non » à la PMA post-mortem, à 5 voix près. Les sénateurs ont rejeté l’autoconservation des gamètes, cette fois à une voix près.
Sur la question de la filiation après une PMA, les sénateurs ont voulu faire intervenir l’adoption pour sécuriser juridiquement l’acte. Les députés avaient voté, eux, une reconnaissance conjointe devant un notaire. Le Sénat a aussi refusé la levée systématique de l’anonymat des donneurs de gamètes et interdit la transcription à l’état civil d’enfants nés de GPA.
Cellules-souches et tests génétiques
Le texte comporte aussi tout un volet recherche, tout aussi important. Comme sur la PMA, les sénateurs ont fait mentir ceux qui imaginent la Haute assemblée forcément conservatrice. En commission, les sénateurs sont allés beaucoup plus loin que le gouvernement sur ces questions. Mais en séance, les équilibres ont souvent changé, avec plusieurs votes à l’opposé du texte de la commission…
Le Sénat s’est ainsi opposé aux tests ADN généalogiques « récréatifs », tout comme à la création d’embryons chimériques et à certains diagnostics préimplantatoires, tout en encadrant la recherche sur les cellules-souches et en réintroduisant les « bébés médicament ». Pour la recherche sur un embryon in vitro, le Sénat a voté l’allongement de 14 à 21 jours du délai limite (voir notre article pour plus de détails sur les modifications du Sénat).
« Chimères politiques »
Sur ce volet recherche, le socialiste Jacques Bigot incite l’exécutif à être moins frileux. « Les marcheurs pourraient être un peu plus en marche » lance-t-il, ironisant sur le changement de pied récent de l’exécutif sur le texte sur le deuil d’un enfant : « J’ai constaté récemment que le gouvernement reconnaît parfois qu’il peut se tromper… »
Sur ce projet de loi plus qu’un autre, les clivages habituels ont volé en éclat. Et les débats ont traversé les partis politiques. « Au sein de notre groupe, comme dans l’ensemble des groupes, nous ne nous sommes pas accordés sur tous les sujets, tant ils sont sensibles » a constaté la sénatrice PCF Laurence Cohen, expliquant avoir elle-même « évolué au cours des auditions et dans l’hémicycle ». « Nous avons un vote assez contrasté au sein du groupe LR » dit Muriel Jourda. « Les débats ont montré notre diversité » reconnaît Jacques Bigot. Ces « sujets, qui touchent à l’intime », ont engendré des « chimères politiques » résume la sénatrice PRG, Véronique Guillotin (groupe RDSE).
Incertitudes avant le vote
C’est donc une majorité plurielle, gauche, droite et LREM, qui a permis au texte de passer. Ce n’était pas gagné. En fin de matinée, l’incertitude était de mise. En réunion de groupe, ce matin, le président LR de la commission spéciale, Alain Milon, pro PMA, n’a pas caché son inquiétude de voir le texte rejeté, face aux abstentions et votes contre. « Il a bien dit que ce texte ne satisfaisait personne, mais « votez-le », car sinon, il n’y aura pas discussion sur les apports du Sénat et on repartira de zéro » rapporte un sénateur du groupe. Mais Bruno Retailleau, fervent opposant à la PMA, a laissé chacun libre de son vote.
Au même moment, les sénateurs PS débattent aussi du texte, lors de leur réunion. Après une heure d’échanges, ils décident de voter pour, dans leur très grande majorité, assurant l’adoption du texte. « Mais ça a failli partir sur l’abstention », confie un sénateur socialiste. « La responsabilité du Sénat est que son vote inscrive dans le marbre la PMA pour toutes. On mesure bien que notre vote a un caractère historique, même s’il y a des reculs » explique à publicsenat.fr Patrick Kanner, à la tête des sénateurs PS. Son groupe n’a « pas voulu d’une alliance objective entre ceux pour qui le texte va trop loin et ceux pour qui ça ne va pas assez loin », synonyme de rejet.
Des groupes divisés
Selon le détail du scrutin (en prenant en compte les deux modifications annoncées ensuite), le groupe LR compte 98 voix contre, 25 pour et 19 abstentions. Lors du vote sur la PMA, ils se sont davantage divisés. La majorité des sénateurs LR y reste opposée, mais à 60%, le bloc des opposants est en recul. Gérard Larcher, président du Sénat, s’était dit « assez ouvert » à la PMA pour toutes. Un soutien qui a pu jouer, même si les choix individuels prévalent sur ces questions.
Au groupe PS, on compte 64 pour sur l’ensemble du texte, 2 contre et 5 abstentions. Il contribue ainsi pour une bonne part à faire passer le projet de loi, tout en regrettant que le non-remboursement et les choix sur la partie recherche. Le groupe Union centriste est très partagé. Il totalise 11 pour, 26 contre et 14 abstentions, dont Olivier Henno, rapporteur sur la partie génétique. On compte 18 pour au groupe LREM mais quand même 5 contre, soit les sénateurs LREM opposés à la PMA, dont Alain Richard. Il y a 18 pour au groupe RDSE (3 abstentions), 15 pour au groupe CRCE (communiste) et Les Indépendants sont partagés : 2 pour, 7 contre et 4 abstentions.
La navette parlementaire va maintenant se poursuivre. Le texte va être renvoyé devant les députés pour la seconde lecture, avant qu’ils ne reviennent devant les sénateurs. En cas de désaccord probable, l’Assemblée aura le dernier mot. Si le texte est définitivement adopté, la PMA pour toutes ne sera effective qu’une fois les décrets d’application signés par l’exécutif.