Comme au lendemain de l’acte 3 des Gilets Jaunes, symbolisé par le saccage de l’Arc de triomphe, le regain de violences samedi sur les Champs-Élysées a passablement remonté les sénateurs. Tout au long du week-end, la droite sénatoriale, majoritaire au palais du Luxembourg, s’est indignée après ces nouveaux affrontements sur l’emblématique avenue parisienne et les scènes de pillage « que chacun croyait ne plus devoir connaître ».
Dès samedi soir, des consultations autour du président du Sénat Gérard Larcher et des présidents de commission se sont engagées. Le lendemain matin, la décision de convoquer mardi à 16h30 le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire (pour l’impact économique), était prise.
Les deux membres du gouvernement seront entendus au même moment, dans la même salle. Ils feront face aux questions des deux commissions compétentes : la commission des Lois et la commission des Affaires économiques. Jusqu’à 100 sénateurs pourraient être présents, si l’on s’en tient aux effectifs des deux commissions.
« L’autorité de l’État est bafouée chaque samedi », s’offusque le vice-président de la commission des Lois
À 24 heures de cette audition attendue, le ras-le-bol est palpable chez les sénateurs. « Il y a incontestablement un manque d’autorité, une carence qui est réelle, dans cette affaire. L’autorité de l’État est bafouée tous les samedis. C’est inadmissible », dénonce avec virulence François-Noël Buffet, le vice-président (LR) de la commission des Lois.
Christophe Castaner, déjà auditionné le 4 décembre au Sénat, trois jours après des scènes de guérilla urbaine d’une rare intensité dans la capitale, est attendu au tournant, notamment sur les changements de stratégie, opérés ou non, depuis le début du mouvement social. « Il nous avait déjà fait des promesses sur des changements de doctrine [des forces de l’ordre]. En réalité, rien n’a changé », s’impatiente François-Noël Buffet.
Des « manquements évidents », selon un sénateur
Trois mois après, les sénateurs devraient donc reposer les mêmes questions. Comment faire pour que ces « troubles » ne se reproduisent plus ? Y a-t-il eu une défaillance dans la chaîne de commandement ? « Il y a eu des manquements évidents », le sénateur (LR) François Bonhomme en est convaincu.
La place des lanceurs de balle de défense (LBD), « beaucoup moins » utilisés ce samedi selon l’Intérieur, sera aussi évoquée. L’emploi de cette arme a beaucoup été critiqué depuis des semaines, à cause des blessures graves qu’elle a occasionnées sur plusieurs manifestants. Au Sénat, la gauche avait tenté d’adopter une proposition de loi communiste pour demander leur retrait. Ce lundi, sur RTL, le secrétaire d’État Laurent Nuñez n’y va pas par quatre chemins et dénonce un « travail de sape qui a conduit à plus de retenue chez les forces de l'ordre ».
Alors que l’exécutif doit annoncer de nouvelles réponses, le Sénat devrait aussi poser à nouveau la question d’un éventuel recours à l’état d’urgence, ce régime d’exception renforçant les pouvoirs de l’autorité administrative, et dont une partie des dispositions a été intégrée dans le droit commun. Début décembre, Christophe Castaner avait considéré que son retour ne « semblait pas utile ».
« 18 semaines d’impact économique »
Cette fois, les interrogations des sénateurs ne porteront pas seulement sur le maintien de l’ordre, mais également sur le préjudice économique des destructions à Paris – comme dans d’autres villes – et sur le manque à gagner des commerçants, chaque samedi. « On est dans un moment extrêmement compliqué pour notre pays », s’inquiète Sophie Primas, la présidente (LR) de la commission des Affaires économiques, « choquée » par les images de samedi. « Il y a maintenant 18 semaines d’impact économique sur la ville de Paris et plus globalement sur l’économie de notre pays. On a besoin d’entendre le ministre de l’Économie. » Ce sera aussi l’occasion pour eux d’interroger le ministre sur les aides prévues par l’État pour accompagner les commerçants.
Bruno Le Maire devrait vraisemblablement répondre aux inquiétudes des parlementaires sur les effets de l’action des casseurs sur l’attractivité et l’image du pays, ou encore sur la fréquentation touristique. « J’ai été très choquée de voir en boucle sur les chaînes de télévision étrangères les images de samedi », commente Sophie Primas.
Préfecture, fédérations de commerçants : une série d’auditions complémentaires à venir
Les deux commissions réunies mardi ne devraient pas en rester là. D’autres auditions devraient être annoncées dans les jours à venir. De son côté, la commission des Lois envisage d’entendre les syndicats de policier. Leur lecture du déroulé des événements, mais aussi leurs critiques sur la gestion des effectifs déployés. Des représentants de la Préfecture de police de Paris, mais également des criminologues, pour comprendre l’aspect inédit de ces manifestations, devraient être au centre de prochaines auditions.
Quant aux sénateurs de la commission des Affaires économiques, ils ont l’intention d’auditionner des fédérations de commerçants, les représentants des professionnels implantés sur les Champs-Élysées, ou encore les compagnies d’assurance, très sollicitées depuis novembre.
Compte tenu du temps resserré, le Sénat devrait être la première chambre à auditionner formellement les deux ministres sur les évènements de samedi. En décembre, Christophe Castaner avait été interrogé la veille par les députés, avant de se présenter le lendemain devant les sénateurs.
La séance d’explications de mardi, aura pour but de trouver des éléments de solution, espèrent les sénateurs. Dans un contexte de grand débat national sur le fonctionnement des institutions, elle sera aussi l’occasion à la chambre haute de rappeler sa mission de contrôle du gouvernement. « On sait très bien que cette audition ne fera pas à l’Assemblée nationale », croit François-Noël Buffet. « Le Sénat est dans son rôle, c’est la preuve qu’il joue pleinement son rôle, alors que l’exécutif souhaite son affaiblissement. »
Mise à jour du 19 mars 2019 : La commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale a finalement décidé lundi soir d'auditionner Bruno Le Maire, conjointement avec la commission des Finances, mercredi 20 mars à 21h30. Le matin même, elle ne prévoyait qu'un « entretien de travail » entre le bureau de la commission et le ministre. Quant à Christophe Castaner, il sera auditionné avec Nicole Belloubet le mercredi 27 mars, à 16h30, par la commission des Lois.
Les auditions seront diffusées en direct sur Public Sénat mardi 19 mars à 16h30.