Dans ce documentaire inspirant, nous suivons Komi Agbokou, cofondateur de la coopérative choco Togo, la première entreprise de transformation de chocolat du Togo, qui lutte contre les dégâts de la mondialisation sur son pays.
Comment avez-vous découvert la problématique du chocolat au Togo ?
Fanny Bouteiller : C’est grâce à une rencontre que j’ai faite un an avant le tournage, j’étais au Togo pour un film institutionnel, et je cherchais quelqu’un qui travaille dans le domaine du commerce. C’est là que j’ai trouvé la coopérative Choco Togo. J’ai passé une journée avec Komi Agbokou, un des fondateurs de la coopérative, et je me suis tout de suite rendu compte que c’était un personnage vraiment très atypique et engagé. Et il m’a convaincu tout de suite que cette thématique pouvait faire l’objet d’un film plus long, uniquement sur le chocolat.
Loin derrière les 1 449 000 tonnes de chocolat, soit 31,6% du marché de la Côte d’ivoire ou des 18,2% du Ghana, le Togo est un assez petit producteur de cacao, c’est une activité qui est très présente dans le pays ?
Fanny Bouteiller : La production de cacao représente une activité minoritaire dans le PIB togolais, et par rapport à d’autre pays c’est une petite production, mais par rapport au pourcentage des exportations agricoles ça représente une grande partie de leurs exports, juste après le coton. Les chiffres sont assez compliqués à exploiter car ils comptent le café et le cacao ensemble, et ils exportent quand même plus de café que de cacao, donc ça biaise un peu les résultats. Mais en termes de revenu, c’est le cacao qui rapporte le plus.
« Certains producteurs de cacao n’ont jamais vu du chocolat de leur vie »
Il y a une scène très marquante dans votre documentaire, quand Komi Agbokou se rend dans le village Akoulokoutché, dont le nom veut dire : « il faut souffrir avant de manger ». Lorsqu’il demande aux habitants, qui sont tous producteurs de cacao, « Qui a déjà mangé du chocolat ? », la majorité des personnes répond par la négative. Ça reflète une réalité ?
Fanny Bouteiller : Oui, ce n’est pas dans un seul village, c’est vraiment partout comme ça. C’était incroyable comme scène. Mon collègue qui venait de Côte d’ivoire ne s’était pas non plus rendu compte de ça, du fait que dans les pays où ils le produisent, les gens n’y avaient jamais goûté. Je suis tombée de haut moi aussi. C’est assez représentatif de la situation : le chocolat est un produit de luxe pour les habitants du Togo. Ils en importent très peu, et dans les villages reculés ils n’en trouvent même pas, il n’y a pas de supermarché, donc ils n’ont jamais vu ça de leur vie.
On sent qu’au-delà de la problématique du chocolat, c’est quand même très politique. On sent une véritable envie de faire prendre conscience aux producteurs togolais de leur richesse et de leurs possibilités. Au fond c’est une lutte contre les dérives de la mondialisation ?
Fanny Bouteiller : Oui, totalement. Par exemple lors de ses interventions dans les villages, Komi Agbokou ne parlait pas uniquement du fait de consommer du chocolat, ce qui aurait pu être pris pour une opération purement commerciale puisqu’il ne fait que du chocolat. Il parlait autant de la sauce tomate que de jus de fruits produits sur place. Son combat dépasse vraiment le chocolat, c’est quelque chose de plus global. Il est écœuré de voir que son pays a tout ce qu’il faut pour subvenir à ses besoins mais que malheureusement il exporte tout puis réimporte des produits transformés à l’étranger, chers et de mauvaise qualité.
Comment s’organise la production du cacao au Togo ?
Fanny Bouteiller : La fédération du cacao et du café du Togo, qui n’a aucun pouvoir sur les variations de prix de vente et d’achat du cacao, les aide à s’organiser en tant que filière. Ça fonctionne beaucoup à base de coopératives dans le pays, et les productions sont familiales donc ils sont tous regroupés.
Le prix est un enjeu important, mais ils sont fixés à l’extérieur du Togo. La fédération sert juste de vitrine, d’intermédiaire entre ceux qui achètent et les producteurs.
Officiellement peu de femmes travaillent dans la production de cacao, en réalité elles sont nombreuses à le faire sans pour autant qu'elles soient reconnues : on voit notamment une femme qui a 42 ans obtient son premier emploi « officiel » en tant que décortiqueuse de fève de cacao. C’est une problématique réelle ?
Fanny Bouteiller : Oui, ça pose vraiment problème parce que les femmes togolaises sont cantonnées à des métiers « non-officiels », donc avec aucune garantie d’emploi. C’est un pays où ne parle pas de retraite ou de chômage, mais les femmes sont encore dans une plus grande précarité que les hommes.
« Nous sommes devenus des esclaves »
À un moment du film, un producteur dit cette phrase très forte « Nous sommes devenus des esclaves ». Avec des prix d’achat qui chutent, ces producteurs travaillent presque pour rien et ont des dettes. Mais il finit quand même par dire « Je continuerai de cultiver du cacao jusqu’à ma mort », il a un esprit de fatalité ?
Fanny Bouteiller : La femme de ce producteur le dit très justement, le problème est qu’ils : « ne savent rien faire d’autre ». Ils n’ont pas vraiment d’autres qualifications. Beaucoup ont aussi des plantations de bananes, ou des productions d’alcool local. Mais ils n’ont pas le choix, ils ne peuvent pas arrêter de vendre du cacao parce que si non ils n’ont plus rien.
Les personnes qui vivent du cacao ont quelle position face aux pays qui leur achètent le cacao à très bas prix pour après leur revendre du chocolat à des prix qui ne sont pas abordables pour eux ?
Fanny Bouteiller : C’est quelque chose qui les écœure, c’est très violent. Surtout chez Komi Agbokou, qui était mon principal interlocuteur. C’est quelque chose qui le révolte. Il a vraiment une sorte de haine envers les pays industrialisés, envers la mondialisation.
Avant de commencer le film, il voulait être sûr que je ne sois pas « du côté des multinationales », parce qu’il les déteste. Pour lui c’est clairement à cause des grosses entreprises des pays développés que son pays en est là aujourd’hui.