Ses punchlines parfois acerbes et souvent répétés avaient taillé sa réputation de star des prétoires. Maître Dupond-Moretti s’était fait une spécialité de déstabiliser ses adversaires. Mais depuis qu’il a laissé tomber la robe pour devenir garde des Sceaux, sa vieille habitude crispe le Parlement. Dernier épisode en date : une bisbille avec la sénatrice socialiste et ancienne ministre Laurence Rossignol. Vendredi dernier, lors de l’examen du texte confortant les principes républicains, la sénatrice préside la séance, Éric Dupond-Moretti est sur le banc des ministres. Avant la clôture, Laurence Rossignol s’empare du micro et souhaite faire état « d’un fait institutionnel qui se serait déroulé en début d’après-midi. « J’ai été interpellée à deux reprises, hors micro, par le garde des Sceaux, cherchant des échanges avec moi qui n’ont rien à voir avec la séance […] Ce n’est pas à moi à titre personnel qu’il a été porté atteinte mais à la présidence, à la sérénité de son exercice et à une règle essentielle qui est la dissociation entre la personne du président et l’exercice de la présidence », rapporte-t-elle indignée.
L. Rossignol accuse Dupond-Moretti d'avoir porter atteinte à sa fonction de présidente de séance
En cause, l’attitude du ministre qui cherche à interpeller la sénatrice par deux fois. « Éric Dupond-Moretti a cherché à créer un contact oral en faisant référence à un article du magazine l’l'Obs. Il a ponctué des interventions de sénateurs socialistes en essayant d’accrocher mon regard. Il faisait allusion à mes propos », confie Laurence Rossignol. Dans l’article en question, la sénatrice s’opposait en tout point à Éric Dupond-Moretti, pointant du doigt sa passion pour la chasse ou sa supposée mauvaise foi. « Dupond-Moretti est capable de donner l’exemple d’une tante de 19 ans qui aurait une relation avec son neveu de 17 ans, de s’offusquer qu’on la poursuive pour « une histoire d’amour » », y fustigeait la sénatrice.
« Ce n’est pas acceptable qu’un ministre met en cause la présidence de séance, d’autant plus en m’interpellant sur des propos qui sont totalement déconnectés de la séance. Le temps de la présidence de séance est vraiment dissocié, nous mettons de côté nos opinions », martèle Laurence Rossignol. « C’est jurisprudentiel au Sénat. Je pense que ça n’avait jamais été fait, en tout cas je n’avais jamais vécu ça… », ajoute-t-elle. Dans la foulée, le cabinet du président LR du Sénat, Gérard Larcher, lui a assuré son « soutien ».
« Certains élus tentent de construire de toutes pièces de fausses polémiques »
Depuis quelques semaines, les échanges sont particulièrement tendus entre le ministre et d’autres sénateurs socialistes comme David Assouline ou Marie-Pierre de La Gontrie. Dans l’hémicycle, Laurence Rossignol et le ministre de la Justice s’étaient déjà farouchement affrontés à propos de Georges Tron, condamné pour viol, dont Éric Dupond-Moretti fut l’avocat « Le garde des Sceaux a une manière bien particulière de concevoir les échanges », raille Laurence Rossignol. « La sénatrice avait accusé dans l’Obs Éric Dupond-Moretti le matin même de défendre le viol des mineurs et l’inceste, ce qui est insoutenable quand on sait l’énergie qu’il déploie avec d’autres à faire voter des avancées cruciales pour protéger les enfants des violences sexuelles. Le ministre est évidemment très respectueux du Sénat, des sénatrices et des sénateurs. Les 16 textes qu’il a fait examiner sans heurt en seulement 8 mois le démontrent. Que certains élus tentent de construire de toutes pièces de fausses polémiques est dommage et pas à la hauteur des débats que mérite l’hémicycle », répond sèchement l’entourage d’Éric Dupond-Moretti.
Vive passe d’armes entre Éric Dupond-Moretti et Laurence Rossignol au Sénat