Pendant que les députés LREM affichent de plus en plus leur division sur la question de l’asile, les sénateurs PS ont décidé de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel contre la loi permettant une bonne application du régime d’asile européen. Adopté jeudi soir par les députés, le texte a été entre temps durci lors de son passage au Sénat. Le gouvernement a accepté de conserver la version modifiée par la majorité LR-UDI de la Haute assemblée. Au grand dam d’une partie des députés LREM, pour qui l’exécutif va trop loin. De mauvais augure pour la majorité, avant l’examen du projet de loi Collomb sur l’asile et l’immigration, présenté mercredi en conseil des ministres, mais examiné qu’en avril au Parlement.
Texte durci par la majorité sénatoriale
Grâce à cette loi, le gouvernement va pouvoir « sécuriser le placement en rétention » des étrangers « dublinés », c'est-à-dire les migrants déjà enregistrés dans un premier pays européen, lors de leur arrivée au sein de l’Union européenne. C’est dans ce pays d’arrivé qu’ils doivent formuler leur demande d’asile. L’exécutif veut pouvoir les renvoyer dans le pays responsable du traitement de leur demande. Et pour cela, les placer en centre de rétention.
Mais un jugement de la Cour de cassation de septembre dernier a jugé illégal le placement en rétention de ces étrangers, car contraire au droit européen. Le placement en rétention ne peut être justifié que par un risque de fuite. La proposition de loi de Jean-Luc Warsmann, député du groupe UDI, Agir et Indépendants, vise justement à définir les critères caractérisant un « risque non négligeable de fuite ». Dans la liste des raisons pouvant justifier le placement en rétention, la majorité sénatoriale a ajouté le fait de dissimuler des « éléments de son parcours migratoire, de sa situation familiale et de ses demandes d'asile antérieures ». Les délais de recours ont été raccourcis au passage de deux semaines à sept jours. Le gouvernement a repris sans broncher les modifications des sénateurs. Ce dont, bien sûr, se « félicitent » Philippe Bas, président LR de la commission des lois de la Haute assemblée, et Jean-Noël Buffet, rapporteur LR du texte au Sénat.
« Il y a une forme de complicité entre la majorité gouvernementale et la droite »
Pour les sénateurs socialistes en revanche, cela va trop loin. « On est en train de tourner le dos à ce qu’est l’histoire d’accueil de notre pays » accuse Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, interrogé par publicsenat.fr. Il n’est pas convaincu par « l’explication qui est de combler un vide juridique provoqué par la Cour de cassation. Qu’on le veuille ou non, un centre de rétention, ça ressemble fortement à une prison. C’est une privation de liberté ». Sur Twitter, la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie appuie le recours en se référant à l’article 66 de la Constitution, selon lequel « nul ne peut être arbitrairement détenu ».
Patrick Kanner en fait autant une question de principe que de droit : « Sur le plan juridique et de nos valeurs, il y a un devoir de déposer ce recours. Il sera formellement déposé la semaine prochaine. Le texte, tel que durci par la droite sénatoriale, est vraiment inacceptable. Il y a une forme de complicité entre la majorité gouvernementale et la droite, tant la majorité sénatoriale que la droite à l’Assemblée, pour mettre en œuvre un texte très grave, attentatoire à ce qu’a fait la France en termes de droit d’asile ».
« Le recours bloque la promulgation. On aura la réponse du Conseil constitutionnel courant mars »
Pour l’heure, « le recours bloque la promulgation. On aura la réponse du Conseil constitutionnel courant mars » précise Patrick Kanner. Selon l’article 61 de la Constitution, « le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours ».
Le recours a été déposé en lien avec Olivier Faure, président du groupe Nouvelle gauche, qui rassemble les députés PS, et le parti. Les 78 sénateurs du groupe PS ont l’avantage d’être suffisamment nombreux pour déposer un recours – il faut être 60 députés ou 60 sénateurs – ce qui n’est pas le cas des 31 députés du groupe Nouvelle gauche.
« Le parti salue cette initiative » souligne Rachid Temal, « intervenu à deux titres, comme sénateur et patron par intérim du parti ». Le coordinateur national du PS et sénateur Val-d’Oise ajoute :
« Ce texte s’inscrit dans une stratégie globale : circulaire Collomb avant Noël, loi asile et immigration et aujourd’hui cette loi. Là on touche à ce qui est essentiel. C'est-à-dire le droit d’asile et la tradition d’accueil dans notre pays ».
Plus globalement, Rachid Temal pointe du doigt « cette alliance, sur des thèmes très durs, entre la droite et l’autre droite, LREM. Ils se mettent d’accord, comme sur la sélection à l’université, durcie par la droite sénatoriale (voir notre article sur le sujet, ndlr). Cela permet à chacun de voir ce qu’est cette politique ».