Scène improbable ce jeudi soir au Sénat, au troisième jour des débats sur le projet de loi asile et immigration. La droite sénatoriale, qui détient pourtant 42% des sièges, a été prise de court dans les votes, offrant quelques victoires à la gauche. Retour sur ces incidents de séance.
Comme au premier soir des débats, les bancs de la droite sont très clairsemés. Les scrutins publics s’enchaînent, ce dispositif permet de voter au nom des absents, mais n'est pas imposé à tous les votes. Les signaux d’alerte se multiplient pourtant. Des amendements se jouent à une voix près, l’égalité est frôlée.
À plusieurs reprises, après les votes à main levée, la présidente de séance, Marie-Noëlle Lienemann (PS) demande des votes « assis debouts », pour une meilleure visibilité. Puis, arrivent les accidents pour la droite. Très vite, l'issue se dessine. « Monsieur le Ministre, votez », entend-on dans l'hémicycle. L’amendement du socialiste David Assouline (voir la vidéo), supprimant l’article 10B (sur les franchissements de frontières) est adopté.
Asile et immigration : la droite mise en minorité sur un vote
Quelques minutes plus tard, c’est au tour de l’article 10 d’être rejeté par le Sénat (voir la vidéo). Des « ahhh » se font entendre dans l’hémicycle. Les résultats sont tantôt accueillis par des rires, tantôt par des acclamations sur les bancs à gauche.
Sur Twitter, la sénatrice LR Joëlle Garriaud-Maylam s’agace. « Très peu de monde, amendements votés à une voix près. Et seulement trois membres LR de la commission des lois (hors président et rapporteur), pourtant responsable du texte. » Un smiley rageur ponctue le tweet. Le socialiste Didier Marie envoie lui aussi une pique sur le réseau social : « Scrutin public sur tous les amendements pour pallier l’absence des sénateurs de droite minoritaires dans l’hémicycle. Ce n’était vraiment pas la peine de durcir ce texte pour ne pas l’assumer ! »
Philippe Bas « déplore » un « déséquilibre » et demande à stopper les débats du soir
Après ce deuxième revers pour la « majorité » sénatoriale, le président (LR) de la commission des Lois, Philippe Bas, réclame une suspension de séance de dix minutes. À son retour, il s’exprime, l’air grave :
« Je constate qu’il est très difficile à cette heure avancée de mobiliser sur certains bancs les collègues qui n’ont pas pu être présents ce soir, ce qui a entraîné un déséquilibre dans la manière dont pouvait être conduit le processus législatif au Sénat ce soir.»
Très contrarié, le sénateur de la Manche masque difficilement sa gêne et sa colère. « Je regrette profondément cette situation, je peux même dire que je la déplore [….] Je souhaite vivement pour notre assemblée que cette situation ne se renouvelle pas. »
Puis il annonce : « il vaudrait mieux lever la séance et faire en sorte qu’elle puisse reprendre demain ».
Asile et immigration : Philippe Bas demande que la séance soit levée
« C’est votre problème », rétorque Patrick Kanner
La présidente de séance Marie-Noëlle Lienemann décide de consulter l’hémicycle. « Pour nous les conditions de travail sont acceptables. Nous ne sommes pas responsables des manquements de certains groupes de la Haute assemblée », s’adresse au président Bas, le patron des socialistes, Patrick Kanner. « Vous êtes majoritaires dans cet hémicycle, c’est votre problème, ce n’est pas le nôtre. Nous voulons travailler, avancer sur ce texte essentiel. »
Asile et immigration : « C’est votre problème », rétorque Patrick Kanner à la droite
La parole est ensuite donnée au ministre Gérard Collomb, probablement un peu surpris par la tournure que prend la séance. « Le gouvernement ne peut pas interférer dans les règles de débat de l’assemblée », précise-t-il d’emblée, avant de pester contre le recours abusif aux scrutins publics. « Nous n’aurons pas de débats sur le fond », regrette-t-il. « Il serait mieux pour nos débats que nous puissions en arrêter là ce soir, et que nous puissions demain reprendre sereinement », finit-il par déclarer, indiquant qu’il est « prêt » à se « plier à la volonté » des sénateurs.
Gérard Collomb s'exprime sur l'incident de séance au Sénat
Marie-Noëlle Lienemann prend la décision de poursuivre la séance
Marie-Noëlle Lienemann se décide enfin, dans un hémicycle survolté. « Je vous propose que nous continuions nos travaux », annonce la socialiste. « D’abord parce que c’est a priori la règle, deuxièmement parce que je ne crois pas que les conditions d’un débat serein ne soient pas réunies, même si on voit bien les contraintes liées à la situation que vous avez décrites M. le président de la commission des Lois. »
Asile et immigration : Marie-Noëlle Lienemann prend la décision de poursuivre la séance
Des prises de parole se poursuivent. « Le Sénat et sa majorité sénatoriale n’ont pas été la hauteur de ce que contient le texte », dénonce Éliane Assassi au nom des communistes. Un groupe « relativement bien représenté », insiste-t-elle.
« Le Sénat et sa majorité sénatoriale n’ont pas été la hauteur de ce que contient le texte », dénonce Eliane Assassi
Sur Twitter, la gauche s’exprime. « La majorité LR porte la responsabilité de cette image déplorable et ne sert pas le bicamérisme que nous défendons », écrit Xavier Iacovelli. « La droite a déserté l'hémicycle […] séance hors sol », réagit la sénatrice communiste Christine Prunaud.
La séance reprend ses droits dans une atmosphère électrique au fur et à mesure que le Sénat progresse dans le titre II du projet de loi, celui sur la lutte contre l’immigration irrégulière. Une séance toujours ponctuée par les scrutins publics. Lorsque la séance est finalement levée quelques minutes avant minuit, la présidente de séance annonce que seulement 68 amendements ont été examinés ce jeudi. Il en reste 301 à débattre pour le dernier jour prévu, demain vendredi.