L’application voulue par le gouvernement sera-t-elle prête le 11 mai en s’affranchissant des géants américains Apple et Google ? Cette question touchant à la souveraineté numérique de notre pays, en plein développement de l’application Stopcovid, a été centrale pour les sénateurs de la commission des Lois durant l’heure et demi d’audition de Cédric O. Ironie de l’instant, la visioconférence se tenait pour la première fois via une application française mais n’a cessé d’être entravée par de nombreux problèmes techniques, suscitant l’exaspération des sénateurs. « Blackout » s’est exclamé par écrit le socialiste Jérôme Durain, au moment où le secrétaire d’État au numérique louait l’initiative des sénateurs de se tourner vers une solution numérique hexagonale.« Piratage pile au moment où Monsieur le ministre disait du bien de Tixeo » a ironisé le centriste Loïc Hervé.
Application « développée souverainement » par la France
L’application Stopcovid « est actuellement développée souverainement par la France » a d’abord tenu à rassurer le secrétaire d’État au numérique, en réponse aux inquiétudes grandissantes des élus et des parlementaires formulées ces derniers jours, notamment le Président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand. Dans le JDD, l’élu avait lancé : « Si on n'est pas capable de mettre en place une souveraineté française en la matière, alors ça ne sert à rien", rejetant l'idée que les données soient confiées à Google et Apple.
« Il n’y a que des entreprises françaises » concernées par ce projet a balayé Cédric O. Un développement qu’il certifie « pro bono, dans un effort d’aide de la nation » et réalisé « à titre gracieux » sous la coordination de l’INRIA en France, « avec la participation d’un certain nombre de talents français venus apporter leurs compétences de manière totalement désintéressée. »
Le problème des iPhone
Cédric O a tenu à alerter les sénateurs sur un point de blocage majeur. Les développeurs du consortium européen qui planchent sur Stopcovid rencontrent actuellement des « difficultés techniques avec le système d’exploitation des mobiles de marque Apple », l’un des géants du marché mondial avec Samsung. « Nous rencontrons quelques difficultés techniques et je veux m’y appesantir » a-t-il reconnu, soulignant l’importance de l’enjeu. L’impasse provient d’une fonctionnalité des iPhone, modèle phare du constructeur américain. Selon lui, les applications qui fonctionneraient « en arrière-plan », c’est-à-dire non allumées par l’utilisateur du téléphone, seraient « progressivement éteintes et déconnectées » automatiquement par l’iPhone explique Cédric O. Ainsi, l’application, censée enregistrer des données pendant la période d’incubation du virus, a minima « deux voire trois semaines », pourrait être neutralisée du fait de ce biais technique. Pour mener à bien le projet Stopcovid, « nous avons besoin qu’Apple modifie cet élément » a poursuivi Cédric O, « faute de quoi l’application européenne telle qu’elle a été conçue, ne pourra pas fonctionner correctement. »
Sans l’accord d’Apple et Google, « nous ne ferons que bricoler »
« Si je comprends bien, sans avoir recours aux logiciels mis en place par Apple et Google, vous avez néanmoins besoin de leur accord pour modifier les deux systèmes d’exploitation, Android et iOs » remarque le sénateur PS des Landes, Eric Kerrouche. D’où cette question : « Est-ce que l’on peut faire sans accord de ces deux plateformes ? » a-t-il demandé au ministre. « Android, probablement que non » a rétorqué le ministre, réaffirmant une nouvelle fois la nécessité qu’iOs modifie aussi « un certain nombre de ses conditions de fonctionnement pour que l’application soit efficace. » Selon Cédric O, « toute autre solution qui ne passerait pas par la modification des conditions de fonctionnement » des systèmes d’exploitation « serait une espèce de bricolage.»
Bras de fer entre Apple et le gouvernement
Le ministre a assuré les sénateurs qu’une « demande » avait été formulée auprès de la firme de Cupertino pour qu’elle modifie son système d’exploitation, laissant toutefois entendre en creux, qu’Apple n’avait toujours pas accédé à la requête du gouvernement. « Ce que nous leur demandons, et j’ose espérer qu’ils y répondront favorablement, c’est de faire en sorte d’apporter les modifications techniques impératives pour que les États puissent mettre en place les applications sanitaires qui peuvent être utiles à la lutte contre le virus. » Car de leur côté, les géants Apple et Google ne semblent que peu disposés à coopérer.
Apple et Google planchent sur une application « clefs en main » pour les États
Les deux géants du numérique planchent sur une application maison qu’ils « proposeraient clefs en main, entièrement packagée aux États qui n’auraient plus qu’à mettre leur logo » avait expliqué Aymeril Hoang, chargé du numérique au sein du conseil scientifique sur le covid-19, devant les sénateurs le 15 avril dernier. « S’ils souhaitent développer de leur côté leur propre application, quelque part, ça les regarde » a rétorqué Cédric O, exhortant seulement les entreprises de la Silicon Valley à se conformer à la demande de coopération qui leur a été faite. Le ministre poursuit : « Si Apple et Google devaient développer une solution qui viendrait en plus de ce qui est développé par les gouvernements, cette application devra respecter l’ensemble des lois et des règlements français et européens en vigueur ». « Vous avez bien clarifié notre point de vue vis-à-vis des GAFA » remarque le sénateur (UC) de Haute-Savoie, Loïc Hervé, également membre du collège de la Commission nationale de l’informatique et libertés (CNIL).
Dans ce climat peu propice à la coopération, « serez-vous prêts pour le 11 mai » a lancé le président LR de la commission des Lois Philippe Bas au ministre. « Si Apple nous lève ses restrictions, oui je pense » a répondu Cédric O. « Dans le cas contraire, je n’en suis pas certain » a-t-il conclu.