Peut-être d'abord un mot de votre discipline. De façon très simple, les neurosciences cognitives cela consiste en quoi ?
Les neurosciences cognitives, pour faire simple, c'est l'étude fonctionnelle du cerveau, c'est-à-dire un lieu d'étude. Il y a plusieurs types de neurosciences. Les neurosciences fondamentales qui étudient vraiment les nerfs, les synapses. Il y a les neurosciences computationnelles. Les neurosciences cognitives s’intéressent à la manière dont le cerveau fonctionne d'un point de vue fonctionnel. C'est-à-dire comment est-ce que je perçois le monde ? Comment se forme une opinion ? Comment est-ce que je ressens une émotion ? Quel est le lien entre le sommeil et l'irritabilité? C'est vraiment la fonctionnalité du cerveau.
Justement, « comment est-ce que je perçois le monde ? » Vous dites qu’on ne voit pas le monde tel qu'il est, mais plutôt tel que nous sommes. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Cela ne veut pas dire que le réel n'est pas important mais le réel a des marges d'ambiguïté, d'incertitude. Par exemple, avec la Covid, l'incertitude est beaucoup plus grande. Si maintenant je me lève et je pars, la situation est un peu moins ambiguë. Plus une situation est ambiguë et plus on peut l'interpréter selon nos a priori, selon soi-même. On peut dire qu'on voit le monde pas tel qu'il est, mais plutôt tel que nous sommes.
Et je rajouterai que c’est dépendant de combien la situation est ambiguë ou incertaine, en sachant que beaucoup de situations sont beaucoup plus ambiguës que ce que l'on croit.
En gros, on est toujours en train de reconstruire le monde, on est toujours en train de l'interpréter avec notre cerveau et qui nous sommes ?
Absolument et j'irais même plus loin, on n'est jamais en train de percevoir le monde tel qu'il est. On est tout le temps en train de le reconstruire. Il y a tout le temps cette barrière, c'est de là que vient la fameuse citation « la carte n'est pas le territoire ». On est tout le temps en train de créer des représentations. Par exemple, maintenant, je vous regarde et je vous vois avec mon cerveau. Les photons de lumière rebondissent sur votre peau, touche ma rétine, passe par le nerf optique, dans le cortex et l'image est créée.
Du coup, il y a tout le temps cette distance qu'on ne peut pas réduire entre le monde réel et ma représentation avec les sciences, etc…
On va parler ensemble de la pandémie de Covid et de la question des fake news, c'est un sujet sur lequel vous avez beaucoup travaillé. Cette pandémie de Covid a été synonyme de très nombreuses fake news. Déjà, avant la pandémie, vous disiez que les fake news marchaient très bien dans le domaine de la santé. Pourquoi ?
Il y a deux pans majeurs des fake news, il y a les fake news politiques et il y a les fake news de la santé. Ils ont des motivations un peu différentes mais parfois se recoupent. Les fake news politiques sont souvent là soit pour la manipulation de l'opinion publique, soit pour faire basculer une élection, soit pour proposer un nouvel agenda. Et dans la santé, il y a le côté un peu politique, mais aussi le côté business. C'est très lucratif d'inventer des remèdes miracles pour tout et n'importe quoi.
Il y a des sites web entiers où on ne trouve que des choses qui ne sont pas vraies mais qui ramènent du clic. Ça peut être des vieilles recettes de grand-mère, ça peut être des choses complètement farfelues, ça peut être de la médecine quantique où on va mettre des mots un peu scientistes pour faire sérieux parce que ça ramène du clic et de l'argent. Il y a vraiment des motivations économiques. Et parfois, comme pour la Covid, les deux peuvent s’inter-sectionner. On peut retrouver des motivations soit financières, soit de popularité, avec des pans plus politiques parce que la Covid est très vite devenue un sujet très polarisé politiquement.
D'ailleurs, parmi les sujets qui croisent politique et santé, il y a un évènement qui a beaucoup marqué la pandémie, c'est le diagnostic positif de Donald Trump à la Covid. Le président des États-Unis a été infecté en pleine campagne, on l’a vu sortir de l'hôpital, hier, en voiture. Est-ce que la Covid plus Donald Trump c'est le croisement de deux sujets qui vont intrinsèquement alimenter les théories du complot ?
Oui mais pas parce que Donald Trump l'a eue. En fait, la semaine passée, une étude est sortie qui dit que le vecteur numéro un de fake news sur la Covid, c'est Donald Trump. En sachant que Donald Trump est un peu particulier dans son rapport à la communication avec son peuple. Avant cela, on n'avait jamais vu un président qui tweete autant, qui discute autant, directement, avec les gens sans passer ni par ses conseillers, ni par les médias mais par les réseaux sociaux.
Oui, les infox passent beaucoup par les réseaux sociaux, c’est là qu’on voit le lien aussi ?
C'est effectivement plus simple sur les réseaux sociaux même si les infos existent depuis Cléopâtre, maintenant ça se répand beaucoup plus rapidement mais ce n'est pas un phénomène nouveau. Aussi le terme fake news, c'est Donald Trump qui l'a popularisé. A la base, il utilise les fake news, pas dans un souci de fact checking mais dans un souci de défense politique. C'est-à-dire que dès quelque chose ne lui plaît pas, il dit « You are fake news » (vous êtes des fausses nouvelles). C'est un grand vecteur parce que Donald Trump a cette particularité de communication où, effectivement, la vérité n’est pas très importante pour lui. D’où cette étude qui a montré que Donald Trump est un des plus grands vecteurs de fake news sur la Covid.
Est-ce que ça ne s'explique pas aussi par le caractère très clivant de Donald Trump ? Les pro-Trump vont partager des tweets affirmant que, par exemple, les démocrates l'ont infecté intentionnellement. On a vu des milliers de tweets là-dessus. Et inversement, les anti Trump peuvent être convaincus qu'il dissimule son véritable état de santé.
Là, on revient à votre première question sur le fait qu’on ne voit pas le monde tel qu'il est mais plutôt tel que nous sommes. Il y a une situation dans laquelle on retrouve une ambiguïté. Un président qui est supposé être très protégé déclare qu'il a un diagnostic positif au Covid. Cette information est très ambiguë. Comment a-t-il été infecté ? Comment est-ce qu'il va ? Qu'est-ce qu’il s'est passé ?
Et du coup, on va voir le monde plutôt tel que nous sommes. Donc, si je suis Républicain, je vais projeter mes a priori, mes opinions sur cela et me dire que c'est impossible que mon héros, Trump, a la Covid. Lui qui deux jours avant, se moquait des gens qui avaient la Covid, il se moquait aussi de Joe Biden lors du débat en lui reprochant de porter tout le temps des masques alors que, selon lui, ça ne sert à rien.
Si, moi, je suis Républicain et que mon candidat dit qu’il ne va jamais avoir la Covid et que, finalement, il l’a, il faut que je rationalise. Donc je vais me dire que ce sont les démocrates qui lui ont transmis le virus. Et si je suis démocrate, anti Trump, je vais me dire « rira bien qui rira le dernier » et être persuadé qu'il va moins bien que ce qu'il dit, parce qu'il veut se protéger.
C'est là où on retrouve cette formulation : plus une situation est incertaine ou ambiguë, plus on a tendance à mettre de soi pour interpréter le réel au lieu de voir le réel d'une manière plus stable.
On a parlé de la Covid à l'international, c'est aussi une situation française. Le Sénat, d'ailleurs, planche en ce moment sur la pandémie avec une commission d'enquête qui travaille sur la Covid 19. Cette commission d'enquête a été l'occasion de s'intéresser à toute la communication qu'il y a eu autour de cette crise et les sénateurs ont par exemple auditionné Sibeth Ndiaye, l'ex porte-parole du gouvernement. Pour elle, l'un des problèmes est l'acculturation scientifique des Français, ce sont des mots qui ont beaucoup fait réagir. Est-ce que, pour vous, le manque de culture scientifique des Français est vraiment ce qui a posé problème ?
Alors, je pense que c'est très facile de tomber dans ce qu'on appelle le piège de la cause unique, de faire porter la responsabilité d'une situation très complexe, très incertaine à une seule cause. Et donc je ne suis absolument pas d'accord avec cette notion de dire que cela retombe sur les épaules des citoyens. Et encore, si c'était le cas, c'est la responsabilité du gouvernement de s'assurer que l'éducation fonctionne bien, il fallait s'occuper de l'Éducation nationale, peut-être un peu mieux, si c'était le cas.
Souvent dans des situations systémiques, comme celle-là, il y a une responsabilité individuelle des citoyens, une responsabilité politique des gouvernants, sur la manière dont ils communiquent et il y a des responsabilités qui sont plus systémiques. Et pour moi, c'est un combat très important de faire attention à cette sur responsabilisation des individus et à une invisibilisation du système. Par exemple, maintenant, on est à Paris, on est en train de remettre en place des restrictions sanitaires, on est encore en train de responsabiliser les individus.
Avant de rentrer sur le plateau, j'ai entendu que le but était de désengorger les hôpitaux mais on aurait pu faire comme l'Italie, qui a une réponse systémique, et augmenter le nombre de lits en réanimation pendant les deux mois d'accalmie qu'on a vu pendant l'été. Ca c’est une responsabilité systémique dont on ne parle pas et on va dire : « Regardez, les gens ne respectent pas les gestes barrières ».
Il faut tout le temps questionner la part de responsabilité de l'individu. Mais il faut qu'il y ait un travail des deux côtés où le système remplit son rôle, s'assure qu'il va augmenter les lits en réanimation, recruter plus de personnels, aider le corps soignant, etc.
Et c'est très dangereux quand on responsabilise un camp et pas l'autre. C'est très important de ne pas tomber dans cette cause unique.
Vous parlez d'un camp et de l'autre. Il y a un homme qui, dans cette crise, a bien fait qu'il y a eu un camp contre un autre, c'est le professeur Didier Raoult avec ses aficionados et ses détracteurs. Qu'est-ce que vous pensez de ce phénomène ? Comment expliquer qu'il y ait eu une focalisation sur une personne et des camps qui peuvent s'affronter de façon aussi violente ?
On revient au même principe, c'est une sorte de grille de lecture, de l'incertitude, de l'ambiguïté. On a un nouveau virus qui arrive, on ne sait pas grand-chose. Du coup, on a énormément d'incertitudes donc on peut mettre de soi. Et il y a des personnes, comme le professeur Raoult, je ne suis pas infectiologue, donc je ne vais pas commenter le fond de l'affaire mais sur un point de vue de formation d'opinions et de raisonnement critique.
Il y a une personne qui vient et dit « Moi, j'ai la solution et j'en suis certain ». D'autres personnes qui disent « Non ». Automatiquement, on va créer ce clivage, ce n’est pas une sorte d'incertitude qui est exprimée. Il y a quelqu'un qui dit « c'est ça » et les autres qui disent « ce n'est pas ça ». Dans le discours du professeur Raoult, dès le début, c'est très clivant, même quand il lui change d'avis.
Au début, il disait que la Covid n'était pas importante, il en était sûr. Puis il a trouvé un traitement dont il était sûr. Moi, ce qui m'intéresse dans mon métier, c'est l'expression de l'incertitude et la gestion de l'incertitude dans le débat public. Indépendamment de si son traitement fonctionne ou pas, c'est l'expression de la certitude qui importe.
Quand on a des camps qui expriment une certitude, automatiquement, elles vont se polariser parce qu'au bout d'un moment le camp d'en face dit aussi avec certitude que son protocole ne marche pas.
C’est étonnant qu’il y ait eu un positionnement de toute une partie de la population française qui n'a quand même, sur le fond, pas vraiment la connaissance de tout cela.
C'est parce que les Français qui se mettent dans un camp ou dans un autre ne positionnent pas par rapport au traitement mais sur ce que ça représente. Il faut se dire que Didier Raoult ne vient pas seulement avec son traitement mais aussi avec une posture anti-système, une posture contre les élites, une posture de Marseille contre Paris.
C'est un peu une figure anti-système alors que ce n’est pas vrai puisqu’il dirige un IHU. Mais du coup, si moi je suis un citoyen qui a des a priori, qui ne fait pas confiance au gouvernement, ou bien aux labos pharmaceutiques, je me retrouvais dedans, mais ça n'a rien à voir avec le traitement.
Le traitement, c'est vraiment la dernière chose qui va faire que quelqu'un se positionne. Parce que, comme vous dites, on est incapable, si on n'a pas fait des études de virologie, de savoir se positionner sur ce sujet. Mais je peux me positionner, selon mes a priori, selon ce que ça représente et c'est là où ça va se polariser.
Un mot sur le traitement médiatique de la Covid. Vous dites qu'un véritable expert va souvent avoir moins confiance dans son opinion qu'un non expert. Est-ce que c'est problématique pour les médias, justement, qui recherchent souvent des experts avec des avis très tranchés pour des débats contradictoires ? Est-ce que c'est aussi cette recherche de débat contradictoire dans les médias qui fait qu'on peut aller rechercher plus facilement des non experts ?
Alors ça, c'est vous qui vous pouvez me le dire. Par contre, moi, ce que je peux dire, c'est que je pense que ça vient aussi d'une vision dépassée des humains où on croit, à cause d'une vision un peu paternaliste, que les gens ont besoin d'être rassurés, que les gens ne supportent pas l'incertitude, que les gens n'aiment pas qu'on leur dise qu'on ne sait pas. Mais ce n'est pas vrai.
Nous, quand on regarde dans nos recherches, quand on prend des gens et qu’on fait des expériences pour voir comment est-ce qu'on supporte l'incertitude, on voit que les gens, si on leur explique pourquoi on est incertain, ça marche relativement bien. Est-ce que ça, ça fait plus ou moins d'audimat ? Je ne m'y connais pas, ce n'est pas mon sujet d'expertise.
Mais il y a cette fausse croyance qui est très présente, en tout cas dans la société française, que ce soit chez les politiques, chez les médias, de se dire qu’il faut donner une réponse à tout. Alors que ce n'est pas vrai.
Il y a eu beaucoup de fausses réponses qui ont été diffusées pendant toute cette crise, alors pour contrer ce problème, le gouvernement prévoit la création d'une Maison des sciences et des médias. C'est ce qu'il prévoit dans le projet de loi sur la recherche qui va être examiné bientôt au Sénat. L'objectif, c'est de permettre de mieux faire connaître, mieux diffuser la production scientifique auprès de tous.
C'est un projet qui est déjà très critiqué par certains, notamment par Yves Sciama, qui est le président de l'Association des journalistes scientifiques. Qu'est-ce que vous pensez de la réponse d'Yves Sciama quand il dit que ça serait une culture officielle qui n'est pas sans risque ?
Je suis complètement d'accord avec ce qu'il dit. Je pense que c'est une des choses les plus dangereuses. Tout comme on a une fausse conception qui veut que les gens aient besoin d'être rassurés, on a une fausse conception qui veut que la science soit objective, qu’elle donne des réponses. Ce n'est pas vrai. En science, toute mesure a une mesure d'incertitude. Il y a un proverbe que j'aime beaucoup qui dit « Une mesure sans mesure d'incertitude, est une mesure irresponsable ».
On a tout le temps des degrés d'incertitude. La science, c'est quelque chose qui est une méthode où on a nos idéologies, on a notre subjectivité. Un chercheur a sa subjectivité sur les questions qu'il pose. C'est quelque chose qui est hautement idéologique et hautement politique et prétendre que la science est quelque chose d'objectif, de monolithique, c'est une posture idéologique qui prend en hold-up la science. Moi, en tout cas, je me bats contre cette vision dépolitisée, apolitique, objective de la science qui n'est pas vraie.
Je pense que créer un comité, comme celui qui est proposé, c'est profondément contre ce que la science devrait être.
Pour conclure cet entretien, on va s'éloigner un peu de ces sujets, qui sont au cœur de l'actualité, pour s'intéresser à l'application des découvertes en sciences cognitives dans le domaine de l'éducation. Certains établissements scolaires mettent les sciences cognitives au service des apprentissages. Qu'est-ce que vous inspire ce type d'expérience ? Il y a quelque cent mille élèves qui sont concernés par ce type de classes. Est-ce que pour vous, il faudrait les généraliser ?
Je pense qu'on a besoin de créer un Centre national de la recherche des sciences de l'Éducation. On a un centre national de recherche scientifique mais c'est très important qu'on crée un centre de recherche sur les sciences de l'Éducation parce qu'effectivement on ne peut pas continuer à faire en sorte que l'Éducation soit en grande partie de la mémorisation et de la restitution.
On a besoin d'apprendre à apprendre, d'apprendre comment intégrer les connaissances au lieu, par exemple, d'apprendre la physique, la chimie et les maths de façons séparées.
Si j’apprends à un enfant le théorème de Pythagore. L'enfant voit ça et se demande comment ça va lui servir dans le futur. On peut par exemple se dire qu’on va apprendre comment fonctionne une balançoire. Dans la balançoire il y a des triangles, il y a le théorème de Pythagore.
Il y a une fondation « La main à la pâte », elle est dirigée par Elena Pasquinelli, qui a publié des manuels pour les professeurs sur la manière dont ils peuvent utiliser les sciences cognitives. Mais je pense qu'on a aussi un besoin pressant de créer des centres de recherche sur les sciences de l'éducation en France, de ne pas juste importer ce qui se fait aux États-Unis ou au Canada. Pour moi, l’éducation est le socle le plus important d'une société.
Comment se situe la France en matière d'innovation pédagogique, pour vous ? Puisque, vous le dites, on importe beaucoup du monde anglo-saxon, on a du mal à créer nos propres modèles d'innovation.
On a du mal à créer des financements pour la recherche en France. On a besoin de plus de moyens. On a besoin d'arrêter de croire que l'Occident c'est une seule entité et que ce qui marche aux États-Unis ou dans les pays anglo-saxons peut automatiquement être appliqué en France. On a besoin de les répliquer, on a besoin de s'assurer des différences culturelles qui existent, même intra région, en France.
Et tout ça nécessite vraiment un centre national en bonne et due forme sur les sciences de l'Éducation, qui sont encore une fois pour moi le socle le plus important d'une société.
Vous pensez qu’il n'y a pas assez d'investissements aujourd'hui dans la recherche française. Ce projet de loi Recherche présenté par le gouvernement estime prévoir un grand plan sur une dizaine d'années. Vous y croyez ?
Peut-être que ça va changer. Je ne peux pas savoir ce qu’il va se passer. Mais jusque-là, non, il n'y a pas assez de financements. Si je parle seulement des salaires, il faut savoir qu’un chercheur est payé beaucoup moins en France, au CNRS, qu'il serait payé ailleurs. On passe beaucoup de temps à remplir des demandes de financement, plein de formulaires avec plein de sigles et on n’a moins de temps pour faire nos recherches.
Il y a beaucoup de problématiques, là aussi structurelles, qui font qu'un chercheur passe une grande partie de son temps à faire autre chose que sa recherche. C'est un peu dommage et il y a beaucoup de choses à faire, il y a les sciences de l'Éducation qui sont en pleine expansion et il ne faut surtout pas que cela relève seulement du privé. Parce qu'à nouveau, on va retomber dans les mêmes problématiques que Facebook, Twitter, etc.
Il y a des énormes laboratoires de recherche aujourd'hui, qui s'ouvrent sur l'intelligence artificielle, chez Facebook, Microsoft, Apple pour l'éducation, etc. Quel est le danger, pour vous, à ce que les GAFAM commencent à soutenir à ce point la recherche ?
Pour moi, un pays développé, c'est un pays qui peut éduquer, soigner et héberger ses citoyens. Sinon ça ne veut rien dire. Un pays développé, ce n'est pas juste un marqueur économique. Quand c'est le privé qui commence à s'occuper de ses missions régaliennes, il y a un problème et on est en train de se diriger de plus en plus vers cela.
Là, par exemple, j'ai des étudiants qui veulent faire des thèses et malheureusement une grande partie est obligée d'aller trouver des bourses publiques privées avec des entreprises qui vont leur dire « on vous finance votre recherche, mais en même temps vous devez faire une recherche pour nous ». Ce qui n'est pas un problème, ce sont les proportions du financement entre le public et le privé qui sont problématiques.
C'est très difficile de trouver une bourse de thèse, aujourd'hui. C'est une angoisse énorme pour les étudiants en master. À tel point qu'une grande partie ne veut pas faire de thèse parce qu'ils n'ont pas la chance de trouver des financements. Et c'est dommage parce que c'est important. On connaît une recherche fondamentale très forte, pas juste des recherches appliquées, alors que le privé s'intéresse à la recherche appliquée.
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