Affaire Griveaux : est-il nécessaire d’adapter le cadre législatif ?

Affaire Griveaux : est-il nécessaire d’adapter le cadre législatif ?

Après le retrait de Benjamin Griveaux, provoqué par la diffusion de vidéos à caractère sexuel, heurtant sa vie privée, plusieurs responsables demandent à durcir ou faire évoluer la législation. Dans les faits, l’arsenal législatif existe déjà.
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« Tout sujet d’un 20 heures est virtuellement une loi », se plaisait à dire le constitutionnaliste Guy Carcassonne. Le cas de Benjamin Griveaux, retiré de la course à la mairie de Paris, après la diffusion sur Internet de vidéos intimes, ne fait pas exception. Cette atteinte à la vie privée, en pleine campagne électorale, a été accueillie avec stupéfaction chez les responsables politiques. Les « dérives » des réseaux sociaux et la mise en cause de « l’anonymat » ont été montrées du doigt. Et quelques parlementaires ont appelé à « renforcer » le cadre législatif de la protection de la vie privée.

« Je fais confiance à mes collègues pour que l’on porte une proposition de loi le plus rapidement possible », expliquait samedi sur Europe 1 le député (La République en marche) Sylvain Maillard. On ignore quel pourrait être son objet mais l’idée semble être bien sur les rails. Le député de Paris a précisé à Public Sénat qu’à ce stade, la proposition de loi n’était « pas encore finalisée ».

La condamnation très ferme de Gérard Larcher est passée moins inaperçue. « Il est grand temps de réguler les torrents de boue qui se déversent sur les réseaux sociaux. La liberté d’expression doit s’arrêter aux frontières de la vie privée que chaque citoyen est en droit d’exiger », s’est exprimé sur Twitter le président LR du Sénat.

Un délit puni par la loi depuis 2016

S’agissant du cas précis de Benjamin Griveaux, et de la diffusion de vidéos à caractère sexuel, l’arsenal législatif est déjà en place. La loi Axelle Lemaire, « pour une République numérique », du 7 octobre 2016 est venue combler un vide juridique en pénalisant la pratique du « revenge porn ». Selon l’article 226-2-1 du Code pénal, il est interdit de diffuser des images qui présentent un caractère sexuel sans le consentement de la personne concernée, même si les enregistrements ont été obtenus avec son consentement ou avec sa participation. Le délit est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 60.000 euros d’amende.

L’anonymat, un faux problème ?

Les vidéos attribuées à Benjamin Griveaux, ont été hébergées sur un site internet : la mise en ligne a été revendiquée par l’activiste russe Piotr Pavlenski. Mais c’est bien par l’intermédiaire des réseaux sociaux que lien a été relayé. Certains comptes influents, bien identifiés, comme le député (ex-LREM) Joachim Son-Forget ou l’essayiste Laurent Alexandre, ont contribué à accélérer le processus. Cette réalité n’a pas empêché de relancer le débat sur l’identité des utilisateurs des réseaux sociaux. « L’anonymat est une honte. Le premier des courages est de signer, d’assumer ce que l’on dit », s’est indigné dans le JDD le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand.

Là encore, l’utilisation de pseudonymes ne marque pas une forme d’impunité pour les utilisateurs. Selon la loi du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique, « l'autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires » des « données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ». Roseline Letteron, professeur de droit public à l'université Paris-Sorbonne, rappelle ainsi sur son blog, que le 24 janvier 2013, le juge des référés du tribunal de Paris a ordonné à Twitter de communiquer les données permettant d’identifier les comptes ayant diffusé des messages au contenu antisémite. Du côté du gouvernement, le secrétaire d’État chargé du Numérique, Cédric O, a clairement fermé la porte à toute action visant à restreindre l’anonymat, « un mauvais combat, dangereux et probablement vain », selon lui.

Proposition de loi Avia : le Sénat pourrait rester sur sa ligne

L’affaire Griveaux redonne également un coup de projecteur à la proposition de loi de la députée Laetitia Avia, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. À neuf jours de son retour au Sénat pour une deuxième lecture dans l’hémicycle, son auteur s’est dite « surprise » par les propos de Gérard Larcher réclamant une régulation des réseaux sociaux. En décembre, au Sénat, la proposition de loi avait été, en partie, vidée de sa substance : les sénateurs avaient supprimé l’obligation pour les plateformes type Facebook ou Twitter de retirer en 24 heures les contenus illicites. Après un nouveau passage à l’Assemblée nationale, le Sénat a restauré ses corrections.

Membre de la commission des Lois du Sénat, le sénateur centriste Loïc Hervé est convaincu qu’une telle mesure fait peser des risques sur les libertés publiques. « Cette proposition de loi apporte une mauvaise réponse à une bonne question […] Elle donnerait aux plateformes, opérateurs privés, la possibilité de l’autoréguler. C’est donc un vrai risque pour la liberté d’expression. »

Comment une justice engorgée peut-elle répondre plus rapidement ?

Le parlementaire de Haute-Savoie reconnaît toutefois qu’il convient d’apporter des réponses après l’évènement de la semaine dernière. « Jamais la société n’a été aussi libérale et permissive en matière de mœurs et on demanderait aux élus de vivre de façon quasi-puritaine. Je ne vois pas pourquoi on demanderait aux élus de vivre de manière différente. » Le sénateur demande que les élus puissent « avoir les mêmes garanties que les citoyens », avec une régulation qui se ferait « avec l’intervention du juge, de manière plus rapide. »

Sur Twitter, plusieurs avocats ont rappelé que le fond du problème n’était pas des manques dans l’arsenal juridique, mais bien une question d’application des lois. « Le législateur français est le premier responsable de tout cela, en maintenant la Justice dans un état structurel d’indigence », a ainsi déploré l’avocat Alexandre Archambault. La question des moyens est mise en cause. Pour faciliter la célérité de la réponse judiciaire, la proposition de loi Avia entend créer une juridiction spécialisée dédiée à ce type d’affaires : le parquet numérique spécialisé.

Ce lundi, le secrétaire d’État au numérique admet que « nous devons mettre à jour nos processus judiciaires » pour réagir plus rapidement. Défendant l’idée d’une « supervision » et d’un « contrôle systémique » des plateformes numériques, Cédric O imagine une solution à l’échelle européenne.

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