Cela ressemble au combat des anciens contre les modernes: alors que les jeunes cadres d'EELV ont dit jeudi leur regret de ne pas avoir dénoncé le comportement de Denis Baupin, les pionniers ont vanté un parti féministe qui n'aurait "jamais couvert" une agression.
Deux femmes, anciennes ministres écologistes, autrefois amies, dignes et meurtries, sont venues dire leur vérité: Cécile Duflot, qui a accusé pour la première fois publiquement Denis Baupin de l'avoir agressée, et Emmanuelle Cosse, qui a défendu un mari "séducteur" mais "en aucun cas un agresseur et un harceleur".
L'absence de Denis Baupin est regrettée dans les deux camps. L'ancien vice-président de l'Assemblée nationale, qui a toujours nié les allégations le concernant et n'a jamais été poursuivi du fait de la prescription, a attaqué en diffamation Mediapart et France Inter pour avoir publié des accusations d'agression sexuelle et de harcèlement de plusieurs femmes, notamment au sein du parti EELV.
Les jeunes cadres ont tous "eu vent des rumeurs" ou reçu les confidences de femmes "brisées", mais aucun n'a parlé. Ils oscillent aujourd'hui, comme l'a dit Julien Bayou, 38 ans, porte-parole d'EELV depuis 2013, entre la "honte" d'avoir échoué à protéger les plus fragiles et la "reconnaissance" envers "celles qui ont eu le courage de parler".
La voix pleine de sanglots contenus, Cécile Duflot a raconté cette soirée de mai 2008 à Sao Paulo où, alors secrétaire nationale des Verts à 33 ans, elle était venue en délégation avec Denis Baupin, alors adjoint au maire de Paris, pour un congrès mondial des écologistes.
Après une journée de travail, elle avait regagné sa chambre d'hôtel "très fatiguée" - sa dernière fille avait à peine deux mois. "Je tire mon lait, parce que je ne veux pas arrêter d'allaiter ma fille, quand je reçois un SMS de Denis Baupin qui me demande mon numéro de chambre parce qu'il a un truc à me dire".
"Sans lâcher mon tire-lait, je lui réponds. Dix secondes plus tard, il est à ma porte. Il me dit: +Je savais que tu en avais autant envie que moi+. Il a posé la main sur mon cou. Je lui ai dit +Ça va pas, arrête!+. Il essaie de mettre son pied pour coincer la porte, je lui ai donné un coup de pied au tibia (...), j'ai claqué la porte", a-t-elle relaté.
- "Complaisants avec la violence" -
Après cet épisode, elle ne dit rien, ne porte pas plainte. Elle ne veut pas être accusée d'instrumentalisation politique alors que Denis Baupin est son adversaire en interne.
Toute cela est impensable pour Emmanuelle Cosse. Evoquant des négociations avec le PS en 2011, l'année où l'ex-porte-parole Sandrine Rousseau dit avoir été agressée, elle affirme: "Ni Cécile Duflot, ni Jean-Vincent Placé (alors à la tête du parti) n'aurait confié la responsabilité de négociations vitales pour notre parti à quelqu'un de déviant, de fragile, qui aurait commis des actes répréhensibles".
Cécile Duflot a émis une hypothèse: le clivage, dans un parti féministe et libertaire, entre la génération de Dominique Voynet qui l'a précédée et la sienne, "intermédiaire", juste avant #MeToo. "Finalement, on était très complaisants avec la violence."
Son ancien bras droit, Stéphane Sitbon (31 ans), va plus loin: "On savait tous et on savait presque tout". "On se retranchait derrière deux excuses: la première était juridique - tant qu'elles ne portent pas plainte, on ne peut rien faire -, la deuxième politique: on est un parti féministe, on se disait qu'on était meilleur que les autres", dit-il.
La génération de la "gauche plurielle" supporte mal ce droit d'inventaire.
Citée par le plaignant, Dominique Voynet, 60 ans, ne veut "pas remettre en cause la parole des femmes" mais est catégorique: "On avait une tolérance assez forte pour les moeurs libertaires, mais en aucun cas concernant la contrainte". Elle, ministre de 1997 à 2001, n'a "jamais entendu de plaintes" concernant Denis Baupin. Tout comme Jean-Luc Bennahmias (64 ans), qui n'aurait "jamais assumé une omerta".
"Peut-être que Denis Baupin a commis des gestes déplacés mais est-ce que cela valait cette mort sociale? Il aurait violé des personnes handicapées et sans défense ça n'aurait pas été plus grave dans les médias", finit par dire Mme Voynet, suscitant des murmures atterrés dans les rangs des prévenues.