A l’aube d’une 3e semaine, majorité comme oppositions au piège des retraites
Vers une troisième semaine avec toujours 30.000 amendements au menu: l'examen de la réforme des retraites progresse péniblement à l'Assemblée,...
Par Anne Pascale REBOUL
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Vers une troisième semaine avec toujours 30.000 amendements au menu: l'examen de la réforme des retraites progresse péniblement à l'Assemblée, entre une obstruction désormais plus feutrée des oppositions et une majorité crispée, en attendant un dénouement par un possible 49-3.
Sur fond d'arguments répétés à l'envi de part et d'autre et de fatigue, les députés s'apprêtent à siéger pour un deuxième week-end consécutif. A la mi-journée vendredi, ils en étaient au 6e article sur les 65 du projet de loi, avec la perspective de devoir débattre encore quelque 600 heures, au rythme actuel de 50 amendements à l'heure...
C'est "assez fatigant d'écouter la répétition", a lancé dans l'hémicycle Jean-Paul Mattei (MoDem) en ce douzième jour. Mais les réponses de la majorité comme du secrétaire d'Etat Laurent Pietraszewski ne sont "pas probantes", a rétorqué Hervé Saulignac (PS), alors que les retraites des fonctionnaires étaient en discussion.
Les Républicains continuent pour leur part à pointer le "problème énorme" d'un texte sans le volet financement, qui est suspendu à la conférence avec les partenaires sociaux.
Le secrétaire d'Etat aux retraites Laurent Pietraszewski au cours de l'examen à l'Assemblée de la réforme des retraites le 24 février 2020
AFP/Archives
S'opposant jeudi soir à une nouvelle "manoeuvre dilatoire" - une demande de commission spéciale des communistes -, le chef de file des députés LREM Gilles Le Gendre a étrillé "toutes les nuances de l'obstruction": de la "belliqueuse" des débuts "à l’obstruction sémantique et typographique, celle des points-virgules et des changements de qualificatifs", jusqu'à "l’obstruction honteuse" et "masquée".
De fait, l'heure est moins aux coups d'éclat qu'aux questions de fond. Mais "on rentre peu dans le débat, et toujours de manière décousue et déconstruite", déplore encore la "marcheuse" Marie Lebec.
Lassée par une "litanie" d'amendements "sans aucun intérêt" des insoumis et communistes, la majorité a même déserté l'hémicycle pendant une trentaine de minutes mardi en fin de soirée. L'épisode pourra se reproduire en cas de "harcèlement" répété, a averti le rapporteur général Guillaume Gouffier-Cha (LREM).
- "On navigue à vue" -
Le très relatif apaisement et l'avancée dans les amendements ont fait reculer la perspective du 49-3, cette arme que le Premier ministre Edouard Philippe est prêt à utiliser pour tenir "l'engagement" d'instaurer le système universel par points.
L'article 49 alinéa 3 de la Constitution permet au gouvernement d'engager sa responsabilité sur un texte de loi et de le faire passer sans vote, sauf si l'Assemblée adopte une motion de censure.
"Lorsqu'il faut prendre ses responsabilités, je le fais sans hésiter", a affirmé en début de semaine le chef du gouvernement, alors que de nombreux députés de la majorité se félicitaient de cette position d'attente.
Le 49-3 est plus souvent utilisé en cas d'étroitesse de la majorité que pour interrompre les débats. Le groupe LREM "est en cours de dislocation" et "ils ont besoin du 49-3 pour pouvoir le masquer", a estimé vendredi Adrien Quatennens (LFI) à Cnews.
Mais il n'y a eu aucun accident de vote jusqu'alors et la majorité soudée fait front. Un 49-3 ne serait pas un acte de "défiance" à son égard, assure à l'AFP la porte-parole de LREM Aurore Bergé, qui va même "demander" d'y recourir. "Pour aller au bout du texte il faudrait plusieurs mois, cela veut dire ne pas voter la PMA pour toutes, la dépendance en fin d'année etc", appuie-t-elle.
Mais alors que le coronavirus est devenu la priorité numéro un pour le gouvernement, avec même un député contraint à rester chez lui pour cause de séjour en Chine, quand tirer le 49-3? "Difficile d'anticiper, on navigue à vue", selon une source gouvernementale.
La réforme des retraites est à l'ordre du jour au Palais Bourbon jusqu'au 6 mars, mais il est possible d'empiéter sur la trêve de 15 jours prévue pour les municipales, voire déborder après.
Attention à ce que les résultats des scrutins locaux, s'ils sont mauvais, ne soient pas analysés au prisme du 49-3, donc "imputables au gouvernement et à la majorité", met en garde une source parlementaire LREM.
Un vieux routier renchérit: "c'est une arme qui se retourne toujours sur celui qui l'utilise".
Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.
Alors que le premier ministre a demandé aux partis de se positionner par rapport à l’exécutif selon trois choix, les partis de gauche ne souhaitent pas rentrer pas dans le jeu de François Bayrou. Ils attendent des signaux qui pourraient les amener à ne pas censurer. Mais ils ne les voient toujours pas…
C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».
Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.