Bioéthique : le Sénat adopte le projet de loi sans la PMA, dans un climat de grande confusion

Bioéthique : le Sénat adopte le projet de loi sans la PMA, dans un climat de grande confusion

Le Sénat a adopté hier le projet de loi bioéthique tout en rejetant l’article 1 portant sur l’ouverture de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes seules. Alors que cet article devait être réexaminé, la droite et la gauche se renvoient la responsabilité de cet échec.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

Rien ne s’est passé comme prévu. Le projet de loi bioéthique a été adopté hier au Sénat au terme de débats tendus et de cafouillages apparents. L’article 1 sur la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes, rejeté mardi soir dans un climat de confusion, devait faire l’objet d’une nouvelle délibération… Il n’en fut rien, la droite et la gauche se renvoyant la responsabilité de cet échec.

Lors de sa conférence de presse, ce jeudi, le président du Sénat, Gérard Larcher, a regretté « que le Sénat ait laissé passer la chance d’améliorer le texte. Le texte était équilibré. Et là, c’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot ».

« Hier, c’était le chaos dans l’hémicycle et ce soir, c’est le naufrage », résume, de son point de vue, le sénateur socialiste, Bernard Jomier pour qui le texte a été vidé de son contenu. « Vous nous avez laissé croire qu’il y aurait une seconde délibération sur l’article premier et elle n’aura pas lieu […] la PMA n’est pas ouverte à toutes les femmes. C’est un gâchis ! »

Les tensions se sont, en effet, cristallisées autour de l’ouverture de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes seules, une promesse de campagne portée successivement par François Hollande et Emmanuel Macron mais toujours pas réalisée à ce jour. L’article 1 sur la PMA a buté à plusieurs reprises dans l’hémicycle. Contre l’avis de la commission spéciale, les sénateurs ont d’abord adopté un amendement du sénateur LR Dominique de Legge excluant les femmes seules de l’ouverture à la PMA, la limitant donc aux couples de femmes.

Mais c’est surtout le vote inattendu de l’amendement du sénateur Daniel Chasseing (Les Indépendants) ouvrant la voie à la PMA post-mortem qui a mis le feu aux poudres. Quelques instants plus tôt, la majorité de droite et du centre avait pourtant rejeté un amendement similaire. « Juste avant le dîner, le président de séance nous a fait voter à la va-vite : nous avions eu un scrutin public et pensions que la séance allait être suspendue juste après. Mais le président a mis aux voix un amendement de Mme Benbassa puis celui de M. Chasseing, qui a été adopté alors que la moitié de nos collègues étaient sortis de l’hémicycle ! », relate la sénatrice LR, Catherine Deroche pour expliquer ce couac.

Après une suspension de séance, les sénateurs ont finalement rejeté l’article 1 dans son entier. « Je voudrais vous annoncer qu’en application de l’article 43 alinéa du règlement du Sénat, la commission demandera que l’article 1er lui soit renvoyé pour une seconde délibération », a alors déclaré le président de la commission spéciale, Alain Milon. Le gouvernement s’est associé à cette demande pour une seconde délibération (voir la vidéo ci-dessus).

On attendait donc la seconde délibération qui devait obligatoirement avoir lieu avant la fin de l’examen du texte mais mercredi nouveau coup de théâtre, la commission spéciale ne s’est finalement pas réunie pour décider une nouvelle délibération de l’article 1. La rapporteure du texte, Muriel Jourda (LR), l’explique par des questions de procédure : « Tout le monde a fait les choses dans l’urgence […] Nous avons été mis dans l’impasse pour des raisons de cuisine procédurale. Le règlement du Sénat nous a mis dans l’impasse ».

Le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, affirme, lui, qu’il n’a pas formellement été question de nouvelle délibération : « Le gouvernement ne l’a pas demandée. La majorité sénatoriale non plus, considérant que la suppression de l’article 1 entraînait la suppression de l’amendement sur la PMA post-mortem dont les conditions de vote avaient suscité un trouble légitime et conduit à évoquer la possibilité d’une seconde délibération sur l’amendement ».

Pour que l’article 1 fasse l’objet d’une nouvelle délibération, il eut fallu que la commission spéciale en décide ainsi. « On aurait pu débattre sur la version de l’article 1 adopté l’année dernière mais Bruno Retailleau n’a pas voulu qu’elle soit représentée, affirme Bernard Jomier. C’est quand même grave d’annoncer une procédure et de ne pas l’appliquer derrière, c’est du jamais vu ! » Le gouvernement a pour sa part demandé une nouvelle délibération sur l’article 4, dont le sort est lié à celui de l’article 1 puisqu’il porte sur la filiation, mais cette demande a été rejetée par la majorité.

« On a appris même pas dix minutes avant qu’il n’y aurait pas de seconde délibération […] Vous nous avez pris en otage. Nous avons été trompés ! C’est un scandale ! »

« On nous demande de nous prononcer sur un projet de loi tronqué, avec la disparition de l’article premier qui en était l’élément central et devait être à nouveau soumis au vote. On nous avait annoncé hier une deuxième délibération sur cet article, et ce soir, rien ! C’est dantesque ! », s’est étranglé le sénateur écologiste, Daniel Salmon. « Ce texte portait beaucoup d’espoir et méritait un débat serein et constructif, (il) est totalement dénaturé », a aussi déploré, Thani Mohamed Soilihi (RDPI).

« On a appris même pas dix minutes avant qu’il n’y aurait pas de seconde délibération […] Vous nous avez pris en otage. Nous avons été trompés ! C’est un scandale ! », s’est également écriée la sénatrice communiste, Laurence Cohen. « Hier, vous avez vidé l’article premier de son contenu en raison de vos désaccords internes que vous n’assumez pas. Une partie de la droite est farouchement contre, tandis que l’autre est plus nuancée et pensait que la gauche la soutiendrait. Assumez donc vos désaccords et ne faites pas supporter aux autres vos divergences ! » (voir la vidéo ci-dessus).

Pour le président du groupe Les Républicains au Sénat, la faute est à mettre sur le compte de la gauche, écrit-il dans un communiqué. « Ce qui a conduit à la suppression de l’ensemble de l’article 1, c’est le revirement de la gauche qui, contrairement à la 1ère lecture, a refusé de voter cet article 1, ce qui a modifié les équilibres antérieurs », assure Bruno Retailleau. Le sénateur de Vendée veut voir une victoire dans l’examen de ce texte : « Chacun a pu voter en conscience au terme d’un débat apaisé et éclairé, la volonté de chacun a été respectée et le texte du Sénat préserve l’essentiel : la sécurité du droit de la filiation pour les enfants et l’éthique médicale ».

Les positions ont néanmoins divergé au sein de la majorité de droite. Le sénateur LR, Jean-Pierre Grand, regrette la suppression de l’article 1 qui représente « une victoire politique de La manif pour tous dont les relais dans le groupe Les Républicains au Sénat ne sont plus à démontrer ».

Le secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet avait accusé la droite la veille, et plus spécifiquement Bruno Retailleau, de visées politiciennes. « Je ne sais pas ce qui avance masqué. Est-ce la marchandisation, ou des ambitions électorales présidentielles qui avancent masquées ? », a lâché Adrien Taquet à l’endroit du patron du groupe LR. Adrien Taquet était excédé cette fois par le rejet de l’article 2 qui porte un autre point phare du texte, la possibilité pour les femmes d’une autoconservation de leurs ovocytes sans raison médicale.

« Quand Bruno Retailleau a parlé de texte et de contexte, cela aurait dû nous alerter. Le contexte de 2021 n’est pas celui de 2020… Il s’agit souvent plus de postures d’autorité que de convictions, alors que les votes auraient pu être plus nuancés », a aussi pesté la sénatrice socialiste, Michelle Meunier. En 2020, lors de la première lecture du texte, les sénateurs avaient adopté le principe de la PMA pour toutes, en excluant cependant les femmes homosexuelles et les femmes seules du remboursement par la Sécu.

Une chose demeure certaine, le texte modifié par le Sénat ne contente personne. Le secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles a salué la qualité des débats, mais « regrette que le Sénat ait reculé sur un certain nombre de points comme la PMA pour les femmes seules, le remboursement par l’assurance-maladie, l’autoconservation des gamètes… ». Les députés qui auront le dernier mot pourront toutefois réintroduire ces dispositions dans la loi bioéthique.

Dans la même thématique

Bioéthique : le Sénat adopte le projet de loi sans la PMA, dans un climat de grande confusion
3min

Politique

Revalorisation du barème de l’impôt : « On peut imaginer plusieurs scenarii », selon Claude Raynal

Après avoir été présenté en conseil des ministres ce mercredi 11 décembre, le projet de loi spéciale sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 16 décembre et au Sénat en milieu de semaine prochaine. Cet après-midi, les ministres démissionnaires de l’Economie et du budget ont été entendus à ce sujet par les sénateurs. « La Constitution prévoit des formules pour enjamber la fin d’année », s’est réjoui le président de la commission des Finances du Palais du Luxembourg à la sortie de l’audition.

Le

Paris: Emmanuel Macron Receives President Of Guinea-Bissau Umaro Sissoco Embalo
4min

Politique

« Réguler les égos » : comment Emmanuel Macron conçoit son rôle dans son camp

Au moment où le chef de l’Etat s’apprête à nommer un nouveau premier ministre, Emmanuel Macron a reçu ce mercredi à déjeuner les sénateurs Renaissance, à l’Elysée. Une rencontre prévue de longue date. L’occasion d’évoquer les collectivités, mais aussi les « 30 mois à venir » et les appétits pour 2027…

Le

Bioéthique : le Sénat adopte le projet de loi sans la PMA, dans un climat de grande confusion
4min

Politique

Gouvernement : « On ne peut pas simplement trépigner et attendre que le Président veuille démissionner », tacle Olivier Faure

Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS, réclame un Premier ministre de gauche, alors que LFI refuse de se mettre autour de la table pour travailler sur la mise en place d’un gouvernement, préférant pousser pour une démission du chef de l’Etat. Ce mercredi, députés et sénateurs PS se sont réunis alors que le nom du nouveau chef de gouvernement pourrait tomber d’un instant à l’autre.

Le