Venezuela Election

Venezuela : décryptage d’un bras de fer politique

Depuis l’élection présidentielle du 28 décembre, le Venezuela connaît d’importants mouvements de contestation. Le président sortant, Nicolás Maduro a proclamé sa victoire sans présenter les preuves de celle-ci. L’opposition conteste les résultats et revendique la victoire pour son candidat, Edmundo González Urrutia.
Henri Clavier

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Lundi 29 juillet, peu après minuit, le Conseil national électoral annonce l’élection de Nicolás Maduro pour un troisième mandat en tant que président du Venezuela. Il est donné vainqueur avec 51,2 % des voix devançant son rival de l’opposition libérale, Edmundo González Urrutia, crédité de 44,2 % des voix. Rapidement, les soupçons de fraude émergent et de nombreux pays étrangers demandent une publication transparente des résultats. Après les événements de 2019, l’élection de Nicolás Maduro, successeur d’Hugo Chávez, relance les tensions internes. La diplomatie américaine a affirmé reconnaître Edmundo González Urrutia comme le président élu. Retour sur la situation politique au Venezuela et explications avec Lucie Laplace, doctorante en science politique à l’Université Lumière Lyon 2, spécialiste du Venezuela et des phénomènes migratoires.

Comment s’est déroulée l’élection du 28 juillet ? Pourquoi l’opposition conteste le résultat du scrutin ?

Concrètement, depuis dimanche soir, il y a une contestation des résultats du vote. L’annonce des résultats s’est faite à partir de seulement 80 % des résultats et dès lors les résultats ont été présentés comme définitifs. Les votes se font sur des machines, comme dans beaucoup d’autres pays d’Amérique latine, mais le problème c’est que Nicolás Maduro refuse de donner des preuves des résultats en présentant les tickets annonçant les résultats pour chaque machine, l’équivalent des procès-verbaux des bureaux de vote. L’opposition dit avoir réussi à vérifier 82 % des votes et affirme avoir constaté la victoire de leur candidat à 67,2 %. Il y a un problème d’authentification du résultat.

Comment cette contestation prend elle forme ? Quelle est l’ampleur des manifestations ?

Cette situation a donné lieu à d’importantes manifestations partout dans le pays. Selon l’observatoire vénézuélien des conflits sociaux, il y a eu, au lendemain de l’élection, 187 mobilisations, dans 23 États du pays, toutes les grandes villes ont été concernées. Forcément, ces manifestations connaissent une forte répression. La police tire à balles réelles et selon la presse locale, il y a eu 11 morts, 40 disparus. Le procureur général rapporte 1 062 personnes détenues. On assiste donc à une répression particulièrement forte.

Ce que l’on constate c’est que l’appareil répressif qui existait en 2019 est relancé. La police, l’armée mais aussi les pouvoirs paramilitaires sont mobilisés. En particulier des groupes de jeunes hommes armés, appelés « collectivos », habillés en noir et rouge, aux couleurs du parti, et qui font régner la terreur. 

Doit-on s’attendre à la relance du phénomène migratoire étant donné que le Venezuela est l’un des pays qui enregistre le plus de départs ?

Les résultats et les événements qui ont suivi peuvent relancer des vagues migratoires depuis le Venezuela. Près de 8 millions de Vénézuéliens sont déplacés et vivent à l’étranger. Ces migrations sont principalement économiques et sont toujours en cours. Elles ne sont d’ailleurs pas uniquement dues aux sanctions américaines mais aussi à la spoliation importante pratiquée par le régime de Maduro. Les départs se font avant tout pour des raisons économiques mais qui découlent de l’exercice du pouvoir. Un sondage récent montre que 18 % des Vénézuéliens vivant au Venezuela envisagent sérieusement de quitter le pays dans les 6 prochains mois. C’est un tournant pour le régime, soit il arrive à organiser des élections libres et les gagner soit il s’enfonce dans la répression et l’autoritarisme. 

Le fait que près de 25 % de la population du Venezuela vive à l’étranger a-t-il eu un impact sur le déroulement de l’élection ? 

C’est un phénomène migratoire particulier, on connaît des départs dans chaque famille vénézuélienne même si certains membres de la famille restent sur place. Il y a des allées et venues avec des personnes qui ont voulu revenir, notamment de Colombie, pour voter. Avant l’élection, il y a eu une surveillance renforcée de la frontière entre le Venezuela et la Colombie pour empêcher justement un afflux trop important, mais ceux qui ont pu revenir voter sont souvent les catégories sociales les plus aisées. Le droit de vote depuis l’étranger a été fortement limité. Les Vénézuéliens résidant à l’étrange devaient dans un premier temps « actualiser » leurs dossiers auprès des consulats et des ambassades en fournissant un certain nombre de données et d’informations administratives. En réalité, les procédures ont été lancées tardivement et seulement 69 211 personnes ont pu voter dans les consulats et ambassades du Venezuela. 

Au niveau international, le Venezuela peut-il encore s’appuyer sur le soutien de puissances internationales ou régionales ?

Aujourd’hui, les soutiens de Maduro sont de moins en moins nombreux, la Chine, l’Iran, la Russie et Cuba ont exprimé leur soutien au président et reconnu sa victoire. C’est une question centrale. Le positionnement des autres acteurs régionaux est très intéressant, les pays de gauche d’Amérique latine comme le Brésil, la Colombie ou le Mexique sont dans une position d’équilibriste. Ils appellent à la publication des résultats de l’élection et essayent de se placer en médiateur, c’est une pression en demi-teinte. De son côté, le Venezuela a pris des décisions aux conséquences lourdes sur le plan diplomatique en fermant ses représentations auprès d’un certain nombre de pays d’Amérique du Sud et en exigeant le retrait diplomatique du Chili du Costa Rica du Panama de l’Uruguay du Pérou entre autres.

Nicolás Maduro succède à Hugo Chávez à la tête du pays en 2013. Incarne-t-il encore l’idéologie de gauche d’Hugo Chávez ?

Aujourd’hui l’idéologie chaviste est mise à l’épreuve des faits, si l’on regarde l’évolution de l’histoire politique du gouvernement, les chavistes ont été parmi les personnes qui ont souffert de la répression. Pour partie ils sont résolus à voter pour le candidat de droite, soutenu par la cheffe de l’opposition Maria Corina Machado qui est assez représentative de la droite latino-américaine et qui ne renie pas des personnalités comme Jair Bolsonaro ou Javier Milei. On est dans une situation où la gauche chaviste se résout à voter pour la droite pour mettre un terme à l’autoritarisme de Maduro. Les mobilisations importantes de ces derniers jours dans les quartiers populaires, historiquement chavistes, illustrent ce phénomène.

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

Venezuela : décryptage d’un bras de fer politique
3min

International

« Il faut continuer à dire que cette guerre est horrible » : le témoignage fort d'un maire ukrainien invité au Congrès de l'AMF

Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.

Le

Russian President Putin Meets with Zaporozhye Region Governor Balitsky, Moscow, Moscow Oblast, Russia – 18 Nov 2024
5min

International

Guerre en Ukraine : « Si Poutine s’en remet à l’arme nucléaire, c’est le signe qu’il n’a pas les moyens de résister autrement »

Ce mardi, au millième jour de l'invasion russe, l'Ukraine a juré de ne « jamais » se soumettre à la Russie. Quelques heures plus tôt, Vladimir Poutine a de nouveau agité le spectre du recours à l'arme nucléaire et promis de remporter cette guerre. Pour Public Sénat, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, fait un point sur un conflit dont le bilan humain aurait déjà dépassé le million de morts et blessés.

Le

France Farmer Protest MERCOSUR
6min

International

Minorité de blocage, clauses miroirs : quelles sont les marges de négociation de la France sur l’accord UE-Mercosur, qui suscite la colère des agriculteurs ?

Les syndicats agricoles ont donné le coup d’envoi d’un nouveau cycle de mobilisations, avec pour principal mot d’ordre le rejet de l’accord de libre-échange conclu entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Si la France continue de faire pression contre une ratification, sa position semble assez isolée sur la scène européenne.

Le