Ukraine : face à Emmanuel Macron qui ne fixe « aucune limite » sur le soutien à Kiev, les oppositions mettent en garde

Devant les chefs de partis, qu’il a invités à l’Elysée, Emmanuel Macron a assuré qu’il ne doit y avoir « aucune limite dans l’intervention de la France » en Ukraine. Si tous soutiennent Kiev, les oppositions expriment leur rejet de toute « escalade guerrière » qu’elles jugent « irresponsable ». Certains, comme Eric Ciotti, pointe « le soupçon d’une instrumentalisation » pour les élections européennes.
François Vignal

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Non seulement il persiste et signe. Mais il en remet une couche. A la sortie de la réunion, à l’Elysée, entre Emmanuel Macron et les chefs de partis, les leaders de l’opposition étaient tous à peu près raccords sur un point : ce qu’a dit le chef de l’Etat. « Il ne doit y avoir, selon Emmanuel Macron, aucune limite dans l’intervention de la France » en Ukraine, comme a rapporté en premier Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, sur le trottoir, à l’angle de l’Elysée (voir la première vidéo, images de Yann Haefele). La semaine dernière, le chef de l’Etat a déclenché la polémique en n’excluant pas l’envoi de troupes occidentales en Ukraine.

« Il a dit qu’il fallait soutenir l’Ukraine « quoi qu’il en coute »

« Aujourd’hui, la position de la France a changé. Il n’y a plus de ligne rouge, il n’y a plus de limite », regrette le leader communiste, qui a « le sentiment que la France ne croit plus dans la voie diplomatique, en la paix, et est prête à s’engager dans une escalade guerrière ». Fabien Roussel ajoute : « C’est ce qu’on appelle l’escalade guerrière, comme on en a connue en Europe lors de la Première guerre mondiale ».

« Sans surprise, le Président est prêt à un soutien sans limite, et semble-t-il jusqu’au-boutiste à l’Ukraine », a confirmé Jordan Bardella, président du RN. « Je suis arrivé inquiet et je suis ressorti plus inquiet encore. Car le Président, loin de revenir sur ses déclarations, les a confirmées. Il a dit à plusieurs reprises qu’il ne fixait pas de limite dans l’action de la France en Ukraine. Et je cite ses termes, qu’il fallait soutenir l’Ukraine, « quoi qu’il en coute » », ajoute Manuel Bompart.

Des propos rapportés du président de la République qui ont fait directement réagir le Kremlin. « M. Macron est convaincu de sa politique consistant à vouloir infliger une défaite stratégique à notre pays et il continue d’augmenter le niveau d’implication directe de la France » en Ukraine, a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

« Nous avons rappelé notre soutien indéfectible à la résistance ukrainienne », rappelle Olivier Faure

Autre alignement des chefs de partis : tous sont d’accord sur le principe du soutien à l’Ukraine. « Nous avons rappelé notre soutien indéfectible à la résistance ukrainienne », a ainsi rappelé le numéro 1 du PS, Olivier Faure.

« Il sort de cette réunion très clairement qu’il faut soutenir l’Ukraine. On est très clair sur le fait que tous les chefs de partis l’ont dit. Mais je vois bien qu’il y a les paroles dans les salles, les actes en vrai, puis les postures historiques. Je vois toujours un peu d’hypocrisie derrière les positions de chacun », note Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes (EELV), qui se satisfait malgré tout de cette unité « de façade ».

« Totale opposition à l’engagement de troupes au sol »

Les velléités guerrières d’Emmanuel Macron font également quasiment l’unanimité contre elles. « J’ai redit notre totale opposition à l’engagement de troupes au sol. Elle nous paraît inopportune, inappropriée, voire irresponsable. Elle a isolé le pays, elle a été faite dans une forme de précipitation », pointe Eric Ciotti, président des LR. Regardez :

C’est « irresponsable et dangereux » pour le Rassemblement national, selon qui « la position de la France, c’est de porter la voix de la paix, de porter cette expression de la raison, de l’équidistance, d’une forme d’équilibre dans les positions de la France et de l’Otan », ajoute Jordan Bardella, quitte à nourrir le procès en proximité vis-à-vis de Vladimir Poutine, en parlant « d’équidistance ». De quoi mettre à mal l’extrême droite, souvent attaquée sur ce plan.

Le débat au Parlement, « c’est juste pour voir comment va voter le RN », confie un ministre

Mettre en difficulté le RN, il faut dire que c’est un peu le but des macronistes. De l’aveu d’un membre du gouvernement, c’est aussi l’objectif du débat sur l’Ukraine, organisé la semaine prochaine à l’Assemblée et au Sénat, et voulu par le chef de l’Etat. « C’est juste pour voir comment va voter le RN. Alors, le Poutine, c’est ton copain ou pas ? » confie un ministre, hors des micros…

Jordan Bardella semble anticiper et explique déjà ce jeudi que le RN soutient le principe d’un accord bilatéral avec Kiev – l’objet principal du débat. Mais « avec des lignes rouges », comme la question de l’adhésion à l’Union européenne.

Une gauche plutôt alignée

Ce n’était sûrement pas le but, mais cette réunion au « format Saint-Denis », lieu du premier conclave de ce type, a permis de montrer une gauche plutôt alignée. Ce n’est pas toujours le cas. En plus de critiquer la surenchère du chef de l’Etat, tous, sauf le communiste Fabien Roussel, ont voulu mettre sur la table la question de Gaza.

« Alors que les autorités compétentes, au niveau international, reconnaissent qu’il y a un risque de génocide », « lui ne veut pas être dans un débat rhétorique là-dessus, il laisse faire la justice », avance Marine Tondelier. « Il n’est pas possible qu’on cherche à ce que le droit international s’applique en Ukraine, mais qu’il ne s’applique pas à Gaza », ajoute pour sa part Olivier Faure. Manuel Bombard regrette quant à lui « qu’il ait écarté des points » qu’il a pu mettre en avant, ne voulant pas entendre parler « de sanction à l’égard du gouvernement israélien » ou estimant « que la question de la reconnaissance de l’Etat de Palestine n’était pas posée aujourd’hui ».

« La campagne électorale n’autorise pas tout », souligne Jordan Bardella

Les européennes se sont aussi invitées à la réunion. Certains responsables de l’opposition craignent qu’Emmanuel Macron rejoue, au fond, la dramatisation qu’il avait déjà mis en scène, lors de la dernière campagne présidentielle, étouffant par le même coup le débat et rassemblant son camp.

« J’ai rappelé qu’il y avait, derrière cette réunion, le soupçon d’une instrumentalisation à des fins de campagne électorale pour les élections européennes, et si c’était le cas, cela nous paraîtrait inacceptable. On ne peut pas instrumentaliser un sujet aussi grave […] à la veille des élections européennes », lance Eric Ciotti. « La campagne électorale n’autorise pas tout », soutient Jordan Bardella, qui dénonce des attaques « irresponsables » du premier ministre qui comparaît le RN à « une armée d’occupation étrangère ». L’insoumis Manuel Bompard « pense que le Président est un spécialiste quand même de l’instrumentalisation d’un certain nombre de questions à visée de politique intérieure ». Mais face au « spectre de guerre nucléaire, sur des sujets aussi importants, il ne faut pas se livrer à des politiques politiciennes », met en garde le député LFI.

« On ne peut rien exclure », affirme Hervé Marseille, aligné sur la position du chef de l’Etat

Rare voix discordante, celle du sénateur Hervé Marseille, président de l’UDI. Il soutient en substance la position du chef de l’Etat. « J’ai manifesté notre soutien à l’Ukraine, en prenant en compte la situation des Européens et de l’OTAN, pour dire qu’on ne pouvait rien exclure. […] Evidemment personne ne souhaite la guerre, personne ne souhaite un conflit qui s’élargisse, mais il faut faire en sorte que la Russie ne gagne pas. […] Il faut donner davantage de matériel à l’Ukraine et tenir le plus longtemps possible », affirme à Public Sénat celui qui est aussi président du groupe Union centriste du Sénat. Regardez :

Pour Hervé Marseille, face au « durcissement de la pression russe », « il faut rehausser notre niveau de réaction en Europe. Et le chef de l’Etat a voulu montrer que nous prenons en considération cette nouvelle pression, et qu’il ne fallait rien exclure ». Suite des débats mardi, à l’Assemblée, et mercredi prochain, au Sénat.

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