Le G20 qui se tenait cette semaine au Brésil a été marqué par une accélération des discussions autour de l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne, même si à ce stade le 27 Etats-membres sont toujours divisés. La France est-elle isolée ? Qu’en pensent ses partenaires ? On en débat dans Ici l’Europe, sur France 24, LCP et Public Sénat.
UE- Mercosur : la France s’y oppose, mais l’accord se profile
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Après Emmanuel Macron la semaine dernière qui jugeait les conditions de l’accord entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie) « pas acceptables » pour la France, la ministre déléguée au commerce extérieur en visite au Brésil poursuit en ce sens. « La France a fixé des conditions exigeantes en matière d’environnement et de respect des normes, et aujourd’hui celles-ci ne sont pas satisfaites » a réaffirmé Sophie Primas. Pourtant Pedro Sanchez, premier ministre espagnol a jugé mercredi 23 octobre que l’Union Européenne était « très près de conclure » l’accord avec le G20 de Rio de Janeiro fin novembre pour horizon.
L’accord avec le Mercosur, une discussion qui ne date pas d’hier
Les discussions ont commencé au début des années 2000 entre l’Union européenne, le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay et ont abouti en 2019. L’accord de libre-échange avec l’alliance sud-américaine avait alors été adopté politiquement après de longues années de négociations. Mais les insuffisances de garanties environnementales ont empêché la finalisation du processus d’adoption de l’accord. En plus d’être voté par le Parlement européen et le Conseil, ce partenariat politique et commercial doit être ratifié par chacun des Etats membres de l’Union Européenne. Les discussions ont ainsi cessé à de nombreuses reprises, en cause : l’opposition de la France, la présidence de Jair Bolsonaro au Brésil et les élections européennes. Ces derniers mois, les négociations ont repris avec la pression de certains pays européens comme l’Allemagne ou l’Espagne.
Une mesure phare de l’accord prévoit la suppression de la majorité des droits de douane sur de nombreux produits. Il permettrait à l’Union Européenne de fournir les pays du Mercosur avec plus de produits industriels et de services en accédant à un marché de 260 millions de consommateurs. Par exemple, à l’heure actuelle, les droits de douane s’élèvent à 35 % sur les voitures ou le textile. A l’inverse, les pays latino-américains signataires, auraient un accès facilité au marché européen. Avec des quotas supplémentaires et un droit de douane réduit, des milliers de tonnes de viande bovine seraient exportées.
Pourquoi la France s’oppose-t-elle à l’accord ?
A première vue, l’accord a des aspects bénéfiques économiques pour la France notamment dans le secteur des vins, des produits laitiers et des fruits. Très exportateurs, ces secteurs agricoles bénéficieraient des suppressions ou des réductions des tarifs douaniers. La France peut aussi profiter de cet accord pour acquérir des minerais : du lithium, du cobalt et le graphite, utiles pour la transition énergétique. Ce marché que représentent les pays du Mercosur pourrait également être convoité par d’autres puissances en expansion. Le Mercosur a d’ores et déjà signé un accord avec Singapour, et projette un accord avec les Emirats arabes unis, une fois celui avec l’Europe conclu. Cela représenterait par ailleurs une opportunité pour l’Union européenne de diversifier ses importations, qui reposent pour une partie sur la Chine.
La France avait posé des conditions à cet accord dès le début du processus : le respect de l’Accord de Paris sur le climat qui prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre, le respect des normes environnementales et sanitaires de l’Union européenne ainsi que la protection des filières qui pourraient être impactées (filières bovines, du sucre et de la volaille). Concrètement, la France et les organisations agricoles souhaiteraient la mise en place de « clauses miroirs » qui imposeraient une réciprocité des normes de production, mesure à laquelle se heurte la difficulté de traçabilité de nombreux produits. En marge d’un sommet européen à Bruxelles la semaine dernière, Emmanuel Macron a réitéré ces conditions et demandé la « protection des intérêts des industries et des agriculteurs européens ». Une clause de sauvegarde est ainsi demandée par la France en protection financière des producteurs en cas de difficulté du marché européen.
En janvier dernier, lorsque les discussions avaient repris, le Sénat avait voté une proposition de résolution qui tranchait sur la question de l’accord. Le texte notamment proposé par Sophie Primas appelait alors à « refuser tout accord commercial avec le Mercosur tant que des mesures miroirs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal ne seront pas appliquées pour empêcher la concurrence déloyale des importations d’Amérique du Sud. » L’Assemblée nationale avait également adopté un texte similaire dans ce sens en juin 2023.
Les politiques français s’opposent quasi unanimement à l’accord. Jordan Bardella, président du Rassemblement National, dénonce une potentielle « concurrence déloyale » et appelle à défendre les agriculteurs français. Manon Aubry, députée européenne La France Insoumise, s’indigne de l’avancée de l’accord que l’Union Européenne s’apprêterait à signer « en catimini » et des « conséquences terribles » de celui-ci.
Dans cette lignée également, les agriculteurs français, qui s’opposent fermement à l’accord et manifestent contre la hausse d’importation de produits agricoles sud-américains qui créeraient une concurrence avec l’agriculture nationale. Pour le FNSEA, , l’accord « ouvrirait la porte à 99 000 tonnes de viandes bovines, à 180 000 tonnes de viandes de volaille, à l’équivalent de 3,4 millions de tonnes de maïs et à 180 000 tonnes de sucre ». Dans un communiqué, le syndicat agricole dénonce des conditions de production qui seraient contraires aux normes françaises, « l’utilisation d’antibiotiques » et la déforestation engendrée. Le potentiel accord du Mercosur s’ajoute également aux difficultés des exploitations agricoles, touchées par les inondations liées à la tempête Kirk début octobre, aux maladies dans les élevages et aux difficultés financières. Les syndicats ont appelé à une manifestation nationale à la mi-novembre.
Vers un accord sans la France ?
Face à un consensus général contre l’accord en France, le Parlement européen est à l’inverse majoritairement favorable à une signature prochaine. Au Brésil, l’on se félicite des avancées des négociations. « Si l’Union européenne est prête, nous pourrons signer l’accord commercial lors de la réunion du G20 au Brésil », avançait le président Lula déjà fin septembre.
L’accord critiqué pour le coût environnemental qu’il entraînerait en contribuant à la déforestation et aux émissions de gaz à effet de serre ou pour l’absence de garanties de conditions de production, est pourtant de plus en plus soutenu. L’Allemagne opposée en 2019 y est maintenant favorable.
La Commission européenne envisage actuellement une possibilité pour contourner l’opposition de la France. Il s’agirait de scinder l’accord en deux textes pour permettre l’adoption rapide d’une large partie commerciale, qui ne nécessiterait pas l’accord des Etats, relevant d’une compétence exclusive de la Commission Européenne.
Coralie Moreau
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