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« Top jobs » de l’UE : la candidature d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission validée, malgré les tensions politiques avec l’Italie 

Comme après chaque élection européenne, les dirigeants des 27 Etats membres de l’Union européenne devaient s’accorder sur leur candidat pour assurer la présidence de la Commission européenne. Malgré les tensions, notamment avec l’Italie, la sortante, Ursula von der Leyen, a été choisie pour un nouveau mandat. Elle doit encore obtenir la confiance de 361 des 720 députés européens élus le 9 juin pour confirmer son poste.
Henri Clavier

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« Mauvais dans la méthode et sur le fond », voilà comment Giorgia Meloni, présidente du conseil italien, a qualifié le sommet du 27 juin réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne. A l’issue des négociations, les dirigeants se sont accordés pour renouveler leur confiance à Ursula von der Leyen qui brigue un nouveau mandat à la tête de la Commission européenne. Les 27 ont également dégagé un consensus sur deux autres postes majeurs de l’Union européenne. L’ancien premier ministre portugais, António Costa (Socialiste), est nommé président du Conseil européen tandis que Kaja Kallas (Libéraux), première ministre de l’Estonie, a été choisie pour devenir la nouvelle cheffe de la diplomatie européenne et devrait occuper le poste de Haut-représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères. 

A propos des nominations, Emmanuel Macron a affirmé qu’il s’agissait de « trois collègues de ces dernières années qui ont montré leur expérience et qui représentent un équilibre politique et géographique ». En effet, les trois personnalités sont issues des trois groupes formant la coalition (socialistes, libéraux et conservateurs) soutenant Ursula von der Leyen. « C’est assez classique, il y avait peu de doute sur la nomination d’Ursula von der Leyen, en l’absence de véritable alternative, cela reflète également les équilibres au Parlement européen », affirme Thierry Chopin, docteur en science politique de l’EHESS et conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors. Cependant, Ursula von der Leyen, issue de la droite conservatrice, doit encore être confirmée par un vote des députés européens. 

« C’est d’abord un accord politique comme dans un congrès de parti politique où l’on se met d’accord sur la répartition des postes entre leaders » 

En effet, les leaders européens doivent, dans un premier temps, s’accorder sur un candidat pour assurer la présidence de l’exécutif européen. La personne choisie doit ensuite être approuvée par la majorité des membres du Parlement européen. « Ce qu’il faut retenir d’hier, c’est d’abord un accord politique comme dans un congrès de parti politique où l’on se met d’accord sur la répartition des postes entre leaders. Ce point est important, les sommets européens ne sont pas des sommets diplomatiques internationaux, mais des sommets politiques », rappelle Sylvain Kahn, professeur agrégé à Sciences Po et spécialiste des questions européennes. L’enjeu, pour les négociateurs, est donc d’arriver à une formule permettant à la fois de représenter leurs priorités politiques, à travers un agenda stratégique, mais également de refléter les équilibres politiques au Parlement européen. Chaque État est représenté au sein de la Commission européenne et les négociations peuvent également porter sur la personnalité et la mission des futurs commissaires. « Il ne faut pas oublier que l’UE est une association démocratique d’États qui sont des démocraties parlementaires. Par conséquent, les chefs de gouvernement sont aussi des chefs de parti, ils ont l’habitude de faire des synthèses, des compromis entre courants », souligne Sylvain Kahn. 

Giorgia Meloni évincée des négociations 

Malgré cette logique très parlementaire, Giorgia Meloni ainsi que Viktor Orban se sont abstenus lors du vote. La présidente du conseil italien, dont le groupe au Parlement européen (ECR) est la troisième force politique avec 83 députés, s’est offusquée de ne pas obtenir l’un des trois postes clé. Mise à l’écart des négociations informelles qui précédaient le sommet, Giorgia Meloni fustige une éviction de l’Italie et de son parti. « L’accord sur les « top jobs » précède un accord programmatique. Meloni s’offusquait que ses pairs choisissent les personnes avant le programme, mais c’est surtout parce qu’elle a été exclue du cénacle majoritaire. Son éviction démontre l’importance des rapports de force au Conseil européen. On est vraiment dans une prise en compte des équilibres politiques au sein du Parlement européen comme parmi les chefs d’Etat et de gouvernement. La plupart ont estimé qu’ils pouvaient se passer de Meloni et qu’ECR n’était pas incontournable », explique Sylvain Kahn. 

Très proche de la présidente de la Commission européenne depuis son arrivée à la tête du gouvernement italien, Giorgia Meloni souhaite « transposer sur la scène bruxelloise une grande alliance des droites, comme en Italie », analyse Sylvain Kahn. Ursula von der Leyen avait, un temps, ouvert la porte à une coalition entre son parti le PPE et ECR. « Jusqu’à une date récente, on pouvait se dire qu’il était difficile d’envisager que l’Italie n’ait pas de « top jobs » compte tenu de l’affaiblissement des libéraux et de sa propre montée en puissance », rappelle Thierry Chopin pointant les dynamiques inverses des deux groupes au Parlement européen. 

La composition de la future Commission européenne, un sujet de conflit entre la France et l’Italie 

Néanmoins, malgré les déclarations de Giorgia Meloni, l’objectif du groupe ECR pourrait être de sécuriser un poste de choix au sein de la future Commission européenne. « Elle a beaucoup communiqué sur sa mise à l’écart ; elle utilise dans son pays l’argument de la marginalisation de l’Italie, mais également sur la scène politique européenne pour obtenir quelque chose. En réalité, son objectif n’était pas d’obtenir un « top jobs », mais probablement de peser pour obtenir un poste majeur dans la prochaine Commission, par exemple de vice-président pour le commissaire italien issu d’ECR. L’idée serait de récupérer les contours du portefeuille de Thierry Breton et de le remonter à un poste de vice-président de la Commission », analyse Sylvain Kahn. Le nom de Raffaele Fitto, actuellement ministre des affaires européennes du gouvernement Meloni, circule déjà pour le poste. « Ce serait un sujet de conflit avec la France », estime Thierry Chopin, alors qu’Emmanuel Macron a affirmé que Thierry Breton serait le candidat de la France. Par ailleurs, le portefeuille élargi du commissaire français est un poste clé de l’exécutif européen puisqu’il englobe le marché intérieur et les politiques industrielles, des secteurs essentiels des politiques européennes. Les relations, déjà tendues, entre Emmanuel Macron et Giorgia Meloni pourraient s’envenimer au moment de trouver un accord sur la composition de la future Commission européenne. « Il n’y a pas d’Europe sans Italie et il n’y a pas de décision sans la Première ministre Giorgia Meloni, c’est évident », a déclaré Donald Tusk, le Premier ministre polonais, pour apaiser la situation. 

Prochaine étape : l’approbation du Parlement européen 

Après la confirmation d’Ursula von der Leyen par les 27, cette dernière doit encore passer l’épreuve du vote de confiance devant les députés européens, lors de la première session plénière du Parlement qui se tiendra du 16 au 19 juillet à Strasbourg. La présidente de la Commission européenne devra obtenir 361 voix sur les 720 pour espérer se maintenir au Berlaymont. D’ici là, l’ancienne ministre d’Angela Merkel devra convaincre autant de députés que possible de lui accorder sa confiance. Actuellement, libéraux, conservateurs et socialistes comptent 399 députés. Néanmoins, le vote se déroule à bulletins secrets et certaines composantes du PPE, comme LR, ont déjà annoncé qu’ils ne soutiendraient pas Ursula von der Leyen. En 2019, la présidente de la Commission européenne avait bénéficié d’une marge de seulement 9 voix. Néanmoins, la situation diffère largement, puisqu’Ursula von der Leyen avait perdu un nombre important de voix au sein du PPE à cause de l’éviction de Manfred Weber par le Conseil européen. 

Le principal obstacle à la ré-investiture d’Ursula von der Leyen pourrait alors être son bilan et notamment le Pacte vert, particulièrement décrié à droite. « Si Ursula von der Leyen n’obtient pas l’investiture, on rentre dans une grande période d’incertitude ; dans cette hypothèse, les députés membres du PPE savent ce qu’ils perdent, mais pas ce qu’ils gagnent donc ils se tireraient une balle dans le pied. Maintenant, Ursula von der Leyen doit faire campagne auprès des députés européens pour en convaincre au moins 361 de voter pour elle », tempère Sylvain Kahn.

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