Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.
Syrie : qui est Abou Mohammad al-Joulani, le chef rebelle islamiste qui a fait tomber Bachar al-Assad ?
Par Théodore Azouze
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Son visage a fait le tour des télévisions du monde entier aussi vite que Bachar al-Assad a chuté de son règne à Damas. Abou Mohammad al-Joulani, chef des rebelles islamistes qui ont délogé le dictateur syrien de son palais, ce week-end, est devenu une figure du pays désormais connue hors des frontières du pays. En quelques jours, l’offensive des factions armées a renversé la dynastie al-Assad, au pouvoir depuis plus de 50 ans en Syrie.
Abou Mohammad al-Joulani est le leader d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe islamiste descendant d’Al-Qaïda, qui avait focalisé ces dernières années ses efforts sur la volonté de prendre le contrôle du pays. Né en 1982 à Damas, l’homme à la longue barbe noire est issu de la mouvance djihadiste. Il grandit alors dans une famille bourgeoise de la capitale, puis suit dans sa jeunesse des études de médecine.
Un long parcours de djihadiste
À l’aube de sa vingtaine, il se radicalise. Selon une interview accordée à l’émission américaine Frontline, en 2021, la seconde intifada, en 2000, a été l’événement déclencheur de son entrée dans l’idéologie djihadiste. « J’avais 17 ou 18 ans à l’époque, et j’ai commencé à réfléchir à la manière dont je pouvais remplir mon devoir, en défendant un peuple opprimé par des occupants et des envahisseurs », justifiait-il alors durant cette interview.
Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les Américains envahissent l’Irak en 2003. Il rejoint alors une première fois Al-Qaïda et va combattre dans le pays. Emprisonné durant cinq ans, il retourne en Syrie et fonde en 2011 le front Al-Nosra, au moment du soulèvement contre le régime de Bachar al-Assad. Il crée ce groupe terroriste avec des djihadistes envoyés depuis l’Irak par l’État islamique.
Quelques mois plus tard, Abou Mohammad al-Joulani rompt avec Daesh et son leader Abou Bakr al-Baghdadi. Mais il n’abandonne pas pour autant le djihadisme. « Leur rupture n’est pas intervenue pour des raisons religieuses ou idéologiques, mais plus prosaïquement pour la répartition des responsabilités politiques, militaires et financières des groupes combattants », précisait ainsi le 4 décembre dernier Didier Billion, chercheur spécialiste du Moyen-Orient, dans une analyse sur le site de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Un ennemi revendiqué de Bachar al-Assad
Le front al-Nosra se place alors sous l’égide d’Al-Qaïda, qui en fait une branche à part entière de son organisation terroriste. Il devient un point d’appui important de la rébellion syrienne, avec laquelle il tente de renverser Bachar al-Assad. Au plus fort du groupe, en 2015, le front al-Nosra compte 7000 à 8000 membres. Toujours à la tête de ce dernier, Abou Mohammad al-Joulani est alors placé depuis plusieurs années sur la liste des personnes recherchées pour terrorisme par les États-Unis. 10 millions de dollars sont offerts par le gouvernement américain à quiconque pourrait permettre de le neutraliser.
Mais, comme avec Daech, al-Joulani décide finalement de s’écarter d’Al-Qaïda en 2016. Le groupe change de nom à deux reprises et devient Hayat Tahrir al-Sham, comme employé aujourd’hui. En 2019, HTS gagne encore puissance en Syrie, en prenant le contrôle de la ville d’Idlib et ses alentours, dans le nord-ouest du pays. Un gouvernement islamiste est mis en place dans la région. Depuis, « HTS tient Idlib d’une main de fer », rappelait dimanche sur France 24 le journaliste spécialiste des mouvements djihadistes Wassim Nasr.
Toutefois, Abou Mohammad al-Joulani promet alors d’engager un changement de logiciel : il assure s’éloigner du djihadisme international et promet de la stabilité aux minorités religieuses. Le chef poursuit alors son parcours « sur une ligne de crête son chemin d’homme d’État en devenir », résume Thomas Pierret, chercheur au CNRS et spécialiste de l’islamisme en Syrie, selon des propos rapportés par l’AFP, Entretemps, son groupe a été accusé de graves exactions dans le nord de la Syrie, pouvant s’apparenter selon l’ONU à des crimes de guerre.
Une ouverture affichée vers les minorités
L’ancrage régional à Idlib a permis peu à peu à HTS de rassembler ses forces pour conduire l’offensive rebelle victorieuse contre le régime syrien à Alep, puis à Damas, ces derniers jours. Depuis plusieurs années, al-Joulani s’efforçait d’apparaître comme une alternative au pouvoir d’al-Assad plus raisonnable que ce que son profil laisse suggérer. Une stratégie qui s’est encore amplifiée récemment. Début décembre, HTS a ainsi publié un décret visant à rassurer certaines minorités religieuses, notamment chrétiennes. « Dans la Syrie du futur, nous pensons que la diversité est notre force et pas une faiblesse », assure le groupe islamiste.
La communauté des chrétiens d’Orient a subi d’importantes persécutions durant la guerre civile syrienne, en particulier de la part des djihadistes de l’État islamique. Abou Mohammad al-Joulani a assuré qu’il ne souhaitait pas ostraciser de nouveau certaines communautés. « Il y a eu certaines violations contre les minorités par certaines personnes durant cette période, mais nous avons abordé ces questions, a-t-il dit vendredi, lors d’une interview diffusée sur CNN. (…) Personne n’a le droit d’effacer un autre groupe. Ces groupes coexistent dans la région depuis des centaines d’années, et personne n’a le droit de les éliminer. » De fait, dans une ville sous le contrôle des islamistes, les messes sont restées tolérées à Idlib depuis leur prise du pouvoir local. Mais, d’autre part, il était par exemple interdit de faire sonner les églises dans la région.
Jusqu’où Abou Mohammad al-Joulani a-t-il vraiment évolué idéologiquement ? Personne ne le sait, et les experts divergent sur le sujet. « Il ne faut pas se leurrer : il essaie de montrer patte blanche jusqu’à l’arrivée de Donald Trump » à la Maison-Blanche en janvier, avançait dimanche sur LCI le spécialiste en géopolitique Michel Fayad. « Le destin d’al-Joulani est en train de s’écrire. La manière dont il gérera la prochaine phase, si HTS parvient à rester inclusif, déterminera quel sera son héritage », estime de son côté Jérôme Drevon, analyste spécialiste du djihad interrogé par le Financial Times.
Abou Mohammad al-Joulani devra aussi convaincre la communauté internationale. La France et les États-Unis ont tous deux salué la chute du régime de Bachar al-Assad, mais aussi appelé à la prudence. « L’État de barbarie est tombé. Enfin. Je rends hommage au peuple syrien, à son courage, à sa patience. Dans ce moment d’incertitude, je forme pour lui des vœux de paix, de liberté et d’unité », a ainsi réagi sur X Emmanuel Macron. Le président américain Joe Biden s’est quant à lui satisfait de la fin du règne du dictateur – « un acte de justice » et « une opportunité historique pour le peuple syrien ». Mais c’est aussi « un moment de risque » pour le pays, a-t-il tenu à soulever.
Le leader islamiste, lui, le jure : il ne serait plus le même homme que lors de ses premières années de djihad. « Une personne dans sa vingtaine a une personnalité différente de celle qu’il aura une fois qu’elle est arrivée à la trentaine ou à la quarantaine, a-t-il déclaré à CNN. C’est dans la nature humaine. » Les prochains mois seront donc déterminants pour voir plus clair dans les réelles intentions d’Abou Mohammad al-Joulani.
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