Un réfugié syrien en France célèbre la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie.

Syrie : Plusieurs pays européens suspendent les demandes d’asile des réfugiés, la France « suit attentivement la situation »

Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.
Rose Amélie Becel

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À peine 24 heures après la chute du régime Assad, le débat sur l’accueil des réfugiés syriens en Europe ressurgit. C’est l’Allemagne qui a ouvert le bal, ce lundi 9 décembre, en annonçant un gel du traitement des procédures de demandes d’asile dans le pays, principale terre d’accueil des réfugiés syriens dans l’Union européenne avec près d’un million de ressortissants. À l’échelle européenne, les Syriens restent la première nationalité représentée dans les demandes d’asile, avec 17 % des dossiers enregistrés en septembre dernier.

L’Autriche, le Danemark, la Suède, la Norvège et l’Italie ont emboîté le pas à Berlin, en annonçant également interrompre l’examen des dossiers de réfugiés syriens. En France, la question a également été soulevée ce lundi 9 décembre par le gouvernement démissionnaire. « Afin de mettre un frein à l’avalanche d’appels sur les demandes d’asile de Syriens, nous travaillons sur une suspension des dossiers d’asile en cours », a fait savoir le ministère de l’Intérieur, indiquant qu’une décision serait prise « dans les heures qui viennent ».

En France, le gel des demandes d’asile « en réflexion »

En fin de journée, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a finalement indiqué dans un communiqué qu’il suivait « attentivement la situation en Syrie », sans prendre la décision de suspendre le traitement des demandes dans l’immédiat. « Comme toujours, en cas de situation évolutive dans un pays d’origine de demandeurs d’asile cela peut conduire à suspendre provisoirement la prise de décision sur certaines demandes d’asile, en fonction des motifs invoqués », a expliqué l’OFPRA.

Invitée sur le plateau de Public Sénat ce 10 décembre, la ministre déléguée chargée du commerce extérieur Sophie Primas a confirmé que la position de la France restait pour le moment prudente. « C’est en réflexion. Je pense qu’il faut avoir des contacts avec les nouveaux dirigeants, regarder comment on va protéger les minorités… Cela peut effectivement générer la fin du droit d’asile pour les Syriens, mais je pense qu’il faut être un tout petit peu prudent et regarder comment cela se passe dans les prochains jours », a expliqué la ministre démissionnaire.

Aujourd’hui, environ 700 demandes d’asile de Syriens sont en cours de traitement par l’OFPRA et près de 45 000 ressortissants bénéficient du statut de réfugié en France. Un statut qui ne peut être accordé que par ce seul organisme, qui est « indépendant » et « à la manœuvre » sur cette question, ont finalement reconnu les services du ministère de l’Intérieur, après leur annonce du 9 décembre. « Suspendre les demandes, cela fait sens, beaucoup des demandeurs fuyaient le régime d’Assad », observe Camille Le Coz directrice associée au Migration policy institute. « Ce qui est plus frappant, c’est la rapidité des annonces et des prises de parole politiques sur le sujet », remarque-t-elle.

En Autriche, le gouvernement demande « un programme de rapatriement et d’expulsion vers la Syrie »

Car, au-delà des procédures de suspension des demandes, l’installation d’un nouveau pouvoir en Syrie pose aussi une question plus politique, celle du retour des ressortissants qui ont déjà obtenu l’asile en Europe. En Allemagne, en pleine campagne électorale pour les élections législatives prévues en février prochain, les conservateurs de la CDU et l’extrême droite de l’AFD font ainsi pression pour aller plus loin. « Quiconque célèbre la « Syrie libre » en Allemagne n’a apparemment aucune raison de fuir et devrait retourner en Syrie immédiatement », a estimé la cheffe de file de l’AFD Alice Weidel, tandis que le député de la CDU Jens Spahn a proposé « d’affréter des avions » et d’allouer une prime à ceux qui souhaitaient rentrer en Syrie.

L’Autriche aussi a décidé d’aller plus loin. En plus du gel du traitement des dossiers, le ministre de l’Intérieur Gerhard Karner a annoncé « un programme de rapatriement et d’expulsion vers la Syrie », pour les ressortissants ayant déjà obtenu l’asile. « La situation sécuritaire en Syrie doit être réévaluée afin de rendre à nouveau possibles les expulsions à l’avenir », a ajouté le chef du gouvernement Karl Nehammer.

Dès le mois de juillet, l’Autriche et l’Italie avaient déjà réclamé que l’Union européenne engage une normalisation des relations avec le gouvernement syrien, pour permettre une refonte de leur politique d’accueil. Douze ans après le départ de son dernier ambassadeur, l’Italie avait même été le premier pays européen à nommer de nouveau un chef de mission permanent à Damas. « Cela montre bien que, que ce soit le régime d’Assad ou un nouveau groupe au pouvoir, la question des réfugiés syriens s’est politisée et l’objectif pour ces Etats est de limiter leur présence sur leur sol », estime Camille Le Coz.

Les retours doivent être « volontaires, dignes et sûrs », souligne le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés

D’un point de vue juridique, est-il possible de retirer le statut de réfugié à quelqu’un qui a déjà obtenu la protection d’un pays ? La convention de Genève prévoit en effet une « clause de cessation », qui peut notamment s’appliquer « lorsque les circonstances qui ont conduit à l’octroi de la protection ont cessé d’exister ». Concrètement, le texte précise ainsi qu’un statut de réfugié peut être retiré « lorsqu’il est intervenu un changement fondamental dans le régime politique du pays d’origine, et notamment lorsque ce changement aboutit à la démocratisation du pays ».

Alors que les rebelles du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui ont renversé Bachar al-Assad, viennent de nommer un chef de gouvernement transitoire, la situation semble encore trop incertaine pour rentrer dans les critères de la convention de Genève. « C’est extrêmement prématuré, le gouvernement autrichien aura du mal à mettre sa proposition en application de suite », juge Camille Le Coz.

De son côté, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés a bien précisé dans un communiqué que les réfugiés ont « le droit fondamental de retourner dans leur pays d’origine au moment de leur choix » et que ces retours « doivent être volontaires, dignes et sûrs ».

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