Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.
Syrie : de la Turquie à l’Iran, les équilibres bouleversés au Moyen-Orient après la chute du régime Assad
Publié le
« Après cinquante ans d’oppression, c’est le début d’une nouvelle ère pour la Syrie », ont proclamé les rebelles syriens après la fuite de Bachar al-Assad vers Moscou, annoncée par les agences de presse russe ce 8 décembre. Une victoire qui met fin à l’offensive éclair menée par le groupe islamiste Hayat Tahir Al-Sham (HTS). Partis le 27 novembre de leur fief d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, ils auront mis moins de deux semaines à s’emparer des villes syriennes stratégiques, d’Alep au Nord jusqu’à la capitale Damas.
Avec la fin subite du régime Assad, la Syrie se retrouve fragmentée entre plusieurs forces, aux objectifs parfois divergents et aux soutiens extérieurs distincts. D’un côté, les rebelles syriens, dominés par HTS, contrôlent désormais le centre du pays aux côtés d’autres groupes comme l’Armée nationale syrienne, soutenue par la Turquie. D’un autre côté, au nord Est de la Syrie, les forces kurdes administrent un territoire et continuent de bénéficier du soutien occidental dans leur lutte contre l’Etat islamique. Enfin, les factions pro-Assad se concentrent à l’ouest du pays, dans les régions côtières de la Syrie, avec le soutien historique de l’Iran et de la Russie.
Autant de forces en présence qui devront s’accorder pour préparer l’après Assad. « Pour le moment, même si c’est encore très tôt, HTS mène les discussions assez intelligemment, en essayant d’échanger avec tout le monde. Mais il ne pourra pas agir seul », observe Manon-Nour Tannous, docteure en relations internationales et spécialiste de la Syrie. « Cela ne fait qu’une journée que Bachar al-Assad est parti, mais j’ai tendance à croire qu’il était davantage un facteur de divisions que d’unité entre tous les acteurs en présence. Aujourd’hui, ils ont, certes, tous des agendas différents, mais il semble qu’ils soient unis dans l’objectif commun d’assurer une transition viable et sans bain de sang », ajoute-t-elle.
La Turquie en position de force
Malgré ces intérêts communs, au moins une ligne de fracture subsiste, entre des groupes rebelles soutenus par la Turquie et des forces kurdes érigées en ennemi numéro 1 d’Ankara. « Les Kurdes observent avec une certaine crainte le rôle que va jouer la Turquie dans la reconstruction du pays », explique Manon-Nour Tannous. Ces derniers jours, cette crainte enfle, car les tensions se multiplient. Il y a une semaine, en parallèle de l’offensive sur Damas, les rebelles syriens ont ainsi repris l’enclave kurde de Tal Rifaat, à proximité de la frontière turque. Un peu plus à l’est, dans la région de Manbij, l’Observatoire syrien des droits de l’homme fait état d’au moins 26 morts, dans des affrontements entre combattants kurdes et pro-turcs.
Dans une logique de collaboration avec tous les acteurs syriens, HTS semble tout de même montrer quelques signes d’ouverture en direction des forces kurdes. Ce dimanche 7 décembre, lors de la prise d’Alep, les rebelles ont ainsi demandé aux Kurdes d’évacuer dans des convois sécurisés. « Nous affirmons que les Kurdes syriens font partie intégrante de la société syrienne et jouissent de pleins droits communs avec le reste de la population de ce pays », ont-ils affirmé dans un communiqué. « Plusieurs leaders kurdes ont tout de suite salué la chute d’Assad et déclaré qu’ils étaient disponibles pour discuter », remarque par ailleurs Manon-Nour Tannous.
S’il est trop tôt pour estimer la place qui sera laissée au peuple kurde dans cette transition, il semble en tout cas que la Turquie sorte comme grande gagnante de cette séquence. « Erdogan a gagné la partie et va désormais chercher à agir pour l’installation d’un pouvoir qui contente Ankara, qui facilite le retour des plus de trois millions de réfugiés syriens dans le pays, mais aussi la neutralisation de ce qui est perçu comme une menace kurde aux portes de la Turquie », analyse Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller à Paris.
L’Iran, soutien de Bachar al-Assad, « n’est plus le maître du jeu »
Au contraire, d’autres acteurs semblent sortir très affaiblis de cette séquence. « L’Iran n’est plus le maître du jeu, dans cette rivalité historique qui structure le Moyen-Orient, c’est la Turquie qui est en position de force », explique Myriam Benraad. Avec la Russie, Téhéran était en effet le principal allié du régime de Bachar al-Assad. « Le pays a beaucoup investi pour tenter en vain de sauver le régime syrien. Mais Bachar al-Assad était un allié très faible, qui s’est montré incapable de stabiliser le pays et de relancer l’économie », ajoute Manon-Nour Tannous.
Si les liens que le futur pouvoir en place entretiendra avec la République islamique restent pour le moment inconnus, les images qui circulent après l’offensive de HTS à Damas laissent penser que les relations entre la Syrie et l’Iran seront plutôt froides. Depuis l’offensive à Damas, « la réaction anti-iranienne est forte », observe Myriam Benraad, « les symboles de la République islamique sont pris pour cible. On a vu le portrait de Qassem Soleimani [général iranien tué par une frappe américaine en Irak] piétiné, le portrait d’Hassan Nasrallah [ancien chef du Hezbollah tué dans une frappe israélienne] déchiré ».
Avec la chute du régime Assad, l’influence de l’Iran et de son axe de la résistance dans la région poursuit donc son déclin, entamé après les attaques du Hamas en Israël. Le changement de pouvoir à Damas pourrait en effet affaiblir considérablement le Hezbollah, notamment d’un point de vue matériel, explique Manon-Nour Tannous : « Tout l’approvisionnement de la milice transitait de l’Iran vers le Liban, par la Syrie. Ce canal est aujourd’hui coupé. »
Israël avance ses pions dans la région du Golan
Un autre acteur, enfin, semble profiter des bouleversements en cours pour avancer ses pions. Ce 8 décembre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou annonçait avoir ordonné à l’armée de « prendre le contrôle » de la zone tampon du plateau du Golan, un espace qui sépare la partie du territoire annexé par l’Etat hébreu de la frontière syrienne. Une occupation militaire « limitée et temporaire », a assuré son ministre des Affaires étrangères le lendemain. L’Observatoire syrien des droits de l’homme fait également état de plusieurs séries de frappes israéliennes sur des sites militaires de l’ancien régime, autour de Damas.
« Les objectifs d’Israël restent encore flous, pour le moment tout le monde semble agir par réflexe et profiter de la situation actuelle pour abattre ses cartes », estime Manon-Nour Tannous. Après la chute de Bachar al-Assad, dont le régime n’inquiétait nullement l’Etat hébreu, la question des relations entre Israël et le nouveau pouvoir en place au Syrie reste donc entière. « Mohamed Al-Joulani [le leader de HTS] fait, par son nom de combattant, référence au Golan, étant lui-même originaire du sud de la Syrie. Comme tous les Syriens, il n’est donc pas insensible à la situation du plateau du Golan », indique Manon-Nour Tannous.
Ce sont toutefois davantage des problématiques internes qui semblent préoccuper les rebelles au pouvoir, dans une Syrie très morcelée. L’ancien Premier ministre syrien Mohammed Ghazi al-Jalali a déjà tendu la main aux rebelles, des discussions sont en cours pour « coordonner la transition du pouvoir », annoncent ce 9 décembre les rebelles dans un communiqué.
Pour aller plus loin