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Suisse : comment expliquer l’écrasante victoire de la droite populiste aux législatives ?

Le parti de droite populiste, l’UDC, vient de remporter haut la main les élections au Conseil national (chambre basse) avec 28,6% des voix, renforçant sa place de première formation politique du pays, loin devant le Parti Socialiste, deuxième formation politique du pays qui a obtenu 18%. Le deuxième tour de l’élection du Conseil des Etats (chambre haute), est à venir, suivi par la désignation des membres du gouvernement le 13 décembre. Décryptage par Anke Tresch, professeure de sciences politiques à l’Université de Lausanne et responsable de l’étude électorale suisse Selects.
Ella Couet

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D’après des responsables politiques du parti des Verts, un contexte de « peur » et de « repli identitaire », lié aux récents attentats et aux conflits au Proche-Orient, aurait contribué à la victoire de l’UDL. Partagez-vous cette analyse ?

Dans une certaine mesure, oui. Je ne pense pas que l’on puisse relier la victoire de l’UDL aux événements qui se sont produits en Israël, parce que la plupart des gens, en Suisse, votent par correspondance donc beaucoup avaient déjà voté avant les événements. Mais la conjoncture de ces derniers mois a été extrêmement favorable à l’UDC, notamment avec la guerre en Ukraine qui a donné lieu à l’arrivée en Suisse de nombreux réfugiés. L’immigration est au centre de l’actualité depuis un certain nombre de mois, or c’est une thématique de prédilection de l’UDC depuis des années.

De manière générale, les contextes dans lesquelles la population ressent de l’insécurité profitent toujours aux partis de droite. Ces élections sont comparables à celles de 2015, pendant lesquelles la crise des réfugiés avait été un thème extrêmement dominant dans la campagne. A l’issue de ces élections, l’UDC avait enregistré le meilleur score de son histoire. En 2019, en revanche, le contexte était différent donc leurs résultats ont plongé.

Pourquoi le sujet de la lutte contre l’immigration trouve-t-il autant d’échos parmi la population suisse ?

La population étrangère est très importante en Suisse. Près d’un quart de la population n’a pas le droit de vote car il s’agit de personnes étrangères, et à peu près 80 000 réfugiés ukrainiens sont arrivés en Suisse depuis le début du conflit. Il y a une immigration importante vers la Suisse, permise par l’Accord sur la libre circulation des personnes conclu avec l’union Européenne. Depuis cet accord, l’immigration n’a pas cessé d’augmenter. Ce sont des gens qui trouvent du travail et dont on a besoin sur le marché de l’emploi, mais certains partis comme l’UDC jouent sur la peur des gens. Par exemple, ils font miroiter l’idée d’une « Suisse à 10 millions (d’habitants, N.D.L.R.) ». Les gens ont peur de la saturation des infrastructures, des bouchons, des problèmes de trains ou de ne pas pouvoir se loger à prix abordable, notamment dans les grandes villes. Je ne dirais pas que c’est infondé, car il y a réellement une immigration importante, mais ils ont joué sur ça.

Comment qualifieriez-vous l’UDC ? Est-elle similaire aux partis d’extrême-droite qui gagnent du terrain en Europe ?

Il est parfois difficile de distinguer la droite radicale, l’extrême-droite, la droite populiste… A l’origine, l’UDC est le parti des paysans et des petits travailleurs indépendants, qui s’est transformé dans les années 1990 en parti nationaliste conservateur et a intégré des éléments du populisme. Ils sont représentés depuis des décennies dans le système politique, mais se sont mis à tenir un discours anti-élites, c’est paradoxal. C’est un parti populiste de droite, comparable à ces partis d’extrême-droite européens dans le sens où les enjeux migratoires et la lutte contre l’Europe sont au centre de son discours politique. C’est un grand parti, le premier de Suisse, et il dispose de deux sièges sur sept au Conseil fédéral. Je ne pense pas qu’il soit d’extrême-droite, en tant que parti, mais certains de ses représentants le sont.

Ces élections ont également été marquées par un recul spectaculaire des Verts, par rapport à 2019. Que s’est-il passé, en quatre ans ?

En 2019, le parti des Verts et les Vert’libéraux avaient obtenu des scores historiques. Jamais dans l’histoire un parti n’avait progressé d’autant de sièges en une élection que les Verts. Cette fois-ci, les deux ont perdu mais c’était attendu. La Suisse est un pays très stable, donc dès qu’un grand changement se produit, il y a une sorte de correction à l’élection suivante. Le contexte a changé par rapport à 2019, même si les préoccupations environnementales restent relativement importantes dans la population, selon les sondages. En 2019, on avait vu des mouvements partout en Europe, portés principalement par des jeunes, pendant toute l’année électorale, qui avaient bénéficié d’une couverture médiatique massive. C’était un momentum construit sur un mouvement très politique.

En 2023, non seulement nous n’avons plus ces mouvements citoyens mais en plus ce sont les activistes pour le climat qui ont beaucoup dominé les unes. Ces personnes qui ont bloqué des routes ou se sont collé les mains sur le bitume ont bénéficié d’une couverture médiatique beaucoup moins favorable, beaucoup plus critique. Des sondages ont montré que ces actions suscitaient du mécontentement de la part de la population. Il s’agirait d’un des sujets qui énervent le plus. Il y a donc eu une démobilisation d’une partie des électeurs de 2019 qui ne se sont pas déplacés aux urnes.

Le deuxième tour de l’élection de la chambre haute reste à venir. Une montée de l’UDC est-elle là-aussi à prévoir ?

Aux dernières élections, l’UDC avait six sièges, sur quarante-six. Actuellement, elle en a remporté quatre au premier tour, et deux autres sont quasiment assurés à Berne et à Lucerne. Elle a peut-être encore une chance dans trois autres cantons, mais c’est à voir, et je ne pense pas qu’elle en aura plus. Traditionnellement, quand elle rencontre un grand succès au national, elle est en peine à la chambre haute. Les élections se font selon un mode de scrutin majoritaire, or l’UDC a des positions trop tranchées pour pouvoir s’imposer. Cela impliquerait de voir au-delà du parti, et c’est celui qui est le plus détesté par l’électorat des autres partis. Leur propre électorat est extrêmement loyal, mais ils ont peu de perspectives au-delà.

Les deux phénomènes marquants de cette élection restent la montée de l’UDC, et les pertes énormes des Verts. Et en tant que femme, je ne peux pas m’empêcher de constater également que la représentation féminine a régressé, notamment à cause de l’ascension de l’UDC. C’est le seul parti qui a une très claire sous-représentation des femmes sur ses listes : elles comptent seulement pour un quart des candidats.

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