La tentative d’assassinat du candidat à la présidentielle américaine Donald Trump ce week-end a engendré de nombreuses réactions. L’une des plus remarquées et commentées est celle d’Elon Musk. Le milliardaire propriétaire de SpaceX, entreprise spatiale, de Neuralink, de Tesla et récemment propriétaire de Twitter, qu’il a renommé X, a affiché son soutien à Donald Trump dans sa course pour la Maison Blanche. Ce soutien affiché s’accompagne de la promesse de financer à une hauteur colossale sa campagne. Le site Bloomberg rapporte que Musk aurait annoncé verser 45 millions de dollars par mois à la campagne du candidat Républicain. Aujourd’hui, Elon Musk fait encore parler de lui, car il a annoncé déménager le siège de son entreprise SpaceX de la Californie vers le Texas, en réaction à la ratification par le gouverneur de l’Etat d’une loi luttant contre les discriminations envers les enfants transgenres. Cette figure complexe, qui aime provoquer le buzz, a-t-elle trouvé un alter ego et un allié de circonstance dans l’ancien président américain ?
« Musk est muskien avant toute chose »
Elon Musk est une figure controversée et truculente du paysage américain. Le milliardaire, qui a fait fortune en confondant PayPal, est aujourd’hui à la tête d’entreprises florissantes et à la pointe de la technologie. Son entreprise spatiale, SpaceX, travaille avec la Nasa pour envoyer des astronautes américains dans l’espace et particulièrement sur la Lune. C’est un homme fasciné par la technologie, qui a les fonds pour s’adonner à sa passion. « Musk, c’est un pragmatique et un techno prophète », explique Olivier Lascar, auteur d’Enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science (éditions Alisio Sciences, 2022), « il croit que la technologie peut tout résoudre ». Pour le journaliste, l’homme n’a qu’une seule obsession : aller sur Mars. C’est à cela que travaille SpaceX.
Au-delà de sa foi inébranlable en la technologie, Elon Musk est un libertarien. « Il est libertarien dans le sens où il ne veut pas de règles », détaille Olivier Lascar, « il croit qu’elles ne sont que des freins aux individus et aux entreprises. En cela, il se rapproche des pontes de la Silicon Valley ». Sans en faire un homme politique, cette caractéristique amène Elon Musk à se prononcer sur les politiques publiques. « Musk rentre dans le stéréotype de l’entrepreneur qui s’est fait ‘tout seul’ », analyse Maxime Chervaux, enseignant agrégé à l’Institut français de géopolitique, « il joue le rôle de l’entrepreneur qui subit les politiques de régulation de la Californie démocrate et qui n’a d’autre choix que de partir pour travailler en paix et innover ». C’est comme cela, pour les deux experts, qu’il faut comprendre l’annonce de Musk de déménager le siège de SpaceX de la Silicon Valley au Texas. « C’est l’incarnation de l’Etat avec le moins de régulation possible », explique Maxime Chervaux, « Elon Musk a déjà menacé de le faire et est déjà revenu sur sa décision. Cela peut être une prise de position symbolique, car les Républicains présentent le Texas comme modèle contre l’Etat démocrate de Californie ». Pour autant, il n’y a pas de grand idéologue politique derrière le milliardaire. « Musk est muskien avant toute chose », analyse Olivier Lascar, « il a une seule obsession : que son projet industriel ait du succès ».
Depuis son rachat de Twitter en 2022, les spécialistes observent pourtant un changement chez Elon Musk. Celui qui s’est par le passé illustré par son soutien à Obama est à présent le relais de tweets complotistes et de théories proches de l’ultra-droite. « Il y a deux Elon Musk, celui d’avant et celui d’après twitter », décrit Olivier Lascar, « depuis le rachat de Twitter, on le connaît, il est passé d’une forme de notoriété de niche à une position centrale dans l’agora numérique mondiale ». Pour le journaliste, Musk se distingue aujourd’hui par des positions « antiwoke », ciblant les luttes pour les droits des personnes LGBT, entre autres. « Cette guerre antiwoke, Musk la porte comme un étendard parce que cela permet de fédérer autour de lui des fans qui alimentent son storytelling. Le succès de Musk, c’est l’art du storytelling, il a besoin qu’on parle tout le temps de lui, pour faire de la publicité à ses entreprises ».
« C’est quelqu’un qui se sert de la politique pour arriver à ses fins »
A lire son portrait, la proximité des idées d’Elon Musk et de Donald Trump semble évidente. Pourtant, il a soutenu des démocrates par le passé, et son revirement officiel pour le candidat républicain n’a eu lieu que très récemment.
Pour comprendre la logique derrière ce soutien, il faut se souvenir de la manière dont le décrit Olivier Lascar. C’est un pragmatique, « et quand on est pragmatique aujourd’hui, on va à droite », d’après le journaliste. Il décrit un « ralliement de circonstance », mais le soutien de Musk à Trump est en réalité plus ancien. Il date du mandat de l’ancien président. En effet, le projet spatial de Trump d’aller sur la Lune puis sur Mars coïncidait directement avec les intérêts de Musk. « Il a le sentiment qu’avec Trump à la Maison Blanche, il pourra plus facilement développer SpaceX », explique Olivier Lascar, « c’est quelqu’un qui se sert de la politique pour arriver à ses fins ».
Par ailleurs, Elon Musk peut voir dans Donald Trump le candidat qui sera le plus favorable pour lui en termes de régulation. « Musk a toujours laissé le bénéfice du doute à Trump, il a accepté de participer à des événements à la Maison Banche au cours de sa présidence. Il a une concordance de vues avec Trump », explique Maxime Chervaux, « il s’est opposé au parti démocrate sur des régulations par l’Etat et par la Californie, il critique le fardeau administratif, la politique sociétale. Il voit dans Trump la personne qui peut venir diminuer la charge des régulations et des impôts, et sur la question des réseaux sociaux, ils se retrouvent sur le sujet de la liberté d’expression ». Le soutien de Musk à Trump est donc une manière de s’assurer un allié pour développer son business, dans l’espace et sur les réseaux.
Par ailleurs, une autre présidence de Joe Biden pourrait faire courir un risque au milliardaire. En effet, lors du mandat en cours du démocrate, la Nasa a décidé de solliciter non seulement les services de SpaceX pour l’envoi sur la Lune d’astronautes, mais aussi ceux de BlueOrigin, l’entreprise de Jeff Bezos, rival d’Elon Musk.
On peut aussi voir dans les profils des deux hommes des similitudes. « Dans leur parcours respectif, l’entrée en politique de Trump et l’entrée dans l’industrie spatiale pour Musk, ils ont été accueillis avec un mépris total de l’establishment », analyse Olivier Lascar. Il voit également deux hommes séduits pas les théories antiféministes, les « discours virilistes ». « La façon dont Trump a réagi pendant l’attentat a dû électriser Musk », imagine-t-il. Pour Maxime Chervaux aussi, « il y a une convergence d’idées très importante » entre Elon Musk et Donald Trump.
« Musk en lui-même n’est pas une force de mobilisation électorale »
Que peut changer ce soutien, à la fois pour Elon Musk et surtout pour Donald Trump dans sa campagne ?
Pour l’homme d’affaires, le calcul est assez simple. Si c’est le candidat républicain qui l’emporte en novembre, il espère un sérieux coup d’accélérateur pour ses affaires, alors que l’ancien président américain est connu pour son imprévisibilité. Si c’est Joe Biden, il peut avoir plus de souci à se faire. « Musk a fait le calcul d’être d’ultra droite et républicain pour se rapprocher des sphères de pouvoir », déduit Olivier Lascar.
Pour Donald Trump, ce soutien est symbolique. « Il trouve un allié visible et très riche et qui va pouvoir ramener beaucoup d’argent dans l’écosystème de sa campagne et ramener avec lui d’autres libertariens de la tech », analyse Maxime Chervaux. En effet, la somme promise par Musk est colossale, bien au-delà de celles habituellement données par des tiers dans les campagnes électorales américaines. « Il faut faire attention, il y a des effets d’annonce », alerte toutefois Maxime Chervaux, pour qui il n’est pas sûr que Musk aille au bout de son annonce, « et cela ne veut pas dire non plus que l’argent sera utilisé à bon escient ».
De plus, l’impact d’un tel soutien sur les électeurs semble limité. Pour Maxime Chervaux, « aujourd’hui aux Etats-Unis, on parle d’un électeur dur deux qui va aller voter. Sur celui qui va voter, on parle de convaincre 2 % de l’électorat qui est indécis. Musk en lui-même n’est pas une force de mobilisation électorale ».