« L’Europe est aujourd’hui renvoyée à elle-même, prise en tenaille entre la Russie, la Chine et les Etats-Unis, désormais c’est le sursis ou le sursaut », déclare la sénatrice centriste, Catherine Morin Desailly, à l’occasion du débat préalable au Conseil européen des 20 et 21 mars. Sans surprise, l’ordre du jour du Conseil européen des 20 et 21 mars abordera en priorité la guerre en Ukraine, les questions de défense et de souveraineté pour une Union européenne de plus en plus menacée. Logiquement, les sénateurs ont principalement abordé les contours du plan pour réarmer l’Europe annoncé par la commission européenne et les moyens à mobiliser pour s’assurer que ce plan profite au développement d’une industrie de défense européenne.
« Affirmer l’autonomie stratégique, c’est affirmer que la défense de l’Europe doit être assurée par les armes de l’Europe »
« L’important est de nous assurer que cet effort supplémentaire de financement des projets industriels soit véritablement européen. La notion de préférence européenne s’impose de plus en plus largement dans le débat », assure le ministre délégué en charge de l’Europe Benjamin Haddad. Un enjeu prioritaire sur lequel a insisté le président de la commission aux affaires européennes Jean-François Rapin (LR) affirmant que le conseil européen doit être une « réunion de transition sur le plan de financement de l’industrie de défense ».
« Affirmer l’autonomie stratégique, c’est affirmer que la défense de l’Europe doit être assurée par les armes de l’Europe », rappelle le sénateur Alain Cadec (LR) qui ajoute que pour l’instant, « le réarmement s’est surtout concrétisé par des achats d’équipements américains ». En 2024, plus de 60 % de l’achat d’équipement militaire était réalisé auprès des Etats-Unis. La Commission européenne doit présenter son livre blanc sur la défense pour stimuler la production et renforcer l’industrie de défense européenne. Si le ministre se félicite de la reprise du discours d’Emmanuel Macron sur l’autonomie stratégique européenne, la préférence européenne reste un point de clivage majeur parmi les pays de l’Union européenne. « On ne voit pas encore bien comment garantir que cet effort de défense profitera prioritairement à l’industrie européenne », tempère Pascal Allizard, sénateur LR du Calvados.
Les sénateurs divisés sur l’implication de la Commission européenne
Le principe même d’une européanisation de la défense reste d’ailleurs contesté au sein du Palais du Luxembourg. « Une autre question reste lancinante, s’agit-il d’un plan pour renforcer la défense européenne ou d’un moyen de renforcer le contrôle par les institutions européennes de la défense des Etats européens ? », s’interroge Pascal Allizard qui craint que le débat sur la défense ne glisse entre les mains de la Commission européenne, alors qu’elle n’en a pas la compétence. « Ce débat est d’abord un débat de souveraineté nationale », continue le sénateur du Calvados. « Il n’est pas acceptable que la Commission européenne cherche à s’attribuer des compétences qui ne sont pas les siennes », abonde Alain Cadec.
Une européanisation de la défense également décriée par le groupe communiste et son oratrice Cathy Apourceau-Poly qui fustige une « obsession martiale ». « Nous ne croyons pas en cette doctrine qui transforme l’Europe en machine de guerre », ajoute la sénatrice du Pas-de-Calais.
« Nous devrons faire aussi des choix budgétaires en France pour donner la priorité au réarmement »
Les sénateurs ont également pointé les défis qui s’imposent à la France pour financer ce nouvel effort militaire. Surtout, ils ont déploré la faiblesse des instruments proposés par la Commission européenne dans son plan censé mobiliser 800 milliards d’euros. En effet, l’exécutif européen propose de recourir à l’emprunt à hauteur de 150 milliards d’euros et de sortir les dépenses militaires du pacte de stabilité et de croissance imposant aux Etats de conserver un déficit inférieur à 3 % du PIB. Ce dernier élément doit permettre aux Etats membres de mobiliser 650 milliards d’euros. « Une telle mesure ne desserre en rien la contrainte budgétaire qui pèse sur notre pays […] Chaque euro dépensé doit être remboursé, et c’est donc la charge de la dette et non la règle des 3 % qui pèse sur la France et les Français », constate, sceptique, le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson. Ce dernier se demande également si le recours à l’emprunt n’est pas qu’un « simple tour de passe-passe passe comptable ».
« Nous devrons faire aussi des choix budgétaires en France pour donner la priorité au réarmement », concède Benjamin Haddad. Comme la semaine dernière à l’Assemblée nationale, le ministre refuse toujours l’idée d’un recours aux avoirs russes gelés, malgré l’insistance des socialistes. La sénatrice socialiste Audrey Linkenheld appelle d’ailleurs à « la saisie sans délais des 210 milliards d’euros d’avoirs russes, ainsi qu’à l’affectation intégrale des intérêts qu’ils génèrent ». Néanmoins, le gouvernement refuse de déroger au droit international et préfère conserver un levier « dans la négociation et dans le rapport de force avec Moscou ».
Favorables au renforcement d’une défense européenne, les écologistes alertent néanmoins sur le financement du réarmement. Alors que le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne sera également à l’ordre du jour, les sénateurs écologistes souhaitent développer de nouvelles ressources pour l’Union européenne. « Il faudra avant tout de nouvelles ressources propres plutôt que de les chercher dans les fonds de cohésion ou de l’agriculture. Il serait désastreux de s’aliéner nombre de citoyens européens en mettant en concurrence les investissements dans la défense avec les dépenses sociales, la cohésion territoriale et la transition climatique », avertit le sénateur écologiste Jacques Fernique.