Les décrets sont parus le 1er février, deux semaines après l’investiture du nouveau président des Etats-Unis. Celui qui avait fait des « tariffs » (droits de douane) un axe structurant de sa campagne a donc joint les actes à la parole, en mettant en place une taxation de 25 % sur les produits provenant du Mexique et du Canada, finalement suspendue pour un mois dans le cas du Mexique. La nouvelle administration a aussi alourdi les sanctions déjà prises en 2018 sur certaines importations chinoises, notamment concernant les semi-conducteurs, les produits pharmaceutiques, les hydrocarbures ainsi que l’acier, l’aluminium et le cuivre.
« Il n’existe pas de sanctuaire du libre-échange »
Une annonce fracassante, qui fait planer le spectre du retour à une ère de la guerre commerciale, mais qui rappelle aussi que ce type de sanctions étaient déjà en vigueur pendant le premier mandat de Trump, n’ont pas été remis en cause par Biden et se situent dans la lignée de la politique commerciale américaine depuis les mandats de Barack Obama. « Il y a une escalade des tensions commerciales depuis quelques années, c’est un processus cumulatif de radicalisation parce qu’aucun président ne remet en cause ce qu’a fait le précédent », estime Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en économie à Sciences Po Bordeaux.
« Il y a un retour du protectionnisme depuis vingt ans, mais il se traduisait avant par la mise en place de normes pour protéger le marché. La nouveauté de Trump c’est de faire du tarifaire [un pourcentage de la valeur des importations », nuance Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste à BDO France. La rupture, c’est donc ce taux de 25 %, mais surtout le fait de l’appliquer uniformément sur les importations venant de deux des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis, voisins et alliés. « Cela veut dire que même pour les alliés proches des Etats-Unis, il n’y a pas de levier sûr pour échapper à des sanctions, qu’il n’existe pas de sanctuaire pour le libre-échange », analyse Benjamin Bürbaumer.
« D’une manière ou d’une autre, ils sont obligés d’importer »
Des incertitudes entourent les conséquences économiques précises de cette décision, notamment parce que le détail de toutes les mesures n’est pas encore connu. Mais sur la logique générale, les économistes convergent : à court terme, la production intérieure des Etats-Unis ne pourra pas remplacer les produits importés. Malgré de potentiels effets de bouclage de l’appréciation du dollar depuis quelques semaines, qui pourrait en partie compenser l’effet de la hausse des droits de douane, cette décision devrait provoquer une hausse des prix des produits importés.
Côté importations canadiennes, cela concernera principalement les prix de l’énergie et les coûts de fonctionnement de l’industrie lourde, alors que le Canada a déjà dénoncé une « trahison » annoncé hausse similaire en réponse, mais ciblée sur des produits importés où il existe une offre domestique de substitution. Côté Mexique, ce sont des produits à plus faible valeur ajoutée qui sont importés par les Etats-Unis, qui pourraient donc se tourner – non sans une certaine ironie – vers des produits chinois qui moins concernés par les sanctions dans cette gamme de prix. « Les Etats-Unis sont un pays de consommation très désindustrialisé, et on ne réindustrialise pas en quelques jours. Donc d’une manière ou d’une autre, ils sont obligés d’importer », conclut Anne-Sophie Alsif.
Sans réindustrialisation, ce sont donc les prix à la consommation qui vont absorber cette hausse des tarifs douaniers. Une donnée d’économie politique qui pourrait s’avérer fondamentale pour la nouvelle administration, tant Donald Trump a fait campagne sur l’incapacité du duo Biden-Harris à gérer l’épisode inflationniste qui a suivi la reprise économique mondiale post-Covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. « L’impact de la hausse des droits de douane mis en place lors du premier mandat de Trump a été estimé à 3 000 dollars par ménage et par an, là on serait sur le double », estime la professeure d’économie à Paris I.
Mais alors, comment interpréter cette décision qui risque d’être difficile à porter tant économiquement que politiquement ? « Trump est dans une approche transactionnelle : j’augmente les droits de douane tant que vous ne luttez pas plus efficacement contre le trafic de drogue et l’immigration », répond Benjamin Bürbaumer. D’ailleurs, la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum Pardo a annoncé ce lundi – trois jours après les annonces de Donald Trump – que cette hausse de 25 % était suspendue pour un mois en échange d’un renforcement de la sécurité à la frontière et de la lutte contre le trafic d’armes.
L’UE prend le chemin d’une augmentation des importations américaines pour éviter les sanctions
L’Union Européenne, de son côté, attend son tour. Mais les attaques répétées de Donald Trump sur les excédents commerciaux européens et les voitures allemandes laissent peu de parts au mystère. « Si nous étions attaqués sur les sujets commerciaux, l’Europe devra se faire respecter », a déclaré Emmanuel Macron en marge d’une réunion avec d’autres chefs d’Etat européens à Bruxelles consacrée aux questions de défense.
Les conséquences d’éventuelles hausses de droits de douane sur les importations européennes ne sont pas claires. « On serait à 0,2 point de croissance à 10 ans », rassure Anne-Sophie Alsif, qui rappelle tout de même qu’il faudrait connaître les contours précis de cette hausse éventuelle (le taux, les produits concernés, combien de temps elle perdurerait…). À l’inverse, Benjamin Bürbaumer note que l’économie européenne présente la particularité d’avoir une demande intérieure « plafonnée » par les traités européens, et donc fortement dépendante des exportations et vulnérable à ce type de sanctions.
Il est donc probable que, là aussi, Trump agite cette menace afin d’obtenir de l’Union Européenne des concessions visant à réduire ce déficit commercial et que ces sanctions s’éteignent si les Européens décident effectivement de le réduire. Pour ce faire, l’option privilégiée semble pour le moment être l’augmentation des importations américaines, notamment sur l’industrie de défense et l’armement, malgré la position française initiale d’une préférence européenne.
Une autre solution pourrait être de « donner plus de marge au consommateur européen en soutenant la demande intérieure pour réduire notre dépendance aux exportations », explique Benjamin Bürbaumer, qui rappelle que c’était l’un des axes du rapport Draghi (voir notre article). Cela ne semble pas être la direction prise par la Commission et la Banque centrale, puisqu’Ursula von der Leyen et Christine Lagarde viennent de publier une tribune dans le Financial Times appelant à jouer sur la simplification des normes et la baisse de la pression fiscale, et donc à rester dans une forme de politique de l’offre.