Un « premier pas important » pour « poser les bases d’une future coopération ». Voici comment l’administration américaine a qualifié les échanges entre les chefs de la diplomatie américaine et russe. Après 4 h 30 d’échanges, les deux parties ont annoncé s’être accordées pour désigner des groupes de travail visant à préparer le rapprochement entre les deux pays après trois ans d’isolement de la Russie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Cette rencontre majeure entre Marco Rubio, secrétaire d’Etat des Etats-Unis, et Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères, s’est déroulée en Arabie saoudite, à Riyad.
Les deux parties doivent désormais désigner des équipes de négociateurs pour préparer le rapprochement entre les Etats-Unis et la Russie avec en ligne de mire le règlement du conflit ukrainien, mais avant tout la normalisation des relations entre les deux pays. « L’Ukraine figure dans le compte rendu mais pas seulement, le cœur du compte rendu porte sur la normalisation des relations russo-américaines, gelées depuis 2022 », souligne Martin Quencez, directeur général risques géopolitiques et stratégie du German Marshall Fund des États-Unis (GMF).
Une rencontre pour préparer un sommet entre les dirigeants russes et américains ?
Un rapprochement entre les deux pays qui pourrait être marqué par l’organisation d’une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Une manière pour Donald Trump de se poser en faiseur de paix, une de ses promesses de campagne. « Pour Donald Trump, c’est d’abord une question de succès en politique intérieure, faire la démonstration de sa capacité à faire la paix, l’objectif c’est d’organiser une rencontre entre Trump et Poutine », juge Martin Quencez. « Du point de vue des Etats-Unis et de l’administration Trump, l’enjeu est de faire table rase de l’action de la précédente administration. Il y a une volonté d’aller très vite, il serait étonnant que ce type de rencontre ne serve pas également à préparer un sommet entre Trump et Poutine », abonde Maxime Chervaux, professeur agrégé à l’Institut français de géopolitique et spécialiste de la politique américaine. Un premier entretien téléphonique s’est tenu le 12 février dernier entre Vladimir Poutine et Donald Trump mettant fin à la stratégie d’isolement du président russe déployée par les pays occidentaux.
Néanmoins, le conseiller diplomatique de Vladimir Poutine, Iouri Ouchakov a expliqué à l’issue des pourparlers qu’il était encore trop tôt pour envisager des « dates concrètes pour une rencontre des deux dirigeants ».
Les sanctions économiques au cœur des pourparlers
En attendant, comme l’indique le compte rendu, un mécanisme de consultation devra permettre aux deux pays d’aborder « les éléments irritants ». Parmi ces éléments, la question des sanctions économiques fait office de priorité pour la Russie. « Poutine a fait de la levée des sanctions un préalable aux discussions sur l’Ukraine », rappelle Maxime Chervaux. Outre le gel des avoirs russes, les sanctions ont visé les banques russes, les exportations d’hydrocarbures ainsi que plusieurs oligarques russes.
« Il y a eu un vif intérêt pour la levée des obstacles artificiels au développement d’une coopération économique mutuellement bénéfique », s’est félicité le chef de la diplomatie russe à l’issue des échanges après avoir déclaré, ce matin, s’attendre à une évolution sur les sanctions dans les deux à trois mois prochains. Si les sanctions, américaines comme européennes, ne sont pas parvenues à mettre en péril l’économie de guerre russe, des négociations sur ce point pourraient permettre aux Européens de s’assurer une place dans les pourparlers sur un règlement diplomatique de la guerre en Ukraine. « Il y a d’autres parties qui ont des sanctions (contre la Russie), l’Union européenne devra être à la table à un moment donné parce qu’ils ont aussi des sanctions », a notamment déclaré Marco Rubio. Le dégel des avoirs russes, estimés à 300 milliards d’euros et principalement détenus en Europe, représente un enjeu majeur pour la suite des échanges.
Volodymyr Zelensky demande l’organisation de négociations « équitables »
Si Washington assure viser une « paix juste et durable » et acceptable pour toutes les parties, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a déploré des négociations « sur l’Ukraine, sans l’Ukraine ». Il a également demandé l’organisation de pourparlers « équitables » incluant l’Union européenne, la Turquie et le Royaume-Uni. En effet, alors que les discussions sur les territoires qui pourraient être cédés dans le cadre d’un accord de paix ne sont pas encore entamées, la Russie a déjà fixé plusieurs conditions. D’une part, la Russie maintient son opposition à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan ainsi que le déploiement de troupes en Ukraine de la part des pays de l’Otan ou des pays membres de l’Union européenne.
Alors que les pays européens tentent d’éviter une marginalisation, l’avancée des discussions bilatérales entre la Russie et les Etats-Unis pourrait réduire mécaniquement leur influence. « Ça va forcer les Européens à évoluer très rapidement sur leurs positions », note Martin Quencez qui ajoute qu’il « faut s’attendre à ce que l’administration Trump remette profondément en question l’implication des Etats-Unis dans la sécurité de l’Europe ».