Rencontre Russie Corée du Nord : « C’est la volonté des deux pays de montrer qu’ils ne sont pas aussi isolés qu’on le prétend », analyse Françoise Nicolas
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Avec cette rencontre, peut-on parler d’un rapprochement entre la Russie et la Corée du Nord ? Quels sont les intérêts des deux pays à cela ?
Il y a effectivement un rapprochement entre la Corée du Nord et la Russie, mais à vrai dire, les deux pays n’ont jamais été très éloignés. Il y a une connexion de longue date entre la Corée du Nord et la Russie, ou l’ancienne Union Soviétique. Il faut se rappeler que le grand-père de Kim Jong-Un a fait patrie de l’armée soviétique, que son père Kim Jong-Il est né sur le territoire soviétique et qu’il avait un prénom russe au départ.
Aujourd’hui, la Russie se sent de plus en plus isolée et la Corée du Nord croule sous les sanctions. Ce qu’on observe avec cette visite, c’est la volonté des deux pays de montrer qu’ils ne sont pas aussi isolés qu’on le prétend. Ce que tout le monde dit, c’est que la Corée du Nord va fournir des armes à la Russie, mais je ne suis pas sûre que ce soit l’objectif premier de la rencontre. Je ne suis d’ailleurs pas sûre que la Corée du Nord ait la capacité d’apporter des armes vraiment intéressantes à la Russie. Si c’est le cas, cela veut dire que la Russie est vraiment très mal en point. Je pense simplement qu’il y a une volonté politique de part et d’autre.
Pour la Corée du Nord, cette rencontre est importante pour son image auprès de sa population. Kim Jong-Un a déjà rencontré Trump, et maintenant il rencontre Vladimir Poutine, il entend se montrer comme étant véritablement un acteur important sur l’échiquier international. Cela peut être aussi l’occasion d’obtenir de la technologie de la part de la Russie, ou éventuellement des produits alimentaires, parce qu’économiquement, la Corée du Nord n’est pas très en forme.
Plus particulièrement, quelle est la relation entre Kim Jong-Un et Vladimir Poutine ?
Je ne sais pas exactement quelle en est la nature, mais il y a eu des relations en dents de scie entre les deux pays. Historiquement, ils sont très proches, mais il y a eu un refroidissement très net dans les années 1990, ce qui avait mené à la grande famine en Corée du Nord.
Cette rencontre avec la Russie marque-t-elle un tournant dans la politique internationale de la Corée du Nord ?
Il n’y a pas de tournant dans la politique de la Corée du Nord. Elle est sanctionnée de toutes parts, c’est un état quasiment paria. Elle se rapproche de ceux qui sont proches d’elle.
Quelles sont les sanctions qui pèsent actuellement sur la Corée du Nord ?
Les sanctions sont nombreuses. Tout le monde la sanctionne car on craint qu’elle ne soit proliférante, on essaie de l’empêcher d’être un état nucléaire, ce que je crains qu’elle soit déjà, ou qu’elle soit tout près de l’être. Même la Russie participe à ces sanctions, de manière plus ou moins active.
Une coopération militaire entre Moscou et Pyongyang vous semble-t-elle inéluctable ?
Même s’il n’y a pas fourniture importante d’armes ou de munitions à la Russie, ce qu’on peut escompter, c’est un rapprochement militaire entre la Corée du Nord, la Russie et éventuellement la Chine. Cela a lieu en réponse au rapprochement que l’on a observé pendant l’été entre les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon.
Justement, quel impact ce rapprochement entre son proche voisin et la Russie peut-il avoir sur la Corée du Sud ?
C’est toute la question. Mais il y a de grandes chances pour que la volonté de la Russie soit d’exercer des pressions sur la Corée du Sud en se rapprochant de la Corée du Nord, de faire comprendre à Séoul que se rapprocher des Etats-Unis et du Japon peut être dangereux, qu’il y a une potentielle instabilité sur la péninsule. Ce rapprochement peut aussi être utilisé comme un moyen de pression sur Séoul.
La Chine joue-t-elle un rôle en sous-main dans cette rencontre ?
Je ne pense pas que la Chine joue un rôle en sous-main dans cette rencontre. En réalité, je ne pense pas qu’elle soit enthousiaste de ce rapprochement. La Corée du Nord est traditionnellement un partenaire très proche, et la Russie essaie de lui ravir la place. Cela risque de ne pas être très bien vu par Pékin. Entre les trois, il risque d’y avoir quelques tensions.
Cela ne risque-t- pas d’isoler davantage la Russie sur la scène internationale, alors que la Chine était un des seuls pays à ne pas la condamner frontalement ?
La Chine soutient sans soutenir la Russie. Officiellement, elle est neutre, elle ne condamne pas l’agression russe, qu’elle n’appelle d’ailleurs pas une agression, mais elle ne soutient pas activement la Russie. La Chine veut maintenir cette ambiguïté dans son positionnement. Je ne suis pas sûre que ce rapprochement entre Pyongyang et Moscou ne fasse pleinement son affaire.
Certains emploient le terme de néo guerre froide, qu’en pensez-vous ?
On a beaucoup parlé de retour de la guerre froide, je ne suis pas sûre que ce soit vraiment le terme adéquat. Qu’il y ait une polarisation du monde, oui ; qu’il y ait une fragmentation du monde, oui ; qu’on soit vraiment en situation de guerre froide comme on l’était dans les années 1960, je n’adhérerais pas à cette conception.
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