Tout juste investi, le président des États-Unis, Donald Trump, a annoncé dans un discours aux accents revanchards la signature d’une multitude de décrets, visant notamment à mettre en œuvre ses promesses de campagne en matière de lutte contre l’immigration ou à en finir avec la politique économique de son prédécesseur.
Présidence de Trump : « Face aux Américains, les Européens sont victimes d’un nombre incalculable de vulnérabilités »
Par Théodore Azouze
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Cette fois, le voilà officiellement de retour à la Maison-Blanche. Deux mois et demi après son élection, le 5 novembre dernier, Donald Trump va être investi ce lundi comme le 47ᵉ président des États-Unis. Au terme d’une cérémonie à Washington, le milliardaire sera intronisé devant plusieurs milliers de spectateurs, mais aussi un parterre d’invités présents pour l’occasion. Des patrons de la tech (Elon Musk, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos…), des chefs de file d’extrême-droite en Europe, le vice-président chinois, les anciens chefs d’État américains encore en vie… et une seule dirigeante européenne, la Première ministre italienne Giorgia Meloni.
La présence de la responsable n’est pas anodine : au moment où l’Europe cherche la bonne relation à entretenir avec Donald Trump, celle-ci fait le choix de la proximité affichée avec le républicain. Une position qui n’est pas forcément la même dans chacun des États membres de l’Union européenne, dont les diplomates redoutent parfois les premiers mois de ce second mandat trumpien. Avant même qu’il soit investi, Donald Trump a par exemple déjà ferraillé avec le Danemark. Ces dernières semaines, il avait menacé à maintes reprises de s’emparer du territoire autonome du Groenland, rattaché à Copenhague.
Rapport de force à établir
Cet épisode pourrait être suivi d’autres pressions de ce type, y compris envers des partenaires européens et membres de l’Otan. Faut-il désormais observer une distance plus importante vis-à-vis de Washington ? Ou au contraire conserver coûte que coûte les liens préférentiels entre l’UE et son allié outre-Atlantique ? Plusieurs experts en débattaient au Sénat mercredi 15 janvier, dans le cadre d’une table ronde organisée par la Commission des affaires européennes.
En introduction à la discussion, le président (LR) de la commission Jean-François Rapin a dressé le constat d’une connexion européano-américaine à reconstruire du fait du retour de Donald Trump. « L’UE n’a pas d’autre choix que d’établir un rapport de force, même si cela relève du paradoxe entre alliés présumés solidaires. Cela implique pour elle de décider d’être forte au service de ses valeurs et principes […] et d’avoir une force collective à opposer, ce qui passe par le sursaut économique […] pour renforcer notre marché intérieur. »
Un état des lieux partagé par l’ensemble des spécialistes présents au Sénat. Selon ces analystes, il faut d’abord replacer l’élection de Donald Trump au sein de plusieurs tendances structurelles qui ont redéfini ces dernières années la relation de l’UE aux États-Unis. La doctrine économique du nouveau président américain – America first – n’a en réalité pas vraiment évolué depuis le premier passage du milliardaire au pouvoir. « Ce qui est compliqué, c’est la manière dont cet agenda-là a été mis en œuvre » et « dont Biden l’a accéléré dans la lignée de Trump », relève Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du German Marshall Fund of the United States, un organe de coopération entre les États-Unis et l’Europe.
« Nouveau consensus de Washington »
Cette configuration s’inscrit dans un mouvement plus général depuis une vingtaine d’années aux États-Unis, avec l’émergence d’un « nouveau consensus de Washington » partagé entre républicains et démocrates. Ce concept, mêlant volonté de puissance commerciale et protectionnisme économique, « va guider la politique économique du président Trump », selon Jérémie Gallon, directeur général Europe du cabinet Mc Larty Associates, une société de conseil en diplomatie commerciale. Barrières douanières, nouvelle politique tarifaire, plus grand contrôle des importations et des exportations… Le clan Trump prépare l’Europe à une relation économique encore plus contraignante que lors de son premier mandat.
Problème : les États-Unis sont le premier pays vers lequel l’Union européenne exporte dans le monde. Ce nouvel équilibre la contraint donc à des changements pour s’adapter à ces règles inédites. « Trump appuie sur les dépendances qui nous lient aux États-Unis », explique Alexandra de Hoop Scheffer. Pour limiter celles-ci, la chercheuse expose trois chantiers à mener du côté européen. D’une part, le développement de l’industrie de défense européenne lui paraît essentiel, au moment où les Américains fournissent une indispensable aide militaire à l’Ukraine pour combattre les troupes russes. Même problématique du point de vue énergétique et technologique, d’autant plus que les principaux patrons de la Silicon Valley soutiennent ouvertement Donald Trump dans son action.
Tous ces défis n’auraient-ils pas pu être anticipés par les Européens ? « Depuis quatre ans, les Européens ont travaillé pour protéger la relation transatlantique et lier les alliés plus fortement en préparation de la possibilité d’un retour de Donald Trump. Mais cela n’est pas du tout clair que cela [se soit concrétisé] », analyse Rosa Balfour, directrice du think tank Carnegie Europe. Dans les faits, « les leaders européens n’ont pas eu de discussions » sur la stratégie à adopter par rapport à Trump, poursuit-elle. Une discussion par ailleurs difficile à mener entre dirigeants de l’UE, étant donné la présence de « partisans » du président américain sur le Vieux continent, à l’instar de Giorgia Meloni, mais aussi du Premier ministre hongrois Viktor Orban.
Une volonté de « supprimer le droit » ?
Durant cette table ronde sénatoriale, à laquelle étaient aussi conviés plusieurs ambassadeurs en France de pays européens, Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Jacques Delors, think tank spécialisé sur la politique européenne, a pour sa part livré une vision plus radicale de la situation. Pour elle, l’alliance de Donald Trump avec Elon Musk, homme le plus riche du monde et à la tête de Tesla, Space X ou du réseau social X, reflète la volonté d’installer un nouveau cadre idéologique dans les relations internationales.
« Ce qui se joue, c’est un révisionnisme global […] du couple Trump/Musk », souligne-t-elle. « Ils ont intuitivement l’intention […] de remettre en cause l’ordre international que l’on a créé depuis 1945, c’est-à-dire le libéralisme économique et ses contrôles, la démocratie politique et ses contre-pouvoirs, la liberté d’expression avec ses limites constitutionnelles. » Nicole Gnesotto fait notamment référence aux interventions d’Elon Musk dans plusieurs pays d’Europe, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. « Il y a en germe, dans le discours américain, une révolution idéologique majeure, dont l’objectif est de supprimer le droit », estime-t-elle.
« Face aux Américains, les Européens sont paralysés, car ils sont victimes d’un nombre incalculable de vulnérabilités », ajoute l’analyste. La double menace – « d’agression » à l’est, « d’abandon » à l’ouest – fragilise la position de l’UE. Tout comme, selon elle, l’émergence « de minis-Trump » dans de nombreux États membres. Dernier de ses arguments : « L’attachement » à l’Histoire de nombreux gouvernements européens, incapables de se défaire de l’image des Américains « sauveurs de l’Europe » durant les deux guerres mondiales, contraint aussi l’UE à un rôle limité face à Washington. « Ils n’arrivent pas à penser une seconde que ce paradigme-là est mort et que les États-Unis pourraient être un problème, voire un ennemi, pour les intérêts européens. »
Des ambassadeurs prudents
Sans aller aussi loin, Jérémie Gallon invite pour sa part à évaluer au cas par cas l’action américaine, quitte à monter au créneau face aux Américains sur les dossiers qui le nécessitent. Devant Donald Trump, « il faut distinguer les politiques qui ciblent nos intérêts, faire preuve de rétorsion sur le plan tarifaire, mais aussi voir celles qui peuvent trouver une convergence », explique l’avocat devant les sénateurs. Prudente elle aussi, Alexandra de Hoop Scheffer invite quant à elle l’UE à « réfléchir d’abord en Européens, à faire abstraction de qui est assis dans le Bureau ovale ». Selon elle, ces derniers vont devoir s’habituer à ce que la relation transatlantique devienne « de plus en plus une alliance parmi d’autres » alliances.
À l’issue des exposés des différents intervenants, les ambassadeurs invités avaient aussi l’occasion d’exprimer leur point de vue sur la relation à entretenir avec les États-Unis. Les diplomates ont donc fait part de leurs réactions, empreintes d’une certaine mesure. L’ambassadeur de Pologne en France, Jan Emeryk Rościszewski, a ainsi repris les mots de son ministre des Affaires étrangères pour inciter Donald Trump à construire « une harmonie stratégique » entre UE et États-Unis. Son homologue chypriote, Pavlos Kombos, a de son côté mis en avant la nécessité d’un « compromis » à trouver avec le gouvernement américain, tandis que l’ambassadeur luxembourgeois Marc Ungeheuer a insisté sur « le respect mutuel » à observer entre partenaires transatlantiques.
Avant l’investiture de Donald Trump, ce lundi, le Premier ministre François Bayrou a également alerté sur le besoin d’agir au niveau européen pour faire le poids face à Donald Trump. « Les États-Unis ont décidé d’une politique incroyablement dominatrice par le dollar, par la politique industrielle, par la captation de toute la recherche et la captation des investissements », a-t-il pointé depuis son fief de Pau. « Si nous ne faisons rien, nous allons être dominés, écrasés, marginalisés. Cette décision qui ne tient qu’à nous, Français et Européens, parce que c’est impossible sans Europe, est le ressaisissement. »
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